Coup de projecteur sur quelques enjeux de la réforme en cours de l'Alliance atlantique passés sous silence - première partie -
Comme le souligne Laurent Zecchini dans son article publié dans
l'édition du quotidien Le Monde en date du 11 mars 2009, "la messe atlantiste est dite".
Pour autant, le processus de réforme de l'Alliance atlantique qu'a inauguré, sur un plan formel, sous les
feux de la rampe, le très important sommet de Strasbourg-Kehl qui a commémoré, les 3 et 4 avril 2000, le 60ème anniversaire de l'Alliance, emporte de très nombreux enjeux de
caractère géopolitique, macroéconomique, géostratégique qui ont été occultés dans le débat public qui s'est progressivement instauré sur cette question ; un débat qui s'est
malheureusement focalisé, au cours des premières semaines de l'année 2009, sur la question de la réintégration par la France dans les structures militaires intégrées de l'OTAN
!
Cet article - en deux parties - a pour objet de mettre en lumière ces enjeux. Il résulte d'une analyse transversale, conduite en toute indépendance d'esprit, des réflexions les plus diverses et les plus contrastées qui sont présentées sur ce blog.
A moins de 2 semaines du sommet de Lisbonne qui va consacré le nouveau concept stratégique de l'Otan, et alors que la France et le Royaume Uni viennent de signer deux traités importants sur les registres de la sécurité et de la défense, manifestant leur volonté commune de modifier en leur faveur les rapports de force au sein de l'Otan comme au sein de l'Union européenne, en même temps que la donne stratégique attachée à la dimension nucléaire militaire, il m'est paru important de remettre un coup de projecteur sur quelques enjeux de la réforme en cours de l'Alliance atlantique passés sous silence.
L'analyse qu'il présente se limite aux quatre grands enjeux suivants :
- ceux qui sont attachés à la révision du concept stratégique de l'Alliance,
- ceux qui sont attachés à la densification de son architecture institutionnelle et à sa restructuration organique,
- ceux qui sont attachés à la question de l'intégration éventuelle de la France aux deux groupes auxquels elle ne participe pas aujourd'hui, et notamment au groupe des plans
nucléaires,
- enfin, ceux qui sont attachés à la responsabilité politique et démocratique du Président de la République sur un sujet qui relève de la souveraineté
nationale.
La révision du concept stratégique de 1999 :
La convergence des objectifs stratégiques et de sécurité attachés aux nouvelles stratégies de "sécurité nationale" américaiine, britannique et française, ou à la nouvelle stratégie de "sécurité"
allemande, dont la politique de défense ne constitue qu'un élément parmi d'autres, et qui élargissent la sécurité à de nouveaux registres dans une démarche qui vise à consacrer dans une réponse
globale le constat d'interconnexion des différents facteurs d'insécurité qui mettent en péril la sécurité nationale, intervient alors même que l'Otan prête de plus en plus d'intérêt à une approche globale de la gestion des crises (« total
approach ») sur les théâtres où elle est engagée ou envisage d'être engagée ; notamment depuis qu'elle est en proie à de profondes difficultés en Afghanistan, et que le niveau d'insécurité
s'accroît sensiblement dans ses zones d'intérêts stratégiques (multiplication et durcissement, dans le Caucase notamment, des menaces pour la sécurité d'approvisionnement énergétique de ses
membres, multiplication des Etats faillis et des risques et meances qui en résultent, réémergence de conflits gelés, prolifération multiforme des techonoligies sensibles et des armes de
destruction massive, etc.).
Elle trouve dans le document révisé de la stratégie européenne de sécurité, et dans l'introduction de clauses
opportunes dans le traité de Lisbonne des leviers appropriés pour une convergence rapide des autres partenaires européens de l'Alliance sur ce même cap qui rendrait alors possible la conclusion
d'arrangements entre l'Otan et l'UE qui autorisent l'Alliance à recourir aux moyens civils de l'Union ("Berlin plus « inversé »"), en réciprocité aux arrangements dits de "Berlin plus" qui
autorisent l'UE à recourir aux capacités de planification militaire de l'Otan pour mener une opération autonome, sous la contrainte du respect des trois critères qui, du point de vue des
États-Unis, doivent conditionner la validité de la démarche européenne sur le registre de la sécurité - y inclus la PESD - (non duplication, non discrimination, non decoupling), et plus
encore de ceux qui s'y sont substitués en 1999 après la révision du concept stratégique de l'Organisation (improvement, inclusiveness, indivisibility) ; contrainte qui participe à
entamer les marges d'initiative et d'autonomie des Européens en faveur de l'émergence d'une sécurité européenne commune appréhendée dans sa forme la plus extensive, dans le respect le plus strict
des aspirations souveraines des peuples européens à être protégés sans que soit porté atteinte ni à leur droit inaliénable de libre arbitre en toute circonstance, ni aux valeurs et aux
principes qui constituent le socle de leur identité collective et de leur modèle de civilisation).
Cette situation nouvelle crée des conditions favorables à une refondation du concept stratégique de l'Alliance,
articulé jusqu'ici sur un objectif de défense collective, sur la base d'un élargissement du mandat assigné à l'Alliance à l'ensemble des enjeux attachés cette fois à sa sécurité
collective pour en faire un système de sécurité paré de toutes les vertus ; une sécurité collective articulée à la fois sur la reconnaissance d'un « continuum » entre sécurité nationale et
défense et sur une solidarité mutuelle des Etats - et Union - parties qui s'exprime sur le plan opérationnel au moyen de formes appropriées de coopération et de coordination des services des
Etats membres compétents en matière de sécurité nationale et de défense (cf. notamment à cet égard l'article Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale
(Commission du Livre blanc) suivant ainsi que les documents et articles auxquels il renvoie).
A condition bien sûr que le Canada, l'Islande, la Norvège et la Turquie souscrivent à une telle évolution
!
Or, la reconnaissance de l'existence d'un « continuum » entre sécurité nationale et défense appelle à s'interroger
sur l'existence ou non d'une possibilité pour les protagonistes nationaux de la sécurité nationale de trouver dans un recours au cadre militaire le moyen d'agir (connaître et anticiper, prévenir,
dissuader, protéger, intervenir) en s'exonérant le cas échéant des exigences démocratiques et juridiques attachées à la subordination des activités de sécurité au respect des codes de droit et de
procédures judiciaires et/ou à leur contrôle parlementaire et juridictionnel, à l'instar des dispositions dérogatoires introduites dans le traité de Lisbonne relatives aux compétences de la Cour
de Justice dans des matières ayant de très fortes implications en matière de sécurité nationale (cf. notamment l'article de Christian Girard intitulé « La tentation
sécuritaire » paru dans la revue DEFENSE et SECURITE COLLECTIVE, n°131, pp. 51-53).
Dès lors, la clarification des environnements constitutionnel et juridique des stratégies et des architectures qui
sont dédiées à la sécurité nationale est une pressante obligation autant pour l'Union européenne en tant que telle que pour ses États membres, l'une comme les autres devant veiller au respect le
plus strict des principes démocratiques, de l'état de droit, ainsi que des droits et des libertés fondamentaux. Aussi doivent-ils s'attacher à éviter toute appropriation de principes de droit et
de modes d'actions (doctrine d'emploi, règles d'engagement) inspirés par d'autres modèles de sociétés et d'autres objectifs de sécurité que ceux visés par le processus d'intégration politique
européenne depuis son origine.
La densification de l'architecture institutionnelle et la restructuration organique de l'organisation : l'objectif de rationalisation des structures de cette organisation qui a
été réaffirmé à plusieurs reprises, dès lors qu'il est envisagé dans le contexte de tensions extrêmement fortes sur les budgets de défense avec le double souci d'une non duplication et/ou d'une
interopérabilité des moyens, tend à favoriser la recherche de formules de mutualisation entre l'OTAN et l'Union européenne, y compris en termes de doctrines d'emploi, de capacités d'analyse de
situation, de capacités opérationnelles, voire même, de capacités industrielles ! Sur ce dernier point, le renforcement en cours du partenariat économique transatlantique est de nature à
favoriser la création des conditions favorables à la levée des obstacles de toute nature (tarifaires, non tarifaires) à un accès des groupes industriels reconfigurés sur une base transatlantique
à des capitaux non domestiques, à des technologies sensibles dont les transferts deviendraient possibles ainsi qu'à des marchés captifs élargis à l'ensemble des Pays parties à l'Alliance. Dans la
limite toutefois de ce qu'autorisent les dynamiques de marché comme les contraintes structurelles et macroéconomiques, notamment dans les domaines monétaire et financier (Pacte de stabilité et de
croissance, Taux de change, Balance commerciale, etc.)..
Sur le plan institutionnel, de nombreuses requêtes appellent à l'apparition de nouveaux organes (Conseil politique
et de Sécurité de l'Alliance, sur le modèle du COPS européen, etc.) qui participe à modifier la nature de l'alliance pour en faire une sorte d'Union occidentale sur le modèle de l'Union
européenne. La multiplication des organisations internationales et des institutions et organes qui les accompagnent, dans un contexte où le traité de Lisbonne dote l'Union européenne de la
personnalité juridique, favorise le recours à une représentation extérieure « unifiée » de l'Union au sein des organisations internationales (comme c'est le cas au sein de l'OMC) qui rend
illusoire, au nom du principe d'efficacité et en vertu, en particulier, des dispositions des articles 24, 28, 32, 34 , 37 et 38 du nouveau traité sur l'Union européenne, le respect dans les faits
des dispositions de la Déclaration n° 30 annexée au traité qui stipule que « La Conférence souligne que les dispositions du traité sur l'Union européenne portant sur la PESC, y compris la
création de la fonction de HRAEPS et la mise en place d'un service pour l'action extérieure, ne portent pas atteinte aux responsabilités des ÉM, telles qu'elles existent actuellement, pour
l'élaboration et la conduite de leur politique étrangère ni à leur représentation nationale dans les pays tiers et au sein des organisations internationales. [...] ».
Une telle évolution comporte le risque d'une certaine émancipation politique de cette organisation internationale,
sous un contrôle politique particulièrement complaisant de ses grands Etats, dès lors que lui aurait été confié un mandat de véritable « gendarme polyvalent du monde » - option portée par le
secrétaire général en personne - peu après que Alain Le Roy, le SGA de l'Onu en charge des opérations de maintien de la paix, affirme que son organisation n'est désormais plus en mesure de mener toutes les opérations nécessitées par la multiplication
des crises, fragilisant du même coup l'affirmation, prudente mais révélatrice des enjeux, contenue dans ladite déclaration n°30 selon laquelle « la Conférence souligne que l'UE et ses
États membres demeureront liés par les dispositions de la Charte des Nations unies et, en particulier, par la responsabilité principale incombant au Conseil de sécurité et à ses États Membres
s'agissant du maintien de la paix et de la sécurité internationales »).
Au nom de la
solidarité transatlantique et des engagements contraignants qui en résultent, intervenir militairement là où l'Alliance le jugerait nécessaire, sur l'injonction des plus puissants en son sein,
deviendrait dès lors plus aisé, aucun contre-pouvoir politique et démocratique (notamment parlementaire) ne pouvant s'y opposer le cas échéant ; l'Union européenne, des plus docile, lui
fournissant alors les ressources nécessaires sur les registres où elle dispose d'une capacité d'intervention autonome.
Le meilleur exemple
pour illustrer ce schéma est offert par la guerre en Afghanistan dont rien ne garantit qu'elle ne s'étendra pas très vite ailleurs puisqu'elle a d'ores et déjà franchie les frontières avec
le Pakistan, à la faveur d'une fuite en avant incontrôlée des forces "occidentales" en présence, pour faire finalement courir le risque d'un embrasement généralisé à l'Asie centrale,
d'abord, puis à toute l'Asie, la Chine, l'Inde, et d'autres encore pouvant considérer que cet entrisme « occidental » dans cette région du monde distante de plusieurs milliers de km de
l'Atlantique justifie une évacuation hors zone des plus musclée des forces occidentales en présence ! Tout simplement parce que la réponse à la démesure relève rarement de la mesure
!
Dès lors, le rapprochement de l'Alliance avec la Russie n'en est que plus stratégique, pour la première comme pour
la seconde (cf. à et égard les deux articles suivants : NATO’s budding partnership with
Russia has global implications, by Anders Fogh Rasmussen (Europesworld.org) ainsi que Why NATO and Russia need each other, by Adam Daniel Rotfeld
(Europesworld.org) )
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Pour la seconde partie de cet article, voir : Coup de projecteur sur quelques enjeux de la réforme en cours de l'Alliance atlantique passés sous silence - seconde partie -