Un avant Big Bang ? (Extrait de l'épilogue de 'l'Ecume de l'espace-temps' de Jean-Pierre Luminet- Editions Odile Jacob)
" On considère généralement le Big Bang comme le début de toute chose, et l’on s’interdit de penser à ce qui a pu se passer avant. Si l’on s’en tient en effet à la relativité générale classique et aux solutions cosmologiques de Friedmann-Lemaître utilisées dans le modèle standard, la question d’un ‘avant Big Bang’ n’a tout simplement pas de sens. Dans cette théorie, le Big Bang implique que le temps lui-même a commencé simultanément avec l’espace, la matière et l’énergie voilà 13,8 milliards d’années.
Jusqu’au début de ce siècle, la question, fréquemment posée dans les conférences de vulgarisation sur le Big Bang, embarrassait l’orateur. Il devait généralement rétorquer qu’imaginer une époque antérieure au Big Bang revient à chercher un instant avant que le temps lui-même n’existe. Cette réponse ne satisfait évidemment personne. Pour la part, je me référais plaisamment à la question similaire posée jadis à Saint Augustin (bien que dans un autre contexte) : « Que faisait Dieu avant la création du monde ? », et dont la réponse, sans doute apocryphe, aurait été : Il préparait l’Enfer pour ceux qui posent la question : »
Cette façon de voir s’est heureusement modifiée. D’une part les cosmologistes modernes ne craignent plus l’enfer, d’autre part ils tentent de trouver des solutions qui viendraient de la physique quantique. De la même façon que la théorie quantique avait résolu le problème de la singularité du modèle planétaire d’atome de Rutherford, pourquoi, en l’incorporant dans la relativité générale, n’éliminerait-elle pas aussi la singularité marquant le début du temps ? Les singularités embrassent les physiciens parce qu’elles sont associées à des valeurs infinies de grandeurs physiques ou géométriques, comme la température, la densité d’énergie ou la courbure de l’espace.
Dès les débuts de la cosmologie relativiste et le premier modèle d’« atome primitif » élaboré par Georges Lemaître en 1931, on soupçonnait que le scénario classique cessait d’être correct lorsque le très jeune Univers était soumis aux lois de la physique quantique. Mais, pendant des décennies, les chercheurs n’ont eu rien d’autre à proposer. Ce n’est qu’à partir des années 1990 qu’ils ont entrevu comment les approches en gravitation quantique pouvaient faire disparaître la singularité originelle. C’est même devenu, pour certaines d’entre elles mais pas toutes, l’un de leurs objectifs principaux. Rien n’empêche dès lors d’imaginer que l’Univers ait pu exister avant la Big Bang, ce dernier n’étant plus une singularité, mais une transition violente entre deux états différents de l’Univers.
La volonté de prendre en compte ce qui pourrait s’être passé « avant l’origine » n’est que le dernier en date des revirements intellectuels qui se sont succédé pendant des millénaires. Les philosophes et théologiens de toutes les cultures et de toutes les religions ont été confrontés à la question du commencement du temps. Notre arbre généalogique remonte-t-il éternellement dans le passé, ou prend-il racine à un moment donné ? Aristote défendait l’absence de commencement en invoquant le principe selon lequel rien ne peut surgir de rien : si l’Univers ne peut naître ex nihilo, il doit avoir toujours existé, et le temps doit s’étendre indéfiniment dans le passé comme dans le futur.
Les théologiens chrétiens ont défendu le point de vue inverse. Selon eux, Dieu, existant en dehors de l’espace et du temps, les as créés en même temps que les autres aspects du monde. Que faisait-il avant ? Il n’y avait tout simplement pas d’avant … La théorie de la relativité générale a conduit les cosmologistes à une condition semblable, bien que fondée sur des arguments autrement rationnels, à savoir que l’extrapolation dans le passé des modèles de Friedmann-Lemaître bute inéluctablement sur un temps zéro.
Les théories de gravitation quantique donneraient plutôt raison à Aristote en faisant disparaître la singularité. Malheureusement, elles ne permettent pas de résoudre de façon fiable les équations décrivant l’Univers aux abords immédiats du Big Bang. Par exemple, les calculs en théories de cordes ne sont possibles qu’à basse énergie, c’est-à-dire lorsque les cordes n’interagissent que faiblement entre elles. Or c’est précisément au Big Bang que les cordes sont extrêmement enchevêtrées et interagissent de la façon la plus forte … Les mêmes difficultés se rencontrent dans les autres théories.
Malgré tout, divers modèles au-delà de la relativité générale se risquent à décrire certains aspects d’un « avant Big Bang ».[1] "
[1] NDLR Regards-citoyens : Jean-Pierre Luminet précise à cet égard qu’ « il semble en tout cas, quelle que soit l’approche utilisée pour tenter d’unifier la relativité générale et la physique quantique, le Big Bang stricto sensu soit éliminé en tant que singularité, et que soit retrouvée l’éternité du temps passé, éliminant ainsi la problématique notion théologique de « cause première ». »
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