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Publié par Jean-Guy Giraud

C’est en des termes particulièrement et inhabituellement vigoureux voire dramatiques que les rapports Letta et Draghi ont mis en évidence la baisse de la « productivité européenne ». Sous ce terme assez abstrait, il faut entendre le déclin du potentiel économique de l’Union et sa dépendance croissante vis à vis de ses grands compétiteurs américains et asiatiques. Déclin qui, au surplus, met en question la capacité propre de l’Europe à faire face à trois grands défis : l’innovation, le climat et la défense.  

L’analyse très détaillée fournie par ces deux rapports ne se borne pas à énumérer les différents facteurs (nationaux, européens et internationaux) de ce déclin. Plus utilement, elle propose une impressionnante série de mesures multisectorielles - regroupées sous l’appellation de « nouvelle stratégie industrielle » européenne. 

La capacité de financement publique et privée de ‘UE

Un des points principaux de ce programme concerne la capacité de financement des investissements liés à cette stratégie. Le rapport met crument en évidence les faiblesses de l’ » Union financière » qui la rendent tributaire de canaux et mécanismes de financement extérieurs.  (notamment américains) - essentiellement du fait de l’absence de coordination dans la mobilisation de ses propres ressources financières. 

Ces faiblesses concernent à la fois les financements publics et privés.

La faiblesse des ressources publiques résulte de l’inadaptation du budget de l’UE à initier et appuyer efficacement les investissements industriels faute d’un volume et d’une souplesse adéquats. Les ressources sont plafonnées à un faible niveau, elles sont consacrées à des secteurs « historiques » (cohésion et agriculture) et elles excluent le recours à tout mécanisme d’emprunt/prêt.   

L’insuffisance des financements privés résulte de la très faible intégration des circuits financiers nationaux du fait du retard pris dans l’achèvement du marché intérieur des services financiers et plus particulièrement de l’union bancaire et l’union des marchés des capitaux. 

Les causes du blocage

Le constat est bien connu mais les causes - les responsabilités - de ce retard sont trop rarement analysées et dénoncées (1). 

La rigidité du budget européen incombe principalement aux gouvernements qui, d’une part, refusent de permettre à l’Union de se doter de ressources propres autonomes et d’autre part limitent leurs contributions budgétaires rendues nécessaires par la faiblesse de ces ressources propres. Il s’agit en réalité d’un blocage de nature politique résultant de la réticence des gouvernements vis à vis d’une émancipation financière de l’Union. 

Ce blocage constitue de fait un refus de partage au niveau européen de la souveraineté financière des États qui s’obstinent à l’exercer séparément avec un minimum de coordination inter-gouvernementale. En particulier, les ministères des finances répugnent à l’émancipation d’un pouvoir budgétaire concurrent sur lequel ils n’exerceraient qu’un contrôle partagé et non plus exclusif.

Le recours aux financements privés se heurte à des obstacles similaires. L’intégration des systèmes bancaires et des marchés des capitaux est bloquée par la réticence des gouvernements à harmoniser et mutualiser des réglementations, des mécanismes et des appareils qu’ils gèrent et contrôlent directement. Mais cette intégration est également freinée par les opérateurs eux-mêmes qui, dans chaque pays, protègent leurs prés carrés et leurs intérêts propres et acquis - ou, tout simplement, leurs pratiques et habitudes bien établies, souvent de longue date. 

La réticence fondamentale

Toutes ces réticences - publiques comme privées - résultent aussi et plus fondamentalement d’une réticence vis à vis du principe même de l’intégration. Au fil du processus d’élargissement de l’Union, le nombre et la diversité accrus des États membres fait craindre une hétérogénéité, une instabilité et une complexification de l’ensemble qui minent la confiance des responsables publics et privés.  Et, en matière financière, ces risques s’avèrent particulièrement paralysants. 

Dès lors, comment surmonter de tels obstacles de fait et de fond qui sont pourtant susceptibles - parmi beaucoup d’autres - d’empêcher l’émergence de cette nouvelle « stratégie industrielle » considérée à juste titre comme incontournable par MM. Letta et Draghi ? Ce sera le rôle redoutable mais aussi la responsabilité première de la nouvelle Commission de proposer - rapidement - des réponses et des solutions concrètes et innovantes (2)  en dépit d’un contexte et d’un climat politiques particulièrement troublés.   
Les rapports précités considèrent que la poursuite de l’intégration financière est la clé et le prérequis de la réalisation de la « nouvelle stratégie industrielle » européenne - elle même indispensable à la survie de l’autonomie et de la souveraineté économiques de l’Union. Il restera à en convaincre les États - ou plutôt les gouvernements en place - et à y rallier en priorité les trois ou quatre principaux d’entre eux dont le poids financier est déterminant. 
 
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