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Publié par Jean Poche

Le Tribunal Populaire Suprême de Chine a récemment soumis les employés des entreprises d’État aux mêmes règles de réserve que les fonctionnaires. Une preuve, s’il en fallait encore, de la volonté des autorités chinoises de contrôler les grandes entreprises nationales. Le but recherché ? Eviter que l’information stratégique ne finisse entre les mains des acteurs étrangers. Dans cette bataille concurrentielle, la Chine s’est également dotée d’une stratégie offensive, destinée à capter l’innovation étrangère. Marie-Pierre Van Hoecke, Chef du pôle recherche & innovation à la D2IE (Délégation Interministérielle à l’Intelligence Economique) avance que cet arsenal a pour objet affiché de rattraper le retard technologique qu’accuse la Chine par rapport aux puissances internationales. D’atelier du monde, la Chine aspire à en devenir le laboratoire, au point de développer un corpus juridico-légal entièrement tourné vers le pillage ou la réappropriation des inventions étrangères : promotion d’un patriotisme industriel agressif, captation du contenu des brevets étrangers, rachat d’entreprises à haut potentiel scientifique, obtention des codes sources de logiciels implantés dans le matériel importé en Chine, alimentation d’une industrie de la contrefaçon… La conclusion de l’auteure est sans appel : à mesure que l’agressivité industrielle chinoise s’accroît, l’Europe se montre de plus en plus laxiste.

L’idée selon laquelle il existe une « bonne manière de traiter avec la Chine, lui faire plaisir, tenir compte de sa sensibilité propre, lui permettre de récrire à sa façon les termes d’un marché, savoir se mettre en retrait afin de ne pas la contrarier ni la provoquer ou s’incliner encore et toujours devant ses très relatifs points forts », rend très ardue la mise en place par l’Occident de relations stratégiques cohérentes avec Pékin. Et, chose tout aussi importante, une telle attitude est néfaste pour la Chine car elle l’encourage à croire qu’elle peut s’intégrer au monde moderne à ses propres conditions. »
Cette phrase de Chris Patten, le dernier gouverneur de Hong Kong, doit nous faire réfléchir. Près de quinze ans plus tard, il faut reconnaître que Chris Patten avait raison : « la mise en place par l’Occident de relations stratégiques cohérentes avec Pékin est très ardue ». Nous devons toutefois faire l’amer constat que, contrairement à ce que prévoyait le gouverneur de Hong-Kong, la Chine s’intègre au monde moderne à ses propres conditions alors que l’Occident continue « à s’incliner encore et toujours » et « à se mettre en retrait pour ne pas la contrarier ». Aujourd’hui, la Chine apparaît comme le modèle quasi achevé de pays qui a mis en place un processus global de stratégie et de partage d’informations entre l’Etat et les entreprises, afin de favoriser son développement par l’innovation.
La Chine, deuxième économie du monde, pays exportateur de biens depuis son ouverture, a basé sa stratégie de croissance et de développement social et économique sur l’innovation. L’article 1 de la loi chinoise sur la science et la technologie, adoptée le 2 juillet 1993 et amendée en décembre 2007, l’exprime clairement : « This Law is enacted in accordance with the Constitution with a view to promoting the progress of science and technology, bringing into play the role of science and technology as the primary productive forces, and promoting the transformation of scientific and technologic advances into practical productive forces, in order that science and technology shall render service to economic and social development. ». Elle est la mise en application du principe édicté par le camarade Deng Xioaping en mars 1978 : 科学技术是生产力 (la science et la technologie sont les forces/ facteurs de production).
La Chine parie donc, de façon évidente et annoncée, sur l’économie de la connaissance pour réussir le défi qu’elle s’est fixé, devenir la première puissance économique mondiale. Cet article se propose d’étudier les mesures que le gouvernement de ce grand pays met en place pour atteindre ses objectifs économiques et industriels. Et comment certains industriels chinois, peu scrupuleux, se développent en utilisant des pratiques plus ou moins frauduleuses.

Le cadre légal permet la transmission d’informations

Le gouvernement chinois a mis en place, ces dernières années, un cadre législatif protectionniste, très favorable aux intérêts de ses entreprises et qui permet aux entreprises d’accéder légalement à des informations plus ou moins sensibles d’entreprises étrangères. On y observe l’émergence d’un patriotisme industriel, notamment en ce qui concerne les fusions-acquisitions par des entreprises étrangères.

Le patriotisme industriel

La réglementation chinoise impose un mécanisme d’autorisation préalable à l’acquisition d’entreprises locales par des entreprises étrangères, qui permet d’informer les concurrents chinois sur les projets des entreprises occidentales. En effet, ce mécanisme d’autorisation mêle, dans un même jury, des représentants de l’Etat et des représentants de la profession. Un industriel étranger se trouve donc souvent évalué par ses concurrents quand il tente d’acheter une entreprise chinoise et obligé de leur fournir des informations sur son process industriel ou son business plan. Cette procédure n’est donc pas une garantie de confidentialité. La philosophie de la démarche du gouvernement chinois en matière d’attraction des entreprises étrangères sur son sol apparaît clairement dans sa loi sur la constitution d’entreprises à capitaux étrangers, les WFOE (wholly foreign owned enterprises), qui n’est, d’ailleurs, pas autorisée en Chine dans tous les secteurs. Une liste précise les secteurs interdits ou restreints. La loi précise également, dans son article 3, que ces WFOE5 doivent « bénéficier à l’économie chinoise, exporter la majeure partie des produits fabriqués en Chine6 ou utiliser des technologies avancées ». On voit déjà se dessiner ici (nous sommes en 2000) la notion d’attraction des technologies de pointe étrangères, nécessaires au développement industriel du pays.

Cette politique est renforcée en 2007-2008, avec l’introduction d’une nouvelle règlementation, qui met fin aux privilèges fiscaux dont bénéficiaient les entreprises étrangères. Dorénavant, seules certaines entreprises à technologie de pointe seront avantagées fiscalement. Un catalogue est publié en 2010, en application de la directive 618 publiée le 17 novembre 2009 par le MoST (ministry of science and technology) , c’est celui des « innovations indigènes » bénéficiant de la préférence nationale pour les achats de l’Etat dans six secteurs : informatique, communication, bureautique, logiciels, énergies nouvelles, efficacité énergétique. Les critères applicables en termes de droits de propriété intellectuelle excluent d’office les entreprises étrangères. Même après un assouplissement, suite à l’unanime protestation internationale, le principe de la préférence nationale restera, quoi qu’il en soit, conservé dans la nouvelle circulaire.

Ce principe était déjà affirmé par la loi sur les achats gouvernementaux de janvier 2003, l’ordonnance du ministère des finances de décembre 2007 et la circulaire 1361 du 27 mai 2009 qui préconisent la préférence à l’achat de produits « chinois » par le gouvernement. En dehors de ces six secteurs réglementés, la préférence nationale s’applique de plus en plus, à tous les niveaux de l’Etat. A titre d’exemple, les dignitaires sont priés de choisir des voitures chinoises en lieu et place de leurs VW ou Audi.

Une « perle » : le concept de ré-innovation

Plus subtilement, la Chine a inventé le concept de « ré-innovation », qui apparaît comme un procédé extrêmement favorable au transfert des technologies occidentales vers les entreprises chinoises. Mais, qu’est-ce que ce concept, cette perle d’inventivité ? La ré-innovation est définie comme l’ « importation, l’absorption, l’assimilation des savoir-faire étrangers ». C’est la méthode que la Chine a choisie en 2006 pour rattraper son retard industriel : elle va déposer des brevets chinois, indigènes, sur les technologies étrangères.

Et la Chine applique consciencieusement son plan. Les dépôts de brevets « domestiques » ont été multipliés par trois entre 2005 et 2010. On peut espérer que les ingénieurs et chercheurs chinois apporteront de petites améliorations aux brevets étrangers « ré-innovés ». Il est permis de craindre que de telles pratiques ne peuvent que contribuer à l’émergence d’une guerre mondiale des brevets. La ré-innovation est la pierre angulaire de la stratégie chinoise de développement industriel par l’innovation.

A côté de ce concept, la Chine envisage deux autres modes d’innovation : tout d’abord, l’innovation originale, i.e. l’innovation créative, celle qui introduit les ruptures technologiques ; il est difficile d’envisager révolutionner tous les process industriels en 15 ans, cette solution concernera un faible pourcentage des brevets indigènes chinois. Ensuite, l’innovation « intégrée », qui couvre les champs de l’adaptation des brevets étrangers aux spécificités chinoises ; cette innovation ne couvrira pas les produits destinés à l’export. Tout est contenu dans cette phrase : « Innovating independently means proceeding from strengthening the country’s innovative capabilities and stepping up efforts at original innovation, integrated innovation, importation, absorption, assimilation, and re-innovation. »
La Chine mise sur l’innovation depuis 1978 comme moteur de sa croissance industrielle et de son développement économique et social. C’est en 2006 qu’un coup d’accélérateur est donné. Le constat que fait Xu Guanghua, alors ministre des sciences et technologies, est simple : à cette époque, plus de 70% des brevets exploités sur le territoire chinois appartiennent à des étrangers. Tant pour des raisons financières (le coût des licences) que pour des raisons de fierté nationale, le gouvernement décide qu’il faut inverser la tendance et qu’en 2020, plus de 70% des brevets exploités en Chine seront « domestiques », donc détenus par des Chinois. Nait ainsi la notion d’ « innovation indigène ». Un plan sur 15 ans est défini, le PRC Medium and Long-Term S&T plan, qui décrit parfaitement la façon dont la Chine compte s’y prendre pour atteindre son objectif.

La loi sur les brevets 2009 introduit la notion de droit du sol sur les brevets

De son côté, la loi sur les brevets de 20099, avec son décret d’application de mars 2010, favorise la captation d’informations confidentielles des entreprises occidentales et semble à même de remettre en cause la stratégie de gestion des droits de propriété intellectuelle (PI) des entités publiques ou privées qui développent des coopérations de recherche en Chine. Son article 20 introduit, comme une sorte de droit du sol, la notion d’invention faite en Chine, i.e. comme celle dont « l’essence de la solution technique a été réalisée en Chine ». Et ce, quelle que soit la nationalité des inventeurs, qui n’ont plus la possibilité de déposer le brevet dans leur pays d’origine sans autorisation préalable. La Chine s’arroge le droit d’effectuer un examen de l’invention avant tout dépôt à l’étranger pendant une durée de six mois.

Dans ce même article 20, il est également question du maintien sous secret des inventions faites en Chine. Si beaucoup de pays disposent d’une protection spéciale des brevets intéressant la défense nationale, la Chine, elle, étend ce droit à toutes les innovations présentant des « intérêts, de l’Etat » ou des « intérêts substantiels ». Cette formulation vague permet toutes sortes d’interprétations et les dispositions peuvent donc s’appliquer, théoriquement, à bon nombre d’inventions.
Après avoir attiré les unités de production de grandes entreprises internationales, la Chine cherche à attirer sur son territoire de plus en plus de centres de R&D d’entreprises, d’unités de recherche publique et leurs activités de transfert de technologies académiques. Dans le même temps, elle impose de manière de plus en plus soutenue le transfert de technologies industrielles pour accepter l’implantation d’entreprises étrangères. Dans ces conditions, on ne peut que se poser des questions sur l’application qui sera faite de ces nouvelles dispositions en matière de droits de propriété industrielle et sur les risques supplémentaires qu’elles font peser sur nos entreprises en Chine.

La politique chinoise de dépôt de brevets « indigènes » risque de multiplier les contentieux dans les années à venir. La Chine a déjà bien compris comment utiliser le système international contre les concurrents étrangers et n’hésite pas à porter devant ses tribunaux des affaires de disputes en brevets ou en copie. Les moyens mis en oeuvre par la justice chinoise semblent, à première vue, heurter les méthodes occidentales. Le soutien du gouvernement chinois semble, lui, ne pas avoir de limite. Quelques affaires emblématiques montrent déjà que la Chine compte utiliser son appareil judiciaire pour défendre les intérêts de ses entreprises (cf Rio Tinto, infra).

La certification des produits contenant des logiciels

La traque de l’information par les autorités chinoises se déroule également dans le secteur stratégique des logiciels.

La réglementation chinoise sur les importations impose, depuis 2003, un marquage CCC (China Compulsory Product Certification11) qui remplace deux autres systèmes de labellisation datant de 1989. Ce marquage de conformité a été étendu en 2009 aux « Information Technology Security Products », ce qui a fait peur à la communauté internationale qui y a discerné une tentative de l’Etat chinois de capter les savoir-faire en demandant les codes-sources de tous les logiciels implantés dans les matériels importés en Chine. Le gouvernement chinois est donc revenu légèrement sur sa décision en :
- certifiant que les codes-sources transmis pour certification ne seraient pas transmis au secteur privé, mais resteraient dans le cercle fermé des fonctionnaires en charge de l’accréditation ;
- fournissant une liste de treize secteurs de produits concernés.

Plusieurs cas sont déjà recensés d’entreprises chinoises arguant de cette réglementation pour demander abusivement à leur partenaire européen la fourniture des codes-sources des produits importés ou coproduits par leur joint venture.

La recherche de l’information sensible en pratique

La formation comme additif aux contrats

Pour pénétrer le marché chinois, il faut non seulement transférer la technologie et fournir les codes-sources des logiciels, mais il faut également souvent fournir des prestations de formation, contexte favorable à la transmission et à la captation d’informations.
Les clients chinois considèrent souvent que la formation est partie intégrante du produit et qu’elle doit être fournie gratuitement. Ces formations peuvent être lourdes et chères et l’ingénierie pédagogique est parfois transférée intégralement.
Dans le secteur du nucléaire, la formation est toujours un additif au contrat. A l’Institut francochinois de l’énergie nucléaire, à Zhuhai, un consortium de cinq grandes écoles françaises forme une centaine d’élèves-ingénieurs chinois au génie nucléaire et au cycle du combustible. Gageons que cet effort humain et financier important rapportera des contrats à Areva.
Cependant, la Chine a plusieurs fois demandé l’aide internationale à la formation quand elle préparait de grands contrats, sans toutefois forcément accorder les contrats au final. Dans le secteur ferroviaire, par exemple, la France comme l’Allemagne ont accordé une aide sous forme de formation à l’exploitation des trains à grande vitesse, espérant remporter une part de l’immense marché chinois. Au final, la Chine a conçu et développé son propre train à grande vitesse.

Le rachat d’entreprises à haut potentiel scientifique

Le schéma est malheureusement classique : une entreprise chinoise rachète une entreprise française à haut potentiel scientifique et technique puis construit en Chine, dans les quelques années suivantes, une usine de capacité de production supérieure à celle de l’usine française. Souvent c’est même l’équipe française qui conçoit l’usine en Chine. L’entreprise chinoise garde ensuite en France une activité de recherche importante qui lui permet de rester en lien avec le monde académique français et d’alimenter son site chinois en innovations.
Racheter une entreprise étrangère qui possède le savoir-faire dont on a besoin est une méthode très utilisée dans le monde entier. Les entreprises chinoises ne dérogent pas à la règle. Mais, quand cette politique est appliquée par les grands groupes d’Etat détenus par le gouvernement, dans les domaines où la Chine a des retards et des ambitions internationales, on comprend que cela correspond à une orchestration du rattrapage technologique par le pouvoir. On peut citer le cas fameux du groupe Blue Star, filiale du groupe d’Etat China National Chemical Corporation, qui a racheté l’activité silicones de Rhodia Silicones, alors leader mondial dans le secteur. Blue Star a ensuite construit en Chine une unité de production d’une capacité égale à celle de tous les sites européens réunis. On peut donc raisonnablement se demander quel avenir existe pour la vente européenne de silicones sur les marchés tiers. Le même groupe Blue Star a appliqué la même méthode au Français Adisseo, troisième producteur mondial de méthionine, utilisé dans la nutrition animale, et a construit à Nanjing une usine de capacité supérieure à l’usine basée en France.

Les techniques frauduleuses ou « border line »

La contrefaçon de produits, conséquence de la captation d’information

La Chine, on le sait, propose à la vente, sur et hors de son territoire, au moins 80% des produits contrefaits du monde, soit environ 8 % de l’ensemble du commerce mondial. En 2011, les douanes françaises ont saisi 8,9 millions d’articles « contrefaisants » et estiment le coût pour la France à 30 à 40 000 emplois par an et 6 milliards d’euros de pertes annuelles pour notre économie. Ces pratiques coûtent cher à l’Europe et il est intéressant de les étudier d’un peu plus près.
D’aucuns, et ils sont nombreux, prétendent que la culture chinoise est une culture de la belle copie, notamment en peinture et en calligraphie, élevée au rang d’art et, donc, du partage de connaissances. Ceci expliquerait son manque d’appétence pour le respect des droits de propriété intellectuelle. Comment expliquer alors que la Chine soit le premier pays à avoir introduit dans son corpus législatif, 700 ans avant notre ère, la notion de secret de fabrication ? En effet, à cette époque la divulgation à l’étranger du secret de la fabrication de la soie ou de l’élevage du ver à soie était punie de la peine de mort. Ce trait de la culture chinoise ne s’appliquerait-il qu’à l’art, quand le secret industriel était, lui, protégé par le plus sévère des châtiments ?
Au-delà de cette explication culturelle contestable, il existe une explication plus simple et nettement plus pragmatique. La contrefaçon représenterait, en Chine, 15 à 30% de la production industrielle et 5 à 6 millions d’emplois, un enjeu économique de taille qui explique pourquoi le gouvernement chinois ne se précipite pas pour lutter contre ce phénomène.
L’autre avantage de la contrefaçon pour la Chine est que, tout en maintenant sa monnaie à un très bas niveau qui favorise les exportations, elle peut proposer à ses ressortissants des produits occidentaux, même s’ils ne sont que des copies plus ou moins réussies.
Et que dire alors de la contrefaçon sino-chinoise ? Le fameux restaurant pékinois « Quanjude » a fait du canard laqué sa marque de fabrique. Il en vend à emporter, sous vide, à 90 Yuan pièce, dans un réseau de magasins alimentaires. Il est victime, lui aussi, de la vente de canards laqués sous vide contrefaits, vendus 15 yuan pièce et de qualité bien médiocre. L’argument de la copie élevée au niveau d’un art ne tient plus quand la qualité ne suit pas.
Outre les anecdotiques canards laqués, quels sont les secteurs touchés par ces pratiques ? Le luxe, bien entendu, et tout son cortège de montres, parfums, sacs, chaussures et vêtements. On les trouve à Pékin dans des échoppes ayant pignon sur rue et on les trouve même maintenant sur les marchés européens.
La plus grosse partie du marché de la contrefaçon chinoise est représentée par la production et la vente de cigarettes de contrebande. Ce segment très lucratif est beaucoup moins puni pénalement que la production de drogue, ce qui le rend très attractif pour les investisseurs peu scrupuleux. La ville de Yunxiao, dans la province du Fujian, produit dans ses quelques 200 usines, la moitié de la contrebande de cigarettes chinoises, qui inonde le marché local et le marché international. Certaines estimations avancent que dans plusieurs régions du Royaume-Unis, le tiers des cigarettes vendues seraient des contrefaçons. Là encore, les copies de cigarettes de marques internationales sont plus ou moins réussies et la qualité du tabac est loin d’être au rendez-vous. En revanche, la qualité de l’emballage s’améliore de jour en jour et les paquets imitent maintenant parfaitement les paquets occidentaux.
Si la santé des fumeurs n’était pas un argument suffisamment convaincant, celle des malades du cancer ou du diabète l’est davantage. Et quand les produits contrefaits sont des médicaments qui, au mieux, ne contiennent pas le principe actif et, au pire, contiennent des produits toxiques qui tuent le patient, les conséquences sont loin d’être anodines. Les pays les plus touchés par la contrefaçon de médicaments sont les pays où le système de santé est mal organisé- ce qui inquiète l’OMS - mais également, et dans une moindre mesure, les pays développés, à travers, notamment, la vente par Internet. La Chine elle-même est touchée par le phénomène. Son gouvernement a lancé une vaste chasse aux sorcières et n’a pas hésité à exécuter, en 2007, pour corruption, Zheng Xiaoyu, directeur de la Food and Drug Administration. En août 2012, 2000 personnes ont été arrêtées et des centaines de millions de comprimés saisis, pour une valeur annoncée de 182 milliards USD. D’après la police chinoise, certains faux médicaments ne contiennent que de l’amidon et de la fécule de maïs, d’autres sont reconditionnés après expiration de la date de consommation, d’autres encore contiennent de la nourriture pour animaux, des pigments chimiques, de la poudre de fer, des produits dopants ou du valium. De quoi nous faire hésiter à acheter des médicaments en ligne sur des sites Internet mal identifiés !

Les imitations

L’imitation de produits est un autre mode de contrefaçon largement utilisé par de nombreuses compagnies chinoises, qui utilisent, pour commercialiser ces produits, des marques ou des noms de produits proches des noms réels.
Dans le domaine de l’électronique, on trouve des téléphones portables de marques « NOKLA » ou « SUMSANG ». En 2012, le « Goophonei5 », clone chinois breveté de l’iPhone 5 avant même sa sortie officielle, grâce à des fuites sur son design, est commercialisé en Afrique. La société hongkongaise qui le fabrique menace Apple de poursuites judiciaires pour contrefaçon. La marque SONY est copiée en SQNY pour l’ensemble de sa gamme de produits, DELL est appelée DALL, IBM LBM et CASIO CASIQ, pour ne citer que ces quelques exemples.
Les marques sportives font l’objet d’imitations multiples. La marque PUMA se retrouve déclinée en KUMA, PAMA, PUNK ou TUNA. Adidas est imitée en Adibas et même conjuguée avec NIKE pour donner RIKEdas.
Les grandes enseignes alimentaires subissent le même sort : CucuCula pour CocaCola ou KFG pour KFC.
Les marques chinoises de shampoing, lessive, boissons et préparations alimentaires ne sont pas non plus épargnées. Quelques internautes dénoncent ces pratiques sur des forums Internet et postent des centaines de photos de produits imités ou contrefaits.
Ces produits ne se retrouvent pas seulement sur le marché intérieur chinois, ils commencent à envahir les marchés tiers, en Afrique comme en Amérique du Sud, privant les marques occidentales d’une partie de leur marché.

Les autorités judiciaires chinoises sanctionnent peu les contrefacteurs

En raison de l’enjeu économique que représente la contrefaçon en Chine, les contrefacteurs bénéficient d’un système judiciaire complaisant. On peut citer, par exemple, l’affaire de la Fiat Panda. En 2008, la firme italienne porte plainte contre la société chinoise Great Wall Motor qu’elle accuse de copie frauduleuse de sa Fiat Panda et obtient l’interdiction de la commercialisation en Europe de la « Peri » chinoise. En 2009, c’est Great Wall Motor qui porte plainte, en Chine, contre Fiat pour vols de secrets commerciaux concernant la même « Peri ». L’allure de la Fiat Panda est si connue en Europe, que personne ne peut imaginer que Fiat ait copié sur la firme chinoise ! Ce dossier tendrait à démontrer, si le lien entre les deux affaires était avéré, que le soutien du gouvernement chinois à ses entreprises, ici un groupe étatique, est sans faille et combien sont importants, y compris à titre personnel20, les risques encourus par les sociétés qui refusent d’en passer par les fourches caudines imposées par le gouvernement chinois. En Chine, le soutien gouvernemental aux entreprises s’appuie également sur des appareils judiciaire et policier aux ordres.

Conclusion

On le voit, pour se procurer des informations, les entreprises chinoises peuvent compter sur les appareils diplomatique, législatif, administratif, policier et judiciaire dans leurs relations avec les entreprises étrangères, sur leur sol comme dans les pays étrangers.
Face à cet arsenal de soutiens on peut raisonnablement se demander si les entreprises européennes luttent à armes égales contre un tel dispositif. Bien que Bruxelles ait adopté une stratégie de défense commerciale en 2011, la commission européenne, plutôt réputée pour sa volonté d’ouverture et sa bienveillance vis-à-vis de la Chine, vient encore de prouver ce penchant libéral dans plusieurs procédures antidumping et antisubventions. En effet, la commission a annulé, en 2012, les dispositions compensatrices prises à l’encontre de fabricants de chaussures chinois, après six ans d’application de la procédure visant à protéger les fabricants européens contre la concurrence déloyale. Mieux encore, la Cour de justice européenne exhorte la commission à rembourser les droits qu’elle a perçus pendant ces six ans ! La même année, la commission persiste et signe l’arrêt de la taxe antidumping appliquée depuis vingt ans contre les briquets à pierre chinois, concurrents des briquets BIC.
On peut se poser une autre question : la stratégie française de la génération d’avance est-elle encore possible ? Entre les délocalisations d’activités de R&D vers la Chine, la nombreuse présence d’étudiants chinois en stage dans les entreprises françaises, le rachat d’entreprises étrangères à haut potentiel scientifique par la Chine et la capacité de rattrapage rapide des firmes chinoises, il semble que cette stratégie ait de moins en moins de chance de fonctionner. Il y a dix ans, les entreprises françaises estimaient avoir au moins cinq ans d’avance sur leurs concurrents chinois. Elles se contentent maintenant souvent de six à douze mois.

Voir également :

 * Du pari des transferts de technologies face au risque de désindustrialisation ! - nouvelle édition -

  * Intelligence économique : comment protéger l'information stratégique ?  

 * La face noire de la mondialisation (Xavier Raufer et Alain Bauer - CNRS Edition)

 *  Le Dessous des Cartes : Atlas géopolitique (Broché)     

 * Manuel d'intelligence économique, sous la direction de Christian Harbulot (PUF)

 * Evolutions récentes du cadre juridique européen en matière de transferts et d'exportations de produits, technologies et équipements critiques du point de vue de la sécurité - nouvelle édition -

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M
En gros, le modèle de développement asiatique est l’exact contraire de la voie suivie par l’Europe d’aujourd’hui, libérale, libre-échangiste et supranationale. La divergence des taux de croissance donne sans doute une bonne indication de la pertinence des deux modèles…
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