3P - La lettre défense de l'IRIS - N°4
ÉDITO
Symbole du « printemps arabe » la place Tahrir vient de revêtir des atours dignes de Tian An Men. L’agora où s’exprimaient les espoirs d’un monde trop longtemps opprimé par ses
généraux, ses oligarques, ses mollahs, s’est muée en champ de bataille « huntingtonien ». Les guillemets s’imposent car l’affrontement qui s’est produit entre Egyptiens chrétiens et
musulmans dément l’unicité d’un ensemble arabe trop facilement résumé par le penseur américain sur l’Islam.
En revanche, la dimension religieuse, structurante de la théorie du choc des civilisations, confirme tragiquement sa primauté du Maroc à l’Irak. En quelques jours, les
fondamentalistes musulmans viennent de doucher les espoirs de ceux qui rêvaient déjà d’un espace de libertés partagées de part et d’autre de la Méditerranée. Vingt-quatre morts sur la
place Tahrir dans les rangs des Coptes. Ils n’avaient d’autre tort que de manifester contre les pogroms dont ils sont régulièrement victimes de la part de leurs concitoyens musulmans.
Scènes de guérilla urbaine à Tunis autour de Nessma TV : la chaîne a osé adopter une ligne éditoriale laïque et diffuser un film dans lequel Allah est représenté.
Bien entendu tous les oiseaux de mauvais augure, ceux qui assurent depuis des mois que l’Islam ou le monde arabe ne sont pas faits pour la démocratie, jubilent : il fallait que bien
que cela arrive, que l’Occident redescende sur terre… Cela n’a rien de réjouissant, mais on ne saurait leur donner tout à fait tort. Car une fois encore nos sociétés ont pêché par
excès d’enthousiasme. Dans le tourbillon des révoltes, des appels à la liberté, nous avons oublié ce que quelques dépêches d’agences de presse, quelques articles rappellent
régulièrement à ceux qui scrutent cet « arc des crises » : l’intolérance, le racisme, ne sont pas l’apanage exclusif du méchant descendant de colon franchouillard ou du sioniste
fanatique incendiaire de mosquée. Combien d’églises brûlées au Pakistan, en Irak, en Egypte ? Combien de fatwas contre ceux qui réclament un peu plus de modernité ? L’auteur de ces
lignes se rappelle d’une dépêche AFP lue à l’antenne d’une radio de la communauté musulmane française : elle rapportait les tentatives désespérées des immigrants venus d’Afrique
sub-saharienne pour traverser au plus vite l’Egypte et gagner Israël, où il est moins difficile d’être noir. Pour une fois il ne fallait surtout pas reprendre l’AFP !
Sortons enfin du politiquement correct et de l’angélisme. Toutes les révolutions arabes ne méritent pas notre appui inconditionnel. Leurs leaders doivent d’abord donner des gages
vis-à-vis des minorités, laïcs, chrétiens, juifs, féministes, homosexuels… Ne pas exiger un discours clair dès à présent, c’est se rendre complice de drames à venir.
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