Sécurité internationale : L'Union européenne n'est-elle pas entrain de se laisser entraîner dans une dynamique susceptible d'en briser l'élan ? - nouvelle édition -
En s'adonnant, avec une crédulité et un empressement qui confinent soit à la soumission du faible au fort,
soit à l'arrogance des ambitieux qui n'ont pas les moyens de leur ambition, à un excès de volontarisme dans la multiplication des engagements de leurs capacités civiles et militaires
sur des fronts et des théâtres de plus en plus étendus et exigeants en termes d'efforts, les Etats membres de l'Union européenne ne sous-estiment-ils pas eux aussi, à leur tour, le risque
d'essoufflement, voire d'épuisement, qu'ils courent en cherchant à être omniprésents sur l'ensemble des théâtres de crises et de conflits où l'absence de stratégie politique responsable de
l'Union - et donc de priorité claires - la conduit à agir (cf. notamment à cet égard l'article intitulé
Embrasements en cascades : quelques interrogations toujours sans véritables réponses ! ).
Les uns comme l'autre semble vouloir faire la course en tête, aux côtés - plutôt que derrière - le leader américain qui reste le premier de cordée incontesté et - depuis peu -
incontestable pour tous, au risque de perdre haleine à la manière de ces nombreux athlètes qui, sur les stades, se sont écroulés avant d'atteindre la ligne d'arrivée pour avoir présumé de
leurs forces en tentant de prendre la foulée des superchampions jusqu'à l'asphyxie !
Hier l'Union européenne a pris la décision de s'engager en Somalie, demain elle s'engagera un peu plus
au Proche Orient, après demain, elle interviendra au Sahel .... (voir à cet égard le site www.bruxelles2.eu )
Il est à craindre que cet excès de zèle excessif finisse par en briser l'élan ! Et que l'indispensable tentative de récupération que celà rendra nécessaire soit d'autant plus
douloureuse qu'ils auront puisé outremesure dans leurs ressources vitales !
Que ce soit au
titre de leur engagement au service des décisions et résolutions de l'Onu, de leur engagement dans les opérations décidées par l'Otan, de leur engagement dans celles décidées par l'Union
européenne, ou de des engagements de leur propre fait, les Etats européens sont sur tous les fronts : Lutte contre le terrorisme international, contre la prolifération des
armes de destruction massive, contre la piraterie maritime, contre la criminalité organisée internationale, ...., opérations de "peacemaking", de "peacekeeping", de
"statebuilding", de "nationbuilding", assistance à la réforme des systèmes de sécurité des Etats faillis, etc ....
En tête dans cette course au trésor, La France et la Grande Bretagne, qui disposent du feu nucléaire et d'un siège de
membre permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unies, et dont les investissements qu'ils consentent à la défense et les capacités opérationnelles dépassent de loin la totalité de
ceux consentis par la totalité des autres Etats membres de l'Union, se pensent encore comme des puissances ! Des puissances intermédiaires .... !
Pourtant, la situation de leur système de défense n'est vraiment plus à la mesure d'une telle ambition !
L'état réel de leurs marines ne leur permet plus d'honorer les engagements internationaux pris par un pouvoir politique aveugle ou aveuglé sans porter - parfois gravement -
atteinte à d'autres dimensions de leur posture permanente de sécurité, celui de leurs armées de l'air dont le taux de disponibilité opérationnelle de leurs aéronefs n'a jamais été aussi bas
depuis leur création, comme la sollicitation à outrance des forces de combat terrestres à qui l'on demande toujours plus, et notamment d'opérer sur le territoire national au profit de
la sécurité et de la sûreté des infrastructures critiques (gares, aéroports, etc.) dans le cadre de la prévention contre le terrorisme à la faveur de plans couvrant l'une et/ou l'autre
des 5 fonctions stratégiques de la sécurité nationale, après avoir opéré dans des conditions extrêmement difficiles sur les théâtres extérieurs, les personnels des unités
"restructurées" qui perdent confiance, comme les redéploiements délibérés des moyens budgétaires vers d'autres priorités, suscitent les plus grandes inquiétudes quant à la persistance d'une telle
illusion !
Une illusion d'abord partagée par la plupart des acteurs des composantes industrielles et militaires de ce qui constitue leur "communauté de défense" au point qu'ils ne parviennent
pas à échapper à la tentation obsédante de courir après cette référence constante au système de défense des Etats-Unis qui constitue encore et toujours " l'alpha et l'oméga ", "
le modèle à copier ", et ce alors même que la nouvelle administration américaine reconnait publiquement qu'il n'est absolument plus adapté au contexte stratégique (cf. par
exemple Gates Cuts Leading to ‘Strategic Drawdown' ).
Une illusion qui resterait sans aucun effet si elle n'était par ailleurs partagée par les acteurs clé des technostructures diplomatiques, nationales et européennes, qui préparent les
décisions de leurs autorités politiques.
Pourquoi alors persistent-ils dans cette voie ?
Leur objectif caché est-il de démanteler les systèmes de défense de manière à " privatiser la guerre " et à " marchandiser la sécurité", que ce soit au nom d'une idéologie néolibérale
poussée à son paroxysme ou au nom d'un pragmatisme supposé, en se contraignant à recourir aux sociétés militaires privées et aux sociétés de sécurité avec les risques nombreux que cette option
emporte (cf. Succès et limites des compagnies de
sécurité ) ?
Ce n'est pas impossible !
Mais peut-être est-ce plus simplement parce que les autorités compétentes de ces deux Etats ont la conviction que leurs très récentes et très ambitieuses réformes
de leurs appareils de sécurité nationale (et de défense) malades à la fois de l'inadaptation de leurs systèmes de force aux besoins qu'exigent le niveau des objectifs de sécurité qu'ils ont
attachés à leur posture permanente de sécurité, des indisponibilités chroniques d'un volume important de leurs équipements opérationnels "utiles", et de l'état de leurs finances publiques, leur
offre dès à présent les garanties de performance et de disponibilité requises pour ne pas avoir à pâtir d'un risque d'essoufflement, et encore moins d'un risque d'épuisement.
Conscients de cet enjeu, les responsables des nouvelles stratégies nationales de sécurité nationale (et de défense) qui
viennent d'être adoptées en France et en Grande-Bretagne proposent de nouveaux modèles d'armée (cf. par exemple La loi de
programmation militaire et la nouvelle politique française de défense et de sécurité, par C. Fontaine et O. Debouzy ) ont cherché à y apporter des réponses pertinentes qui restent encore à être validées par les expérimentations diverses que ne manquera pas de
lui offrir le contexte international.
Pour autant, la mise en place effective de ces nouveaux modèles d'armée, qui débute alors que la multiplication incessante de décisions d'engagement de capacités supplémentaires dans des
opérations sans cesse plus variées et plus nombreuses, suscite de fortes inquiétudes quant à la pertinence des nouvelles postures permanentes de sécurité qu'ils sont appelés à garantir
tant l'hypothèse d'une possible surprise stratégique (qui justifie de facto un certain renoncement à des options dont l'abandon pourrait obérer la performance autant
que l'économie générale de leur système de défense, et plus globalement, de leur système de sécurité) est pregnante.
La multiplication simultanée des engagements de ces
mêmes Etats dans de nouvelles opérations ou dans l'extension d'opérations en cours concourt paradoxalement à légitimer la maintien de la plus vaste panoplie de capacités possible de manière à
pouvoir les engager, le cas échéant, sur un spectre toujours plus large de missions et de tâches (au sens par exemple des missions dites de Petersberg).
L'ensemble de ces acteurs institutionnels ou pricés ont-ils vraiment conscience de ce que la promotion et la défense des "intérêts nationaux", "intérêts stratégiques", "intérêts essentiels de
sécurité", "intérêts vitaux" emportent vraiment aujourd'hui comme distinctions au fond entre les différentes natures d'intérêts ?
Ont-ils véritablement apprécié à leur juste valeur les exigences nouvelles en termes de méthode, de capacités, de ruptures conceptuelles, doctrinales et
organisationnelles, et de retenue diplomatique et politique, qu'imposent non seulement la modification relativement brutale des paradigmes stratégique et sécuritaire mais,
davantage encore, l'amplification brutale de ses effets déstabilisateurs - visibles et masqués - sur les réformes des systèmes de sécurité (et de défense) des Etats et/ou des
Organisations internationales ?
Revisons notre lecture de l'histoire contemporaine relative à l'effondrement de l'Union soviétique ! Lorsque, dans
les années 1970 - 1980, l'URSS a pris le parti de s'engager avec volontarisme dans la course aux armements (initiative de défense stratégique, notamment), elle n'a pas pris
réellement la mesure des impacts du piège que lui avaient tendu les Etats-Unis sur son propre devenir en tant que leader emblématique et idéologique d'un univers et d'un modèle
communistes en proie par ailleurs à des échecs patents sur les plans économique, diplomatique, écologique et sociétal.
Relisons quelques unes des fables de La Fontaine, et
méditons leur morale ! A vouloir se croire plus grosse que le boeuf, la grenouille ....
Nous éviterons alors sans doute de conduire les Européens et l'Union européenne dans une impasse stratégique.
Ne faisons pas courir le risque à nos Etats, et partant, à l'Union européenne dans laquelle ils ont choisi de lier leur destin commun, d'exploser en vol en n'étant en capacité de
"prolonger leur action politique par d'autres moyens" (pour plagier Clausevitz) dans l'hypothèse où une réelle urgence stratégique ou sécuritaire se ferait réellement sentir (ce
qui n'est pas le cas aujourd'hui).
Plus qu'à un risque de perte d'autonomie de nos Etats et de
l'Union européenne en matière de décision politique et stratégique, c'est tout simplement à un véritable risque d'impuissance politique effective que nous les exposerions (cf.
De l'impuissance ! ).
L'alerte doit être donnée ! A ce stade, il ne s'agit plus d'une alerte précoce (selon la terminologie en usage) !
Un sursaut politique doit intervenir sans délais ! Au niveau de chaque Etat, d'abord, et des institutions européennes, ensuite ! Il doit intervenir sur la base d'un constat établi avec lucidité,
responsabilité, volontarisme et .... précaution ! Car l'heure est suffisamment grave pour ne pas ajouter à la gravité !
Affimer que le " retour " de la France dans les structures militaires intégrées de l'OTAN concourt à redonner ses chances à l'Europe de la défense est
risqué, bien que celà fasse néanmoins sens à mulitples égards !
C'est risqué notamment parce que l'Union n'est pas prête à jouer son rôle dans l'architecture européenne de sécurité en refondation ! Notamment parce qu'une Union d'Etats
(militairement) faibles ou en voie d'affaiblissement (ne nions pas l'évidence !) qui privilégie de plus en plus le mode intergouvernemental pour penser, concevoir et agir ne semble
pas en capacité de réveiller une Europe (endormie et) hésitante qui peine à établir son propre système de sécurité pour devenir l'acteur global qu'elle affirme vouloir devenir (quand
elle n'affirme pas l'être déjà avec un certain culot) !
Comment, dans ces conditions, l'Union pourra-t-elle encore affirmer son 'modèle de sécurité' comme 'un modèle de référence' dans la perspective de l'édification, à terme plus ou
moins long, d'un système de gouvernance mondiale légitime, équilibré, efficace, respectueux du droit international et démocratique sur les registres de la stabilité stratégique et
de la sécurité internationale ?
Surtout si aucune réponse consistante - et cohérente vis-à-vis de cette ambition - n'est apportée rapidement aux interrogations nombreuses que soulève le traité de Lisbonne en matière
de Sécurité et de Défense, que ce soit en matière de Sécurité nationale ou en matière de Politique de Sécurité et de Défense Commune (cf. les articles de ce blog qui figurent dans le
rubrique Le traité de Lisbonne dans tous ses états ). Il y va aussi de la sécurité juridique de ce nouveau traité
!
Les citoyens européens, qui sont entretenus dans une
atmosphère anxiogène, que ce soit ou non à dessein, sont profondément inquiets. Et le reste du monde aussi ! Que devient la voie singulière de l'Europe quand la France disparait du
monde (cf. Quand la France disparaît du monde, par Nicolas Tenzer ) !
Il est urgent de rassurer les uns comme les autres quant à la compétence de leurs gouvernants à gérer les
questions internationales, stratégiques, diplomatiques et de sécurité avec la lucidité, la sérénité et la responsabilité requises en pareilles circonstances !
Des propositions doivent être rapidement mises sur la table (telles que par exemple, celles que formulent les autorités françaises quant aux suites à réserver au processus de Doha : Propositions de la France relatives aux suites à réserver à la conférence de Doha sur le développement, celles formulées sur ce
blog à propos de l'articulation entre sécurité et développement : Mettre la sécurité au service du développement en la repensant de
manière systémique ou encore celles relatives à la mise en place d'initiatives européennes sur le registre de la sécurité nationale : Peu
à peu la doctrine globale de l'UE en matière de sécurité s'esquisse ! - nouvelle édition - ) !
Ne serait-ce que pour que l'utopie stimulante que constitue le projet d'Union politique demeure vivace, et pour que, plus
globalement, que l'Union européenne ait encore devant elle un avenir serein, que les Européens reprennent espoir en même temps que confiance dans leurs dirigeants et dans la
politique ! Et que la citoyenneté européenne puisse prendre enfin toute sa consistance, sa force et sa pleine mesure !
Au
moment de la mise en place des nouvelles équipes dans les institutions européennes qui auront la responsabilité de mettre en oeuvre les innovations du Traité de Lisbonne, pouvons-nous
espérer être entendu ?
Personnellement, j'en suis initimement convaincu !