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Publié par ERASME

Pendant plus de deux siècles, le monde occidental a vécu « à côté » de « l'Autre » en le regardant comme « inférieur ». Aujourd'hui, alors que les démographes nous prédisent un monde où Américains et Européens mis ensemble ne représenteront qu'un peu plus de 10 % de la population mondiale avant 2050, le monde occidental doit apprendre à vivre « avec l'autre » considéré comme « égal ». Un autre qui a des valeurs, des références politiques et des contextes culturels, qui peuvent être certes différents des nôtres, que nous pouvons ne pas toujours trouver à notre goût, mais dont nous devons respecter la dignité.

Alors que nous entrons dans un « monde post-occidental », nous devons faire un retour sur nous-mêmes. Il y a eu des périodes dans l'Histoire où les civilisations se percevaient comme égales. Il suffit pour s'en convaincre de lire la correspondance des ambassadeurs de Venise décrivant la montée en puissance des Ottomans après la chute de Constantinople ou les mémoires de Matteo Ricci, un prêtre jésuite qui vivait dans la Chine impériale du XVI e siècle, ou même de revenir aux premières années de la Compagnie des Indes avant que les Britanniques n'exploitent la faiblesse d'un empire mongol sur le déclin pour créer leur propre empire durant la période du Raj. C'est ce sens d'équilibre entre civilisations qui a disparu avec la montée de l'impérialisme européen auquel a succédé la « République impériale » américaine.

Aujourd'hui, Américains et Européens doivent repenser la manière dont ils se perçoivent dans le monde ainsi que leur mode d'interaction avec l'autre. Ils se doivent de le faire avec un mélange de modestie, car « ils ne sont plus seuls » sur la planète, et d'ambition, puisqu'ils incarnent toujours un monde de valeurs, d'idées et d'idéaux autour des concepts de démocratie, d'Etat de droit, et de respect des droits de l'homme, qui demeurent largement uniques. Ils doivent aussi être convaincus que ce moment où « Le Printemps de l'Asie » coïncide avec « l'Automne de l'Occident » constitue non seulement un défi mais une opportunité unique pour nous « d'aller à l'essentiel ».

L'avantage comparatif du monde occidental ne réside ni dans la démographie, ni même dans les domaines militaires, financiers et économiques, mais dans celui des idées et des idéaux. Pour la première fois dans l'histoire récente du monde, une grande puissance comme la Chine apparaît sur le devant de la scène mondiale, sans avoir un message universel à offrir. C'est précisément ce message universel, revivifié, retrouvant une dignité et une légitimité nouvelle par le sérieux de nos actions et la qualité de nos dirigeants politiques, économiques et financiers, qui peut constituer l'essence de l'avantage comparatif du monde occidental. Notre capitalisme fondé sur des institutions et des valeurs démocratiques doit retrouver ses lettres de noblesse, qu'il a perdues, victimes de l'addition de la rapacité des uns, de la médiocrité des autres et de l'échec des mécanismes de contrôle.

A la fin du XVIIIe siècle, le début de la période de domination absolue de l'Occident sur le monde coïncide avec l'émergence d'un mouvement intellectuel fondé sur l'idée de progrès, celui des Lumières. A l'époque, le progrès signifiait l'émancipation des êtres humains de toute forme de préjugés et de superstitions et des affirmations des religions établies. Aujourd'hui quelles peuvent être les composantes et les instruments d'une nouvelle « Philosophie des Lumières » adaptée au défi de cette première moitié du XXI e siècle ?

« L'Autre » est le miroir unique de nos forces et de nos faiblesses. Dans un monde où nous serons proportionnellement si peu, notre seule ambition doit être de devenir « une niche d'excellence ». C'est notre seule supériorité vis-à-vis de la Chine, et cela le demeurera si nous pratiquons vraiment ce que nous prêchons. De la même manière, une vision de l'égalité des hommes fondée sur l'individualisme représente notre avantage comparatif par rapport à l'Inde et son système des castes.

Le temps est venu pour le monde occidental de réaliser qu'il vit très au-dessus de ses moyens en termes matériels et très en dessous de ses moyens en termes intellectuels et « spirituels ».

Dominique Moïsi est conseiller spécial à l'IFRI.

PS : Cet article est paru le 31 mai dans le quotidien Les Echos

 

 

 

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