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Publié par Patrice Cardot

Dans un article paru dans l'édition du 21.02.09. du quotidien LE MONDE, Louis Gautier, spécialiste des questions de défense, ancien conseiller de Lionel Jospin (1997-2002), professeur de science politique à Lyon-III, fait connaitre sa position sur le retour annoncé de la France dans le commandement intégré de l'OTAN.

Cherchant à nourrir le débat qui s'engage en France autour de cette réintégration, j'ai pris le parti de mettre cet article à la disposition du lecteur.


" Le retour annoncé de la France dans le commandement intégré de l'OTAN ne saurait surprendre. Il est l'ultime étape d'une réinsertion amorcée, en 1994, lors de l'intervention en Bosnie. Depuis, nos forces, au Kosovo ou en Afghanistan, ont été placées sous les ordres de l'état-major suprême de l'Alliance. La France a repris sa place au comité militaire, elle siège dans presque toutes les instances consultatives de l'OTAN. Une centaine d'officiers sont aujourd'hui détachés auprès des commandements de Mons et de Norfolk.

Ce feuilleton finit pourtant en queue de poisson. En effet, depuis la fin de la guerre froide, la France a toujours cherché à concilier l'indépendance de ses choix militaires, ses ambitions en faveur de la défense européenne, et la nécessité, pour les interventions les plus lourdes, d'en passer par l'OTAN. Notre pays fait donc encore bande à part. Il n'assiste ni au comité des plans de défense ni au groupe des plans nucléaires de l'Alliance. Il n'exerce aucune responsabilité hiérarchique dans la structure militaire permanente. Il négocie au cas par cas les règles d'engagement des unités qu'il déploie sous la bannière de l'OTAN, ce qui fut déterminant, en 1999, pour contrôler la campagne aérienne du Kosovo.

Pour François Mitterrand, le retour complet de la France dans l'OTAN, se résumait à une formule : "Nous bougerons quand l'OTAN changera." Après 1995, Jacques Chirac tente une autre approche : "Nous allons changer pour faire bouger l'OTAN." Il conditionne, alors, la réintégration de la France au rééquilibrage de l'Alliance en faveur des Européens. Les Français réclament le commandement Sud. C'est un échec. Pour Nicolas Sarkozy : "Nous bougeons puisque l'OTAN ne change pas." Il n'est plus question de revendication ni de contrepartie. Il s'agit de normaliser la situation de notre pays vis-à-vis de l'Alliance, d'accorder sa position officielle sur ses pratiques. Bref, de rentrer dans le rang en espérant peser davantage à l'intérieur qu'à l'extérieur. Mais en politique étrangère, la clarification n'est pas un but en soi. Dans ce revirement, pour paraphraser le cardinal de Retz, le réalisme affiché ou l'aveu de faiblesse importe moins que de savoir si la faiblesse plie à propos ?

Faisons d'abord litière de quelques illusions. Il y a peu de chance que la réintégration de la France dans l'OTAN fasse, à elle seule, bouger les lignes. Pour l'Alliance et pour nous-mêmes, la réintégration présente concrètement peu d'avantages. Notre contribution militaire et financière aux actions de l'OTAN figure déjà parmi les premières. Les forces françaises subordonnées à l'OTAN obéissent aux mêmes procédures que celles appliquées aux autres contingents. Là n'est donc pas, pour nos soldats, la cause des dysfonctionnements constatés en Afghanistan.

L'obtention d'un ou deux hauts postes d'état-major de l'Alliance constitue un gage appréciable mais bien relatif. Chacun sait que l'influence de la France sur les options stratégiques et opérationnelles de l'OTAN est et restera proportionnelle au partage des risques et aux moyens militaires engagés sur le terrain.

La réintégration ne lève par ailleurs aucune des hypothèques grevant l'avenir de l'Europe de la défense. Celle-ci est bloquée par les vues divergentes des Etats membres en politique étrangère et résulte de leur faible empressement à mettre sur pied une sécurité commune. En rentrant au bercail atlantique, la France peut espérer que la nouvelle administration américaine bénisse (du bout des doigts) la défense européenne. En aucun cas, elle ne peut en attendre la relance.

La défense européenne se plaide à Bruxelles, pas à Washington. Or, au lendemain de la présidence française, bien peu de résultats ont été engrangés, qu'il s'agisse de projets militaires ou de programmes d'armement. La normalisation de notre statut dans l'Alliance ne renforce pas la cohésion européenne ; elle est sans portée sur la coopération militaire entre l'OTAN et l'Union européenne, pour l'heure peu significative.

En revanche, on peut craindre que le retour de la France dans l'organisation intégrée ne soit interprété, dans la plupart des capitales, comme le signe d'une moindre priorité donnée par notre pays à la défense européenne. D'autant que la réintégration devrait se traduire par la mise à disposition de l'appareil pléthorique de l'OTAN de quelque 800 officiers et sous-officiers français, alors que la chaîne militaire de l'UE reste, elle, sous-dimensionnée. La France donne ainsi l'impression de quitter une locomotive européenne qui peine pour s'asseoir dans un des wagons de l'OTAN.

Sans intérêt évident pour l'Alliance, sans contrepartie notable pour la France, sans avantage réel pour l'Europe, pourquoi changer de position ?

Cette décision n'intervient-elle pas de surcroît à contretemps, quand l'OTAN montre une efficacité fort médiocre en Afghanistan et alors que son expansion, loin de favoriser l'unité du Vieux Continent, comme après la chute du mur de Berlin, provoque maintenant des divisions en attisant les tensions avec la Russie ? Dès lors, comment faire du retour de la France dans le giron atlantique une simple formalité ?

Dans un contexte marqué par le changement de l'administration américaine, le moment apparaît surtout propice à un recadrage des missions de l'OTAN. Celle-ci est une organisation militaire. Elle n'a pas vocation à devenir une ONU bis des démocraties. Elle n'a aucune légitimité à se substituer à l'UE sur l'ensemble du spectre des questions de sécurité et de défense. Voilà qui mériterait d'être réaffirmé par la France et... prouvé : par un soutien vigoureux au projet, essentiel pour l'UE, d'un état-major de planification autonome, par l'exigence d'un véritable accès, en cas d'opérations européennes, aux capacités mises en commun dans l'OTAN, par le refus d'accepter que les capacités civiles de gestion de crise de l'UE puissent être mises à disposition de l'OTAN. En outre, le contrôle politique des Européens sur les actions de l'OTAN doit impérativement être renforcé.

Aujourd'hui, les instances civiles pèsent peu face au commandement intégré. Quant à la conduite des opérations, elle reste, quoiqu'il arrive, surdéterminée par le donneur d'ordres américain. Ce mode de fonctionnement politiquement contestable aboutit, comme on le constate en Afghanistan, à la paralysie de l'OTAN car les gouvernements européens
échaudés multiplient à tort et à travers les restrictions d'emploi de leurs troupes en opération.

L'aménagement de la sécurité européenne implique enfin une relance des pourparlers avec Moscou, qu'il s'agisse du partenariat stratégique offert par l'OTAN ou des négociations bilatérales entre l'UE et la Russie qui ont un intérêt commun à faire du Vieux Continent une zone de stabilité et de coprospérité. Les Européens doivent éviter d'être associés, via l'OTAN, à des querelles qui ne les concernent pas directement, comme en Asie centrale. Nous avons avec les Etats-Unis l'essentiel en partage mais nous avons parfois des différences d'appréciation et des divergences d'intérêts qu'il serait déraisonnable de taire.

Au bout du compte, c'est donc moins la place de la France dans l'OTAN qu'il est urgent de clarifier que le rôle et le fonctionnement futur de l'Alliance dans un XXIe siècle déjà malmené par les crises. "

 

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