L'idée de créer un Fonds monétaire européen pour secourir un pays de la zone euro fait débat
La France et l'Allemagne ont trouvé un nouveau sujet de débat dans le contexte de la
crise financière grecque. Le gouvernement français,
en effet, voit avec réserve le projet caressé par le ministre allemand des finances de créer un fonds monétaire européen (FME).
L'idée serait de doter la zone euro d'un instrument aussi rigoureux, et
implacable, que le Fonds monétaire international (FMI) pour assainir les comptes d'un Etat de l'Union monétaire menacé de faillite. Elle a été reprise ce week-end par le plus européen des
ministres allemands, le grand argentier Wolfgang Schäuble :
"Pour la stabilité de la zone euro, nous avons besoin d'une institution qui dispose des expériences du FMI et de pouvoirs d'intervention analogues", a estimé le ministre
chrétien-démocrate.
Muscler la surveillance et la coordination
L'initiative a trouvé un écho positif auprès de la Commission européenne. Le nouveau commissaire en charge des affaires économiques et
monétaires, Olli Rehn, se dit "prêt à faire des
propositions en ce sens" d'ici à la fin juin. La création d'une telle institution ne permettra pas d'aider la Grèce à court terme. Mais c'est une façon, selon M. Rehn, de tirer les leçons de
la crise, de muscler la surveillance et la coordination des politiques économiques et budgétaires, le pacte de stabilité ayant montré ses limites.
Ce FME permettrait, sur le papier, de résoudre la quadrature du cercle. Car pour éviter la faillite d'un Etat membre, les dirigeants de la zone euro ne
veulent pas entendre parler d'une intrusion du FMI sur leurs terres. Ce serait une "humiliation", selon Jean-Claude
Trichet, le président de la Banque centrale européenne
(BCE). En cas de crise, la zone euro veut garder la maîtrise des conditions imposées à l'un de ses membres en difficulté, sans partager cette prérogative avec une institution
internationale implantée à Washington.
Depuis la création de l'Union monétaire, voici dix ans, les traités interdisent pourtant de renflouer un Etat membre. Une clause à laquelle les
Allemands demeurent très attachés, et qui complique les tractations en cours pour soutenir Athènes si nécessaire.
L'émergence d'un FME pourrait permettre de "court-circuiter" ce principe de non-renflouement, tout en disposant d'un levier pour imposer des
conditions strictes, voire des sanctions aux pays qui ne respecteraient pas leurs engagements: notamment la suspension des droits de vote dans les instances européennes, ou celle de certaines
subventions.
La discussion ne fait que s'ouvrir. Lundi, la chancelière allemande Angela
Merkel a soutenu du bout des lèvres la proposition faite par son ministre des finances :
"Je trouve cette idée bonne et intéressante", a-t-elle déclaré lors d'une rencontre avec la presse étrangère à Berlin. La crise grecque a, selon elle, montré que "nos instruments ne
sont pas suffisants. La question qui se pose est de savoir comment la communauté européenne peut aider de manière légale et sans difficultés juridiques."
Nouvelle réforme des traités
Mais Mme Merkel reste prudente, soulignant que de nombreux points restent à clarifier : "Quelle indépendance aurait une telle institution à l'égard de la Commission ? Combien d'argent doit être versé ?" Elle estime aussi qu'un tel fonds nécessiterait une modification des traités. Un processus complexe comme l'a montré la ratification chaotique du traité de Lisbonne (cf. Traité de Lisbonne : Les possibilités de révision et d’adaptation des traités).
La prudence de Mme Merkel rejoint celle de la France. A Paris, on considère que cette initiative va dans la "bonne direction". Mais on fait
aussi valoir que la création d'un FME tel qu'esquissé par M. Schäuble exigerait une nouvelle réforme des traités. Ce qui prend du temps. "Il a fallu quarante ans pour bâtir le FMI, cela ne
s'improvise pas", dit un représentant français. Or, la gestion de la crise grecque pourrait, si la situation devait de nouveau se dégrader, nécessiter une intervention dans les prochaines
semaines. "Les problèmes grecs ne nous permettent pas vraiment d'attendre", souligne un expert des questions financières.
L'opposition la plus frontale, est, à ce jour, venue de la BCE. "Un tel mécanisme ne serait pas compatible avec les fondements de l'Union
monétaire", a estimé son chef économiste, l'Allemand Jürgen Stark, dans une tribune au quotidien Handelsblatt, mardi 2 mars : "Ce serait le début d'une péréquation financière, qui pourrait coûter cher,
qui ne stimulerait pas dans le bon sens et qui alourdirait la charge de pays aux finances publiques solides." Plutôt qu'un FME, M. Stark préfère une nouvelle réforme du pacte de
stabilité.
Source : LeMonde.fr