La crise, l'eurozone et l'intégration politique : le « coming out » de l'Economist et du Financial Times
Les crises font - en définitive - progresser le processus d'intégration politique européenne. Ce phénomène,
maintes fois constaté dans la brève histoire de l'UE, va-t-il se reproduire à l'occasion de la crise financière actuelle ?
Telle est du moins l'opinion développée par certaines sources, y compris réputées « eurosceptiques », comme l'Economist.
Dans deux éditoriaux successifs « Charlemagne » (J. Rennye) relève que la crise oblige les États à une coordination de plus en plus étroite de leurs
réactions à la crise - et que seule l'UE peut protéger les Européens dans ces circonstances :
a - dans son édition du 7 février 2009, « Charlemagne » considère que, pour protéger la zone Euro, les institutions et les États membres sont
amenés non seulement à coordonner plus étroitement que jamais leurs opérations de sauvetages financiers - voire industriels - mais également à concevoir de nouvelles initiatives non expressément
prévues par les Traités et jusqu'ici sur la seule compétence de ces États membres.
Ces initiatives reviendraient - de facto - à mettre en œuvre certains éléments d'une politique économique commune (par exemple, une coordination des
politiques budgétaires nationales) permettant à l'Union monétaire de traverser la tempête financière actuelle.
La théorie « fonctionnaliste » du développement de l'intégration européenne (l'intégration acquise dans un secteur entraînant nécessairement celle
d'autres secteurs liés au premier) et de son accélération à l'occasion des crises (économiques ou politiques) serait ainsi une nouvelle fois démontrée...
b - dans son éditorial du 5 mars 2009, « Charlemagne » énumère les raisons pour lesquelles l'existence même de l'UE rend improbable un
renouvellement du scénario des années 30 :
1 - « La bonne santé de la démocratie libérale et multipartite. »
2 - « Les liens qui unissent les politiques nationaux autour du modèle libéral, libre-échangiste et
internationaliste. »
3 - « Le consensus sur la nécessité de défendre les droits fondamentaux » et la possibilité de «
traduire en justice ou de menacer de suspension » les États violant ces droits.
4 - « L'UE prône la solidarité internationale et l'interdépendance. »
5 - « L'UE est un compromis permanent entre des intérêts opposés et constitue un rempart contre
l'extrémisme. »
« Charlemagne » ajoute : « Cela ne rend pas toujours Bruxelles populaire auprès des électeurs. Mais cela nous rend reconnaissants que l'UE
existe. »
Simultanément, dans un article du Financial Times du 3 mars 2009, Gedeon Rachman (ancien « Charlemagne » de l'Economist) déclare : « I am
ready to retire as a Eurosceptic. » L'article est intitulé : « L'euroscepticisme est une croyance du passé. »
L'auteur rappelle les raisons qui ont jusqu'ici motivé son euroscepticisme notoire mais déclare que la crise économique (et le changement climatique)
l'ont amené à prendre conscience de l'importance de l'acquis communautaire, de la nécessité de préserver notamment le marché unique contre les tendances protectionnistes des États membres.
Il considère que l'UE est le « meilleur exemple de gouvernance internationale » et qu'il revient à « une Commission affaiblie de maintenir le
cap face aux gouvernements nationaux pris de panique. » Il conclut en reconnaissant qu'il ressent « une certaine affection protectrice vis-à-vis des eurocrates assiégés dans leurs
bastions bruxellois » et que, finalement, « I love Big Brother. »
Il y a décidément quelque chose de changé au royaume de la presse britannique (hors la presse « populaire » bien sûr) dont l'influence sur les dirigeants
n'est pas négligeable.
Acceptons l'augure de cette évolution - tardive - qui sera sans doute une contribution notable aux réflexions des responsables européens dans les
prochaines semaines lorsqu'ils devront définir - à l'échelle européenne et mondiale - les mesures destinées à faire face à la crise d'abord et à consolider les outils et les structures
européennes ensuite.