Le financement incertain de la "nouvelle stratégie industrielle européenne"
C’est en des termes particulièrement et inhabituellement vigoureux voire dramatiques que les rapports Letta et Draghi ont mis en évidence la baisse de la « productivité européenne ». Sous ce terme assez abstrait, il faut entendre le déclin du potentiel économique de l’Union et sa dépendance croissante vis à vis de ses grands compétiteurs américains et asiatiques. Déclin qui, au surplus, met en question la capacité propre de l’Europe à faire face à trois grands défis : l’innovation, le climat et la défense.
L’analyse très détaillée fournie par ces deux rapports ne se borne pas à énumérer les différents facteurs (nationaux, européens et internationaux) de ce déclin. Plus utilement, elle propose une impressionnante série de mesures multisectorielles - regroupées sous l’appellation de « nouvelle stratégie industrielle » européenne.
La capacité de financement publique et privée de ‘UE
Un des points principaux de ce programme concerne la capacité de financement des investissements liés à cette stratégie. Le rapport met crument en évidence les faiblesses de l’ » Union financière » qui la rendent tributaire de canaux et mécanismes de financement extérieurs. (notamment américains) - essentiellement du fait de l’absence de coordination dans la mobilisation de ses propres ressources financières.
Ces faiblesses concernent à la fois les financements publics et privés.
L’insuffisance des financements privés résulte de la très faible intégration des circuits financiers nationaux du fait du retard pris dans l’achèvement du marché intérieur des services financiers et plus particulièrement de l’union bancaire et l’union des marchés des capitaux.
Les causes du blocage
Le constat est bien connu mais les causes - les responsabilités - de ce retard sont trop rarement analysées et dénoncées (1).
La rigidité du budget européen incombe principalement aux gouvernements qui, d’une part, refusent de permettre à l’Union de se doter de ressources propres autonomes et d’autre part limitent leurs contributions budgétaires rendues nécessaires par la faiblesse de ces ressources propres. Il s’agit en réalité d’un blocage de nature politique résultant de la réticence des gouvernements vis à vis d’une émancipation financière de l’Union.
Ce blocage constitue de fait un refus de partage au niveau européen de la souveraineté financière des États qui s’obstinent à l’exercer séparément avec un minimum de coordination inter-gouvernementale. En particulier, les ministères des finances répugnent à l’émancipation d’un pouvoir budgétaire concurrent sur lequel ils n’exerceraient qu’un contrôle partagé et non plus exclusif.
Le recours aux financements privés se heurte à des obstacles similaires. L’intégration des systèmes bancaires et des marchés des capitaux est bloquée par la réticence des gouvernements à harmoniser et mutualiser des réglementations, des mécanismes et des appareils qu’ils gèrent et contrôlent directement. Mais cette intégration est également freinée par les opérateurs eux-mêmes qui, dans chaque pays, protègent leurs prés carrés et leurs intérêts propres et acquis - ou, tout simplement, leurs pratiques et habitudes bien établies, souvent de longue date.
La réticence fondamentale
Toutes ces réticences - publiques comme privées - résultent aussi et plus fondamentalement d’une réticence vis à vis du principe même de l’intégration. Au fil du processus d’élargissement de l’Union, le nombre et la diversité accrus des États membres fait craindre une hétérogénéité, une instabilité et une complexification de l’ensemble qui minent la confiance des responsables publics et privés. Et, en matière financière, ces risques s’avèrent particulièrement paralysants.
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