La Commission européenne tente de redorer son image en Grèce, par Philippe Ricard et Alain Salles (Le Monde)
Passer du baume au cœur des Grecs afin d'éviter d'être prise pour cible dans la campagne électorale : la Commission européenne a
publié, mercredi 18 avril, une longue communication sur la croissance en Grèce, comme pour faire oublier les efforts d'économie exigés par les bailleurs de fonds depuis la mise sous assistance du
pays, voici deux ans.
Ce catalogue de mesures est censé démontrer que les Européens ne laissent pas tomber une population obligée de payer au prix
fort le naufrage financier du pays. La Commission essaie de distinguer son image de celle de la "troïka" - à laquelle elle participe avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque
centrale européenne (BCE) - auprès d'un électorat qui reste, au fond, plutôt favorable à l'Europe et à l'euro.
Le message sera-t-il reçu, alors que l'issue des élections du 6mai demeure incertaine ? La Commission appelle les dirigeants
politiques et la population à un "engagement d'unité nationale", tandis que les formations hostiles au programme d'austérité ont le vent en poupe, à gauche comme à droite.
La perspective d'une défaite électorale des deux principaux partis - le Pasok et Nouvelle démocratie - qui participent au
gouvernement de coalition dirigé par l'ancien vice-président de la BCE, Lucas Papadémos, donne des sueurs froides à Bruxelles. En ce début de campagne, les deux partenaires de la coalition
continuent de se reprocher leurs responsabilités respectives dans la crise.
MESURES IMPOPULAIRES
La Commission les a brièvement réconciliés. Les deux partis ont fait bon accueil à la démarche de son président, José Manuel
Barroso. Le porte-parole de Nouvelle démocratie a salué l'attention portée à la croissance, tout comme le président du Pasok, Evangélos Vénizélos, qui avait envoyé une lettre à Bruxelles
insistant sur la nécessité de prendre des mesures pour la croissance.
Le premier ministre Lucas Papadémos a lui aussi rendu public, mercredi, un courrier adressé à M. Barroso, présentant ses
"priorités" pour sortir enfin de la récession: le soutien aux petites et moyennes entreprises, le développement des infrastructures (autoroutes), le chômage des jeunes (qui dépasse 50 % chez les
moins de 24 ans), les privatisations et le secteur de l'énergie, sans oublier la réforme de l'Etat. Autant de sujets qui constituent des éléments clés de la communication de Bruxelles, qui
encourage aussi Athènes à mieux utiliser les fonds qui sont mis à sa disposition : sur les 20 milliards d'euros d'aides régionales, pour la période 2007-2013, seulement 8,4 milliards ont été
utilisés.
D'après le texte diffusé par Bruxelles, l'aide financière fournie à la Grèce pour lui éviter de sombrer dans la faillite s'est
élevée à un total de 380 milliards d'euros. Cette somme comprend les prêts accordés par les Etats de la zone euro et le FMI (240 milliards), l'effacement de la moitié des créances détenues par
les banques (100 milliards), mais aussi les aides directes dévolues à la Grèce - quelque 40 milliards. Au final, ces différents soutiens correspondent à 33 600 euros par Grec, soit 177 % du
produit intérieur brut du pays, souligne la Commission européenne.
Cette dernière rappelle qu'elle entend utiliser des fonds européens pour venir en aide aux PME grecques et soutenir l'emploi des
jeunes. Une enveloppe de 4milliards d'euros est identifiée pour aider les entreprises. C'est le rôle de la "task force", mise en place par Bruxelles, en juillet 2011, afin d'aider la Grèce à
mettre en œuvre ses réformes structurelles et à absorber les fonds européens.
La frontière entre les promesses de la Commission et le programme d'ajustement de la "troïka" est parfois mince. C'est un peu
Docteur Barroso et Mister Troïka. Sans attendre le scrutin, la Commission ne résiste pas à fixer la feuille de route du futur gouvernement, quitte à mettre du sel sur les plaies encore ouvertes.
Elle rappelle la nécessité d'un nouvel ajustement budgétaire - de l'ordre de 5,5% du PIB à l'horizon 2013-2014, en plus des engagements pris en échange du second plan d'aide. Et martèle son souci
de voir les salaires baisser de 15 % d'ici deux ans. Autant de mesures impopulaires, qui réduisent la marge de manœuvre du prochain gouvernement grec, et risquent d'enflammer les joutes
électorales.
Voir également : Le FMI se prépare à un reflux du crédit dans la zone euro