De la désignation de Cathy Ashton à la tête de la diplomatie de l'UE
Au moment où la presse européenne s'emploie à souligner les difficultés inhérentes à un tel choix (voir par
exemple, à cet égard, l'article de Jean Quatremer intitulé : Ashton ne répond plus au téléphone européen après 20 heures - http://bruxelles.blogs.liberation.fr/ - ou encore Van Rompuy/Ashton : la presse européenne se
montre très critique à l'égard de leur nomination) l'heure semble venue de tirer, de manière dépassionnée, les premiers enseignements de la désignation/nomination de Catherine
Ashton au poste clé qui vient de lui être confié et des effets possibles, sinon probables, de ce choix sur l'avenir, à court terme, du projet politique
européen.
Regards citoyens a
consacré un premier article à la désignation/nomination de Catherine Ashton d'abord comme Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité de l'UE, par le Conseil
européen, puis comme Vice-Présidente de la Commission européenne en charge des relations extérieures, par le Président de la Commission européenne, en regard des dispositions du Traité de
Lisbonne (cf. Devant les eurodéputés, le premier
grand oral réussi de la baronne Ashton (Marion Van Renterghem, Le Monde)).
D'autres articles sont venus s'y ajouter qui proposent une analyse de sa prestation devant la commission des Affaires étrangères du Parlement (cf. notamment L'audition de Catherine Ashton témoigne pour le moins d'un sérieux manque d'enthousiasme pour la
défense européenne ainsi que Quelques malentendus sur l'audition et la tâche de Catherine
Ashton) ainsi que des évolutions attendues (cf. De l'urgence pour C. Ashford d'étoffer ses compétences en matière de Sécurité et de Défense, et
pour l'Union européenne de répondre aux interrogations qui attendent des réponses urgentes).
Le présent article limitera son investigation aux considérations ayant trait à la Politique de sécurité de l'Union - dont le périmètre exact appelle
encore une définition précise (ce qui est clair pour le moment, c'est que la PSDC en constitue une composante majeure, et que plus généralement, les volets " sécurité " de la PESC y prennent
toute leur place !) - et à son financement 'solidaire' à partir des différents budgets alloués aux institutions de l'Union compétentes (principalement le budget du Conseil et celui
de la Commission).
Nourri, et allant au-delà des analyses antérieures proposées
sur ce blog à propos de ces questions (voir notamment l'article de synthèse intitulé Les innovations majeures du Traité de Lisbonne dans le domaine de la PSDC seront complexes à mettre en oeuvre
! notamment en raison des limites actuelles de la dynamique de l'Union sur le registre de
la sécurité : cf. à cet égard les articles suivants : Où en est
la politique de Sécurité de l'Union européenne ? ; Les limites actuelles de la dynamique de l'Union européenne relative à la Sécurité (1) - nouvelle édition - ; Les limites actuelles de la dynamique de l'Union européenne relative à la Sécurité (2) - nouvelle édition - et
Les militaires européens souhaitent-ils vraiment une politique de sécurité et de défense commune européenne qui ne
se limiterait pas à un 'simple' pilier européen de l'OTAN ?), le présent article met un accent
plus particulier sur les impacts possibles, et parfois craints, de cette désignation/nomination sur les grands dossiers relevant, d'une part, de la PSDC, et d'autre part, de la Politique
européenne des capacités et de l'armement - PECA - (y inclus l'Agence européenne de défense - AED - et la base technologique et industrielle de défense européenne - BITDE -
).
1 - Quels impacts peut avoir le choix d'une personnalité britannique sur ces grands dossiers ?
Si la nationalité britannique de Mme Ashton apparaît à nombre d'observateurs de la vie européenne comme la marque tangible d'un certain "
alignement " de l'action extérieure - à défaut de politique étrangère - et de la politique de sécurité de l'Union européenne sur les thèses et postures britanniques traditionnelles
que d'aucuns ont tendance à ne réduire qu'à un " atlantisme de complaisance " se manifestant à la fois par un alignement quasi systématique du Royaume Uni sur les positions des
Etats Unis, une préférence très nette pour les solutions mettant en scène l'Otan, une conception très " occidentaliste " du projet européen, etc., la personnalité de Mme Catherine
Ashton, telle qu'elle ressort de son parcours professionnel et politique, participe à lui faire crédit d'une relative indépendance d'esprit sur le plan idéologique en
même temps que d'un certain pragmatisme politique, et ce quand bien même l'ensemble de ses états de service ne semblent pas véritablement tous connus, sa promotion fulgurante -
et notamment son anoblissement - devant bien être due à quelques mérites singuliers.
Contrairement à certaines craintes exprimées ici ou là, on peut
penser que, dans l'exercice de ses nombreuses responsabilités, Mme Ashton aura à coeur de faire la démonstration que sa nationalité britannique ne lui interdit en aucune manière de
favoriser des avancées substantielles, et notamment là où jusqu'ici le Royaume-Uni constituait - ou donnait l'impression de constituer - le principal frein à toute initiative.
Quand bien même elle se plait encore à dire publiquement qu'elle reste solidaire de la décision du gouvernement dirigé par Tony Blair (dont elle était alors membre)
d'engager le Royaume-Uni dans une guerre contre l'Irak sans y être autorisé par une résolution du Conseil des Nations Unies, elle ne s'aventurera pas à arguer devant le Conseil
Affaires étrangères et le Conseil européen d'éléments tels que ceux qu'a utilisé Tony Blair devant la commission d'enquête relative aux conditions de cet engagement (cf. L'après-guerre en Irak a été mal anticipée, admet Blair (Reuters)) pour
proposer que l'UE entre en conflit, ouvert ou larvé, avec tel ou tel pays qui n'aurait pas respecté les résolutions du Conseil de sécurité, qui aurait des dirigeants qui lui déplairaient
fortement et qui auraient commis des massacres horribles ! Et la liste de ces Pays là pourrait être bien longue !
Quand bien même les relations
entre son Pays et la Russie ont connu des péripéties qui n'honorent ni le premier, ni le second, elle ne pourra chercher ostensiblement à faire obstacle à l'aboutissement du
processus visant à établir un véritable partenariat stratégique UE-Russie.
Ce n'est pas parce qu'elle est britannique qu'elle oeuvrera
systématiquement au sein du Conseil européen et du Conseil Affaires étrangères pour que la PSDC ne limite ses ambitions qu'à celles que le Royaume-Uni tenta parfois d'assigner à la PESD,
cherchant à n'en faire que la seule composante européenne de l'OTAN (IESD).
Toutefois, comme l'a récemment souligné le Président Walter de
l'assemblée européenne de sécurité et de défense (UEO), le Traité de Lisbonne ne prévoit pas de politique de défense commune. L’UE n’a pas de politique de défense du territoire ou de
défense stratégique et son traité ne contient pas de clause d’assistance mutuelle contraignante au sens classique du terme (cf. Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) : Assistance mutuelle en cas d’agression armée du territoire d’un Etat membre). En
fait, en ce qui concerne la défense commune, l’article 42 du Traité sur l’Union européenne se réfère précisément à l’OTAN ; c’est une des raisons pour lesquelles il importe de se focaliser
sur l’amélioration des relations UE/OTAN d’une part et UE/Etats-Unis d’autre part.
Pour autant, la clause d'assistance mutuelle en cas d'agression armée
est bien dans le Traité, et son interprétation politique et opérationnelle ne tardera pas à se faire jour. Dès lors, Mme Ashton ne pourra invoquer l'article 4 ou l'article 5 de la
Charte de cette Alliance pour appeler l'Union à s'engager dans une quelconque aventure militaire.
Ce n'est pas parce qu'elle est britannique
qu'elle s'opposera à ce que les Etats qui le désirent mettent en place des coopérations renforcées dans le domaine de la PESC (y inclus la PSDC), et/ou intègrent la coopération structurée
permanente.
Ce
n’est pas parce qu’elle est britannique qu’elle s’opposera au financement 'solidaire' de la totalité des volets de la Politique de sécurité de l’UE à partir des
différents budgets alloués aux institutions de l'Union compétentes (principalement le budget du Conseil et celui de la Commission).
Ce
n'est pas parce qu'elle est britannique qu'elle proposera spontanément à ses partenaires au sein de l'Union de développer avec le partenaire stratégique américain des programmes du type F35 - JSF
...., de renoncer à doter l'agence européenne de défense d'un budget pluriannuel et d'un mandat exigeant, de renoncer à mettre en place de véritables politiques industrielle, de
normalisation, de recherche, de développement technologique et de démonstration afin de consolider la BITDE, ou de faire appel à des financements innovants aussi risqués que ceux que
peut parfois inventer et promouvoir la City !
Ce n'est pas
non plus parce qu'elle est britannique qu'elle s'opposera à ce que l'Union définisse sa propre doctrine en matière de coordination et de coopération sur le registre très particulier de la
sécurité nationale, ce qui est fondamental dans la mesure où il s'agit là d'un registre qui recouvre, dans son Pays comme en France, les enjeux de défense nationale.
Enfin, ce n'est pas parce qu'elle est britannique qu'elle ne s'attachera pas à
négocier de manière équitable au nom de l'UE, que ce soit au Proche Orient ou ailleurs.
Naturellement, Mme Ashton veillera aussi scrupuleusement que possible à prendre en compte, autant que celà apparaîtra nécessaire et utile à l'UE, les
positions et éventuelles recommandations que son Pays exprimera au sein du Conseil européen et/ou du Conseil ; des positions dont on peut noter au passage qu'elles évoluent parfois au cours du
temps !
Pour preuve, ce n'est évidemment pas
simplement pour des raisons cosmétiques :
- que le gouvernement britannique a pris le parti, lors du Conseil européen de juin 2007, puis lors des travaux de la Conférence intergouvernementale, de ne pas s'opposer à
l'inscription dans le traité de Lisbonne les dispositions ouvrant la possibilité pour les Etats membres d'entreprendre, selon les formes qu'ils jugent appropriées, toute forme de
coordination ou de coopération entre les services de leurs administrations en charge de la sécurité nationale, alors même que simultanément il requérait toute une série de
opt-out dans des matières connexes,
- et que le ministre des affaires étrangères du gouvernement dirigé par Gordon Brown appelle à ce que l'Union ait une politique étrangère forte (cf.
Pour le ministre britannique des Affaires étrangères, " il est dans
l'intérêt britannique de doter l'UE d'une politique étrangère forte " !)
!!
Le Royaume-Uni, comme la France, n'est plus la puissance diplomatique et militaire qu'elle a été au XXème
siècle ! L'état de son économie, de sa défense, de sa monnaie et de ses finances publiques, sa place réelle sur les échiquiers géopolitique et géostratégique, les très grandes
désillusions (" les embarras, les frustrations, les humiliations " a même déclaré récemment une personnalité britannique en responsabilité) qui ont accompagné ses
engagements militaires les plus récents aux côtés de l'allié stratégique américain, les déceptions qui ont parfois suivi ses choix de coopération en matière de programmes
militaires, l'ont rendu modeste !
Comment Mme Ashton
pourrait-elle ne pas en tenir compte dans le quotidien de son action au service de l'Union ?
2 - Quels impacts peut avoir sur ces grands dossiers le choix d'une véritable 'novice' dans ces
matières ?
Le fait que Mme Ashton soit novice sur
la quasi totalité des domaines où elle dispose désormais d'un statut privilégié ne constitue en aucune manière un obstacle à la prise d'initiatives " heureuses " du point de vue des objectifs et
des intérêts de l'Union dans les domaines où elle sera amenée à exercer se responsabilités !
Ce n'est pas parce que Mme Ashton a milité pendant plusieurs années dans des mouvements hostiles au nucléaire qu'elle se sentira autorisée à plaider l'abandon de l'énergie nucléaire civile dans
l'Union, ou à ne pas examiner avec les instances et experts concernés l'intérêt de doter la politique de sécurité de l'Union d'un concept stratégique incluant la dissuasion
nucléaire.
Au contraire, dans la mesure où, ne pouvant être
soupçonnée de collusions avec tel ou tel groupe d'influence ou d'intérêt, elle devra étudier chaque proposition avec circonspection, sans a priori, et son " oeil neuf " lui
permettra de ne sacrifier ni aux effets de mode, ni aux chants des sirènes !
L'intégrité morale de Mme Ashton, son expérience de la pratique collégiale au sein de la Commission 'Barroso I', sa sagesse et
son habileté diplomatiques, son courage politique et son sens aiguë des responsabilités en font une personnalité de premier plan à même d'exprimer, de négocier et de promouvoir des
positions qui ne seront pas les siennes mais celles de l'Union, des positions qui auront été arrêtées dans les enceintes communautaires
idoines.
Ayant besoin de se faire
une opinion nette et précise avant de trancher lorsqu'elle aura à trancher, elle prendra nécessairement l'avis des services et experts placés sous son autorité, notamment du COPS et du
Comité militaire ainsi que de l'ensemble des comités spécialisés dont les activités entrent dans son champ (cf. à cet égard Mise en oeuvre du Traité de Lisbonne : qui présidera quel comité dans les matières relevant des affaires étrangères et de la
politique de sécurité ?), ceux de think tanks spécialisés (http://bruxelles2.over-blog.com/article-la-psdc-en-4-clics-44035317.html) et probablement aussi ceux de services tout aussi spécialisés mais d'une toute autre nature ... ! En sa qualité de
femme politique expérimentée, elle veillera avec un soin particulir à examiner les résolutions et positions qu'exprimeront les différentes assemblées parlementaires (Parlement européen, Assemblée
parlementaire pour la sécurité et la défense de l'UEO, commissions spécialisées des parlements nationaux). Et elle soumettra ensuite sa position à ses interlocuteurs au sein des instances
communautaires idoines, les processus comitologiques et les règles régissant le fonctionnement du Conseil et de la Commission offrant à cet égard des garanties efficaces. Les positions
communes de l'Union font en effet l'objet de processus d'élaboration, de décision, de mise en oeuvre et de contrôle qui sont désormais bien rodés, quand bien même ils demeurent perfectibles (voir
à cet égard les articles suivants : Du rôle politique du CAG dans la préparation et le suivi des travaux du Conseil européen ainsi que Le droit d'initiative de la Commission européenne).
Mme Ashton inscrira son action dans un mouvement général qui est déjà largement amorcé, la dynamique européenne relative à la politique de sécurité étant d'ores et déjà à l'oeuvre ! Son agenda
est en bonne partie connu s'agissant de la PSDC pour l'année 2010 (cf. notamment La
Lettre de la RMF UE - NEWSLETTER N° XII - JANVIER 2010) !
Sachons raison et espoir garder ! Rien ne pourra s'opposer à ce que l'Union continue
d'avancer, telle un porte-avion poursuivant sa course sur son erre !
Accordons notre confiance à Mme Ashton !
Il lui appartiendra de ne pas la trahir !
Pour cela, il faudra d'abord qu'elle s'entoure de femmes et d'hommes qui oeuvrent sincèrement au service de l'intérêt général européen, et qui n'ont pas
d'agenda caché pouvant nuire aux intérêts de l'Union. Puis, que les institutions européennes mettent à sa disposition les instruments indispensables qui lui font encore défaut : à commencer par
un véritable budget pour la politique de Sécurité qui consacre par sa fontion intégratrice la solidarité européenne au profit des biens publics qu'elle recèle, dans toutes ses
dimensions.
C'est en cours !