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Publié par Frédéric Bobay

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 2.2 – L’« UEM » : un cadre politique et institutionnel qui peut servir de modèle pour la refondation de la politique de Sécurité globale de l’Union européenne

La prise en compte des similitudes entre la monnaie et la Sécurité est de nature à permettre, à titre exploratoire, un éclairage particulier sur l’architecture institutionnelle et le concept stratégique de l’UE pour sa politique de Sécurité (celle-ci étant appréhendée de manière globale et systémique). En outre, les conditions et déterminants historiques d’émergence des dispositions de l’UEM sont, de la même manière, susceptibles de servir de point de référence pour appréhender les évolutions récentes des enjeux de Sécurité au niveau international et au sein de l’UE.

Définition de la Sécurité globale

La Sécurité globale (ou de Sécurité nationale dans son sa portée la plus extensive) recouvre l’ensemble des enjeux de sécurité et de sûreté de tout type.

Ses fonctions se caractérisent en regard de la nature de la menace (intentionnelle, ou relevant de causes accidentelles ou naturelles) et de sa portée (collective ou individuelle) : Fonction « Défense » [1] ; Fonction « Sécurité intérieure & Justice pénale » [2] ; Fonction « Sécurité humaine » [3] ; Fonction « Sécurité civile » [4].

Ces fonctions correspondent à une demande de Sécurité globale, telle qu’elle ressort des besoins objectifs de sauvegarde de la Paix et de la Sécurité, ainsi que des attentes exprimées par les citoyens en la matière. En réponse à cette demande correspond une offre au travers des dispositifs mis en place par les pouvoirs publics permettant de fournir ce service de Sécurité globale.

Sur la base de cette matrice fonctionnelle de la demande, les services publics mis en place pour y répondre relèvent de la procédure démocratique de délégation de pouvoir.

Ainsi, l’organisation, la préparation et le déploiement des forces militaires et civiles (police, justice, diplomatie, …) réalisés dans ce cadre s’inscrit nécessairement dans la perspective de faire respecter le Droit (le Droit interne ou le Droit international), d’assurer la justice et de garantir les libertés fondamentales.

C’est en effet par "délégation constitutionnelle" de pouvoir que les citoyens chargent leurs élus de préparer et mettre en œuvre les forces et dispositifs nécessaires au titre de la Sécurité globale. Cette délégation de pouvoir est conditionnée par le respect des principes fondamentaux relatifs à la justice et aux libertés.

Ainsi, le respect de ces principes démocratiques constitue à la fois le cadre opérationnel des politiques et dispositifs de Sécurité, ainsi que leur condition de légitimité. Pour toutes ces fonctions, un ensemble de textes réglementaires et d’institutions sont chargés d’organiser les responsabilités et les missions des autorités publiques dans le domaine concerné.

Optimisation de l’adéquation entre « offre » et « demande » de Sécurité globale

Cette représentation par fonctions (pour le volet demande) n’induit nullement que l’organisation des dispositifs publics (volet offre) a vocation à coïncider avec cette structure par fonctions[7].

A partir de cette structure, il est possible d’identifier les interdépendances et les transversalités possibles entre les dispositifs spécifiques existants (souvent dédiés à une fonction et à une seule), compte tenu des ressources disponibles, des potentialités de coordination et de complémentarité opérationnelles entre les différents services. Ainsi, la réponse à une menace intentionnelle collective (fonction 'Défense') peut, le cas échéant, nécessiter de mobiliser des ressources qui sont habituellement ou prioritairement habilitées à répondre à un autre type de menace ou de risque, telles que des services de police, de justice ou de sécurité civile. Cela peut être le cas par exemple dans un scénario d’attentat terroriste touchant des populations civiles (cf. les plans ‘Vigirate’, en France).

Ainsi, il convient que les services spécifiques puissent, le cas échéant, contribuer aux missions d’autres services, selon les besoins et les conditions d’urgence au regard des différentes fonctions, du moins dans la mesure où cela maximise l’efficacité.

Plus fondamentalement, se pose la question générale de l’optimisation du développement, de la gestion et de l’emploi des ressources spécialisées (préparation, équipement, entraînement, procédure) et dédiées à des tâches spécifiques. En amont, c’est la conception d’ensemble qui doit assurer les modalités optimales de fonctionnement, compte tenu de l’éventail des menaces et de leur risque d’occurrence.

Pour appréhender les conditions d’optimisation de la planification, préparation et coordination des ressources militaires et civiles, il convient de tenir compte conjointement de trois aspects :

(i) La spécialisation fonctionnelle et la typologie des situations

La mise en place de réponses efficaces aux besoins de chacune des fonctions nécessitent la programmation de ressources spécialisées et dédiées. Ainsi, l’acquisition des équipements, le recrutement, la formation, l’entraînement, l’établissement des procédures et des organisations sont spécifiques et non substituables. La coordination nécessite donc des relations structurantes entre les services spécialisés (police, armée, gendarmerie, justice, sécurité civile…), ainsi que l’identification ex ante des modalités d’apports croisés de ressources et de soutiens opérationnels, selon une typologie de situations.

(ii) La chaîne des déterminants amont-aval

La pertinence d’un dispositif de Sécurité et son efficacité dépendent non seulement de sa bonne mise en œuvre, mais aussi de sa bonne préparation (équipement, entraînement), et surtout de sa bonne élaboration en adéquation avec la doctrine d’emploi et le concept stratégique général. Ainsi, les activités en aval (la mise en œuvre, l’emploi et le maintien en condition opérationnelle) sont d’autant plus pertinentes et efficaces que celles réalisées en amont (conception stratégique, programmation capacitaire) l’auront été.

C’est la raison première pour laquelle le concept stratégique de Sécurité globale constitue le point de départ dont découle logiquement la conception des investissements d’équipement (programmation capacitaire) ainsi que la préparation et l’organisation des moyens de Défense, de Police, de Justice et de Sécurité civile. De même, la doctrine d’emploi est en amont de l’emploi opérationnel. Le respect de cette chaîne des déterminants amont-aval est essentiel pour l’optimisation de l’adéquation entre demande et offre de Sécurité globale.

(iii) La typologie des activités relevant de l’action sécuritaire

Il est usuel de distinguer les activités de Sécurité réalisées sur le territoire et celles qui sont réalisées à l’extérieur de ses frontières. Cette distinction provient du choix du cadre politique et juridique régissant les interventions.

Il est par conséquent indispensable de préciser la typologie des finalités en fonction de la nature juridique des bénéficiaires (citoyens, gouvernements), du système de droit applicable et de la localisation territoriale des interventions (au sein ou en dehors du cadre territorial d’où sont issus les moyens mis en œuvre).

Evolution brutale de la demande de Sécurité globale en Europe

Trois phénomènes ont constitué des chocs structurels sur la demande de Sécurité globale en Europe, telle qu’exprimée par les citoyens et compte tenu des besoins objectifs.

(1)   Disparition des menaces militaires classiques justifiant la Défense collective de l’Europe

Les menaces militaires classiques, du type de celles qui avait prévalu lors de la période de guerre froide et qui ont suscité une demande de Défense collective au travers de l’OTAN, semblent avoir disparu sur le continent européen. En conséquence, la structure de l’équilibre offre/demande de la fonction Défense s’en est trouvée considérablement modifiée.

Cette évolution a rendu l’offre de Défense collective soudainement inadéquate en l’état et justifié son ajustement (d’où les initiatives de Berlin +, Riga, Prague, Strasbourg, et/ou celles visant à l’établissement d’un nouveau concept stratégique de l’OTAN).

(2)   Substitution des missions de « Sécurité globale » à celles de « Défense globale » à la suite des attentats terroristes de Madrid et de Londres

La nouvelle donne des attentats terroriste constitue un choc notable de demande de Sécurité, auquel l’offre a du également s’ajuster. Dans cette perspective, la caractéristique sans doute dominante est que la nature des menaces, bien que relevant de la fonction Défense (intentionnelle et de portée collective) procède par des voies essentiellement civiles et non militaires. Ainsi, la fonction Défense s’en trouve considérablement affectée dans le sens de l’impératif de la transversalité civilo-militaire de la nouvelle offre.

Ainsi, c’est bien au travers de la coordination et de la mobilisation de l’ensemble des services participant à la matrice de Sécurité globale (ou de Sécurité nationale) qu’une réponse efficace peut être structurée en regard de la nouvelle donne. En effet, outre les ressources militaires, celles relevant des services de police, de justice et de gendarmerie, comme celles relevant de la Défense et de la Sécurité civiles sont susceptibles d’être mobilisées à tout instant (cf. les plans Vigipirate en France).

De même, de nouvelles dispositions sont prises en matière de protection des grands enjeux économiques (transports, communications et technologies, réseaux économiques vitaux tels que l’énergie ou l’eau, systèmes financiers) face à la nouvelle menace. Au total, le principe de l’application à la Sécurité des trois composantes de la défense - militaire, civile et économique - s’en trouve d’un coup radicalement accentué et renouvelé.

(3)   Accentuation de la concurrence et de l’interdépendance internationales résultant de la libéralisation et mondialisation de l’économie.

Au-delà des avantages de la globalisation et de la libéralisation de l’économie mondiale au cours des années 1990-2000, un ensemble de nouveaux défis en découlent, touchant à la sécurité. Ainsi, en particulier en lien avec la dimension économique de la fonction Sécurité, de nouvelles composantes de risques et de menaces apparaissent ou s’accentuent progressivement, avec notamment :

 -        Enjeux de concurrence : confidentialités des informations économiques, commerciales et technologiques (intelligence économique), par exemple, en cas d’appels d’offres internationaux.

 -        Enjeux de souveraineté économique : assurer les approvisionnements en ressources économiques essentielles (énergie, matières premières, capital humain…) ; contrôle étranger d’entreprises stratégiques par le biais financier (prises de participation) ; les divergences d’intérêts entre grands groupes privés et les Etats au travers des enjeux d’emploi et de stabilité sociale ; la sauvegarde de la base culturelle et linguistique de l’économie et de la société.

 -        Enjeux des activités illégales et dangereuses : la base économique et financière des réseaux de terrorisme et de mafia, les activités de trafics illégaux (drogue, armes, êtres humains…), les activités de fraudes (fiscale, emploi, copies industrielles…) et de blanchiments d’argent, l’immigration clandestine.

 -        Enjeux de la base industrielle et technologique des activités de sécurité et de défense (BITD) : le dimensionnement à taille critique des actifs industriels stratégiques en matière d’armement et de technologies militaires, en lien avec l’impératif d’indépendance stratégiques des ressources capacitaires.

 -        Enjeux de résilience : la capacité à prévenir et faire face aux risques systémiques du type crises financières internationales (avec risques de défauts de paiements en chaîne de banques à banques), aux chocs conjoncturels d’ampleur importante (crise énergétique, choc climatique, choc sanitaire telle qu’épidémie ou épizootie…), aux tensions structurelles tels que l’épuisement des ressources naturelles ou les effets externes de pollution (développement durable).

 -        Enjeux de sûreté du système productif : sécurité sanitaire et alimentaire, prévention des risques industriels, etc.

Ces risques et menaces ne sont pas nécessairement nouveaux mais l’ouverture économique mondiale et les interdépendances les rendent plus aiguës ou d’ampleur plus significatives. Le niveau accru de sensibilité et fragilité des systèmes économiques constitue ainsi une évolution des besoins de Sécurité globale.

Au total, ces trois phénomènes qui modifient les besoins de Sécurité globale en Europe induisent la nécessité d’un ajustement de l’offre dans le sens d’une plus grande transversalité des dispositifs en place au regard des fonctions de Sécurité globale.

Sécurité globale européenne sur le modèle de l’UEM : du Policy Mix au Security Mix

De nombreuses dispositions visant à l’adaptation de l’offre à la demande de Sécurité ont été prises par l’UE et les Etats membres au cours des dernières années. Si ces démarches constituent des atouts importants pour l’UE, elles apparaissent insuffisamment abouties. Tout d’abord, les perspectives de la PESD sont cantonnées à des activités principalement assimilables à une exportation de « bien de Sécurité » au profit de gouvernements et de citoyens étrangers plutôt qu’au bénéfice direct des citoyens européens. En outre, les conditions de réalisation ne fournissent pas toutes les garanties de crédibilité pourtant nécessaires à l’efficacité de l’action de l’UE. Par ailleurs, les dispositions prises pour faire face aux nouvelles menaces ne s’inscrivent que très partiellement dans le cadre d’une approche intégrée de Sécurité globale ; la persistance des cloisonnements traditionnels des différentes fonctions s’additionnant à celle des cloisonnements entre politiques menées par les Etats membres rendant particulièrement complexe l’établissement des sauts qualitatifs de performance attendus d’une optimisation de leurs interactions et de leurs transversalités.

Pourtant, l’offre de Sécurité globale pourrait être ajustée à la demande exprimée par les citoyens Européens pour tenir compte à la fois des chocs sur la demande et des différentes conditions d’optimisation. Il s’agit d’identifier les possibilités de coordination entre les Etats membres en application du principe de subsidiarité. En effet, les nécessités de transversalités dans la planification des différents types de forces et les besoins de coordination des services mobilisables (justice, etc.) constituent des perspectives importantes de gains d’efficacité où le niveau européen a une valeur ajoutée.

La mutualisation des mécanismes amont de programmation et planification au niveau de l’Union, alors que les opérations aval relèvent des Etats membres, constitue une voie essentielle de saut qualitatif pour l’ajustement de l’offre de Sécurité. En effet, il convient de veiller au sein de l’UE au bon déroulement amont-aval de la chaîne de structuration de l’offre. De ce point de vue, la coordination et la mise en commun au niveau de l’UE de l’amont est une condition irréductible de l’efficacité conjointe des actions des Etats membres en aval.

Ainsi, en attribuant à une Union politique et citoyenne (U.P.C.) dotée d’un cadre institutionnel approprié la mission de définir le concept stratégique de Sécurité globale européen et d’organiser les coordinations ex ante en prenant en compte les transversalités qui existent - et qu’il importe désormais d’optimiser - entre les quatre fonctions qui la caractérisent, les conditions d’efficacité des activités de Sécurité des Etats membres s’en trouveraient considérablement renforcées (la valeur ajoutée de l’UE pouvant être établie au regard des coûts très élevés de la coordination ex post plutôt que ex ante).

Un tel schéma s’apparente à celui qui prévalu lors de la transition vers l’UEM, les similitudes portant notamment sur les conditions historiques d’émergence et le diagnostic des circonstances initiales, l’existence d’un choc systémique amenant la substitution d’une production interne à l’UE à une importation d’un cadre externe du bien public cible (stabilité monétaire, sécurité globale), de même que l’UEM résulte notamment (via le Serpent et le SME) de la disparition du régime de Bretton Woods, et que la production en interne - par l’euro et la BCE - d’une stabilité monétaire s’est substituée à une stabilité importée de celle du dollar (via son rattachement à l’or), la caducité de l’importation dans l’UE de l’offre américaine de Sécurité au travers de l’OTAN qui résulte de l’effondrement de la menace soviétique et du déplacement des moyens de l’OTAN autour du nouveau pivot stratégique des relations internationales (la zone Asie-Pacifique).

La comparaison peut être portée plus loin en s’intéressant à l’architecture institutionnelle pouvant être induite par cette démarche  (cf. à cet égard, notamment, les différents éléments du tableau objet de l'article de ce blog intitulé : Eléments de comparaison entre l’UEM et la Sécurité globale européenne .


[1] La fonction « Défense » a pour objet d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population. NB : Dans l’Ordonnance de 1959 portant organisation générale de la Défense, en France, il est précisé que la fonction « Défense » comporte trois piliers : la Défense militaire (assurée par le ministère de la Défense), la Défense civile (ministère de l’Intérieur) et la Défense économique - ou la dimension économique de la défense (ministère des Finances). 


« Le ministre de l’intérieur prépare en permanence et met en œuvre la défense civile. Il est responsable à ce titre de l’ordre public, de la protection matérielle et morale des personnes et de la sauvegarde des installations et ressources d’intérêt général. Il prépare, coordonne et contrôle l’exécution des mesures de Défense civile incombant aux divers départements ministériels. »
(Article 17).


« Le ministre chargé des affaires économiques oriente aux fins de la Défense l’action des ministres responsables de la production, de la réunion et de l'utilisation des diverses catégories de ressources ainsi que de l'aménagement industriel du territoire. […] L’action du ministre chargé des affaires économiques s’étend à la répartition primaire des ressources […], ainsi qu’à la fixation des prix et à l’organisation des opérations commerciales d’importations et d’exportation. » (Article 18)

 

NB  : Voir à cet égard : Connaissez-vous le Code de la défense ?


[2]
La fonction « Sécurité intérieure et Justice pénale » s’attache à la protection des personnes morales et physiques, considérées individuellement, et de leurs biens, et consiste donc surtout à prévenir et à traiter les situations d’insécurité provoquées par des actes intentionnels relevant d’une qualification criminelle ou délictueuse.


[3]
La fonction « Sécurité humaine » s’attache à la gestion à l’échelle d’une collectivité humaine des risques, y compris systémiques, mettant en péril la vie ou l’intégrité physique des membres de cette collectivité.


[4]
La fonction « Sécurité civile » s’attache à la protection individuelle des personnes morales et physiques en cas de catastrophes accidentelles (industrielle, par exemple) ou naturelles (tremblement de terre, inondation…).

 

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