Sur le plateau desséché de Bandiagara, au Mali, vit depuis le XIVe siècle un peuple qui possède de bien étranges notions d’astronomie : les Dogons. À partir de 1931, l'anthropologue français Marcel Griaule, bientôt secondé par l’ethnologue Germaine Dieterlen, s’est employé à explorer leur culture et à rapporter leur cosmogonie. Tous les cinquante ans, les Dogons organisent une grande fête, appelée Sigui, destinée à régénérer le monde. La périodicité de la fête est déterminée par la révolution supposée d’une étoile très lourde, invisible des hommes, qui est censée graviter autour de Sirius (Sigui Tolo), elle-même l’étoile la plus brillante de tout le firmament. Voici ce que disent les Dogons de cette étoile invisible, qu’ils nomment Pô Tolo : « Pô Tolo est la plus petite de toutes les choses ; elle est aussi la plus lourde. Si l’on assimilait la dimension de son diamètre à celle d’une peau de bœuf étendue, elle pèserait aussi lourd que 80 charges d’âne. Elle tourne autour de Sirius en cinquante années. »
Or, la découverte scientifique de Sirius B, compagnon invisible de Sirius, remonte au XIXe siècle, et Sirius B tourne autour de Sirius A suivant une orbite d’environ 51 ans. En outre, ce n’est que depuis 1917 que l’on sait que Sirius B est une naine blanche, donc une étoile non seulement petite (5 800 km de rayon), mais extrêmement dense ; remarquons cependant que la masse volumique de Sirius B, voisine de 1 tonne par centimètre cube, est considérablement plus grande que 80 charges d’âne (35 000 kg) contenues dans une peau de bœuf.
Plus étrange encore, la cosmogonie dogon suppose aussi l’existence d’une troisième étoile, beaucoup plus légère que Pô Tolo et tournant dans le même sens qu’elle autour de Sirius, bien que sur une orbite plus grande. C’est de celle-ci que serait venu Nommo, le grand ancêtre du peuple dogon. Or, plusieurs observations astronomiques sont venues suggérer l’existence d’un troisième partenaire. À plusieurs reprises, un compagnon visible fut noté durant les années 1920-1930. En 1994, des astronomes de l’observatoire de Nice, guidés par de subtiles irrégularités de mouvement de Sirius A inexplicables par la seule Sirius B, ont inféré l’existence d’une troisième étoile, de faible masse, baptisée Sirius C…
Enfin, des textes anciens attestent que Sirius A a subi un changement de couleur temporaire voici environ 2 000 ans. Le plus célèbre de ces textes est le catalogue de Ptolémée (L’Almageste), dans lequel l’astronome grec du IIe siècle, réputé pour la fiabilité de ses observations, classe Sirius comme une étoile rouge. Un texte concordant et indépendant est un manuscrit chinois du Ier siècle avant notre ère, dans lequel il est fait très clairement état d’un changement de couleur. Or, un changement de couleur pourrait s’expliquer par un échange gazeux temporaire entre Sirius A et un compagnon non condensé en naine blanche et qui, gravitant sur une orbite très allongée, perdrait un peu de son enveloppe à chaque passage près de son partenaire.
Ces mystérieuses coïncidences entre la cosmogonie des Dogons et les données de l’astrophysique moderne soulèvent bien des interrogations parmi les scientifiques qui se sont penchés sur la question. Pour l’instant, aucune explication satisfaisante n’a pu être apportée. L’hypothèse la plus rationnelle suppose que les Dogons ont élaboré leur système cosmique (qui inclut également des connaissances sur la Galaxie, Jupiter, Saturne et la Lune) au contact de la civilisation européenne, par le biais de la colonisation française des années 1920. La nouvelle décrivant les extraordinaires caractéristiques de Sirius B, parue dans les grands quotidiens occidentaux, fut en effet colportée en Afrique par des missionnaires jésuites. Resterait cependant à comprendre comment des données nouvelles et plutôt techniques auraient pu être incorporées aussi rapidement dans une cosmogonie qui semble « rodée » depuis de nombreux siècles…