Comment rebondir avec un gouvernement reposant sur « un accord de non-censure » ?
Depuis la rentrée de septembre le Pacte civique ne s’est pas exprimé, non pas parce qu’il n’avait rien à dire, - au contraire, il y avait beaucoup à dire - mais, le Pacte civique évite les réactions à chaud aussi inutiles que vaines, n’ajoutant rien au débat. En réalité, le Pacte civique ne se départit pas, quand il le faut, d’une parole réfléchie qui s’attache à analyser, avec la distance nécessaire, les lames de fond, plutôt que réagir à l’écume évènementielle. Or ce qui vient de se produire est historique. Trois mois après sa nomination, le Premier ministre est tenu de présenter sa démission après qu’une motion de censure a été largement votée contre le projet de loi de financement de la sécurité sociale à la suite de l’engagement de sa responsabilité conformément à l’article 49-3 de la Constitution et alors que le projet de budget 2025 ne sera pas, de toute évidence, voté. L’unique précédent d’une telle censure du gouvernement remonte à octobre 1962, il y a 62 ans donc ; axé sur l’Europe, il était alors hors contexte de la nécessaire adoption de la loi de finances, et sans aucune pression financière liée à un déficit des comptes de la Nation, devenu abyssal.
Face à cette situation de crise, le Pacte civique ne peut rester silencieux et fait avec la prudence et la réflexion nécessaires des propositions de nature à sortir de cette grave faillite politique, incompréhensible pour un pays qui prétend jouer un rôle moteur en Europe et indécente aux yeux des Français les plus démunis.
Comment en est-on arrivé là ?
A la suite du « coup de poker » manqué de la dissolution de l’Assemblée, la coalition du Nouveau Front Populaire (NFP) a bâti dans la hâte un programme peu crédible, largement démagogique et surtout incompatible avec les engagements européens de la France. A l’issue des élections législatives, le Président de la République n’a pas tenu compte de la réussite de cette coalition qui imposait au minimum une ouverture à gauche. Le gouvernement Barnier, finalement constitué dans la douleur, reposait sur la minorité la plus majoritaire, mais assez hétérogène et peu disciplinée. Il a été d’emblée harcelé par une base parlementaire peu responsable, ayant davantage en tête l’échéance présidentielle de 2027 plutôt que la préparation d’un budget 2025, qui devait tenir compte à la fois des attentes du pays et des contraintes du sévère déficit budgétaire. Sa survie reposait de manière suspecte sur la bienveillance du RN, contre qui le Front Républicain s’était pourtant constitué avec succès. Au manque de légitimité du gouvernement Barnier où le Parti Républicain était largement représenté - alors que ce parti a fait un très faible score aux législatives -, s’ajoute le fait que les partis de gauche considèrent qu’ils ont gagné les élections sur leur programme alors que leur succès, au demeurant relatif, est en fait celui, espéré mais inattendu, du Front républicain. Tous ces non-dits, ambigüités et dysfonctionnements, ajoutés les uns aux autres, témoignent d’un manque d’éthique dans l’exercice des responsabilités politiques et ne pouvaient aboutir qu’à la crise politique que nous connaissons. Celle-ci est aggravée par une défiance citoyenne croissante envers les institutions, le personnel politique et la démocratie elle-même, avec une montée d’un populisme délétère.
Le Pacte civique, à de nombreuses reprises, a analysé les causes de ce malaise qui mute progressivement en faillite politique et morale. L’extension du populisme est une mauvaise réponse à des questions que les démocraties n’ont pas su résoudre : le malaise social, le mécontentement croissant des classes moyennes, le relativisme et la crise du sens. L’effondrement du communisme, la perte d’influence des Eglises, l’éducation à l’émancipation ne sont plus là pour sublimer les maux dans une espérance politique ou spirituelle. Les opinions sont, de ce fait, prêtes à se livrer aux fabricants de promesses fondées sur la liquidation de boucs émissaires clairement identifiés : immigrés, élites, Union Européenne.
Trois voies sont possibles
Dans la présente situation politique, trois voies sont possibles, entre lesquelles le débat doit se poursuivre pour bien en mesurer les conséquences respectives.
a. Rappeler que les progrès démocratiques prennent du temps et passent souvent par des phases chaotiques. Les difficultés actuelles pourraient être l’occasion d’une prise de conscience de certains membres parmi les plus lucides et les plus courageux de la classe politique et mener progressivement à la constitution de coalitions plus respectueuses, passant par des négociations visant à construire des compromis résultant de discussions responsables. Elles pourraient aussi favoriser la construction collective d’une démocratie plus vivante et plus juste (rôle accru d’un parlement préférentiellement élu à la proportionnelle[1] et sachant construire des majorités d’idées ou texte par texte). C’est l’hypothèse optimiste. Mais les comportements actuels ne la valident pas.
b. Prendre le risque de passer par une phase d’un gouvernement autoritaire et populiste. Ce risque est réel. L’exemple récent des élections américaines montre que ce type de gouvernement peut sortir des urnes dans un contexte de tensions démocratiques. Dans notre pays, l’appel au sursaut républicain pour « faire barrage » pourrait bien cesser de produire les effets à chaque fois attendus.
c. Pour l’heure, dans l’attente de la réalisation - souhaitable mais incertaine - de la première hypothèse, le Pacte civique préconise de faire confiance au gouvernement prochainement désigné pour agir dans le cadre d’un accord de non censure par l’Assemblée nationale, sur un programme limité à quelques sujets majeurs : voter un budget 2025 juste et responsable, peser sur la Commission européenne pour éviter la signature du traité du Mercosur, faciliter l’accès aux soins, définir et mettre en œuvre une politique de transition écologique, achever la discussion parlementaire sur la fin de vie, définir les conditions d’une élection des députés à la proportionnelle, confirmer notre aide à l’Ukraine, participer à la résolution d’une paix juste et durable au Proche-Orient fondée sur la reconnaissance réciproque de deux États. Ce gouvernement citoyen ne serait pas un gouvernement technique mais pourrait faire appel à des talents issus de la société civile organisée.
Par ailleurs, le Pacte civique souhaite avancer l’idée d’une révision constitutionnelle pour éviter à l’avenir le vote d’une motion de censure purement destructive où les ennemis d’hier deviennent les alliés d’un moment pour démolir en étant incapables de construire. Nous proposons d’adopter le principe de la motion de censure constructive qui lie étroitement le renversement d’un gouvernement à la présentation d’un nouveau gouvernement appuyé par la même coalition. Ce mécanisme existe en Allemagne où il a fonctionné par deux fois. Nous reviendrons prochainement sur cette question et les questions d’équilibre entre les institutions qu’elle pose.
Le Pacte civique continue aussi de plaider pour que, en parallèle des réponses de nature gouvernementale et parlementaire, on donne davantage la parole aux citoyens par un processus participatif à définir du type états généraux et/ou conventions citoyennes. On pense aussi aux négociations entre organisations patronales et syndicales dans les entreprises ou par branche professionnelles devant ensuite être consolidées au niveau national. On pense enfin à l’écoute du mouvement associatif qui maille si bien le pays en lui donnant davantage de moyens d’agir. Il ne faut pas attendre la présidentielle pour que les vraies questions soient posées et que des réponses puissent commencer à être formulées. La société civile organisée a des solutions à mettre sur la table.
Nul ne peut se soustraire à ces évolutions. Cela nécessite des capacités particulières de lucidité, de courage, de mobilisation et d’organisation des citoyens. Le Pacte civique y est prêt avec d’autres organisations, notamment celles engagées dans le Pacte du Pouvoir de Vivre dont notre collectif est l’un des fondateurs.
Rejoignez-nous. Il est encore temps d’agir.
[1] L’élection des députés à la proportionnelle n’est certainement pas la solution miracle à tous les maux de notre démocratie représentative (avec la proportionnelle, pas de sursaut républicain possible au second tour d’une élection au scrutin uninominal majoritaire à deux tours). Mais elle a l’avantage de mieux préparer les négociations visant à construire des compromis sur un programme gouvernemental à partir de propositions que chaque parti aura présentées au suffrage, en lieu et place d’un programme bâclé et démagogique élaboré pour constituer une coalition de 1er tour.