La France doit-elle préserver en l'état sa politique de dissuasion nucléaire ? Ma réponse est OUI !
Qui n’y est pas allé en France, au cours des dernières années, d’un pamphlet contre la politique de dissuasion française ?
Qui contre la pérennisation de cette dernière en raison de son inutilité stratégique eu égard à l’impact sur l’évolution des relations internationales de la fin de la guerre froide et de la globalisation stratégique, qui contre le fait qu’elle puisse encore disposer de ses deux composantes océanique et aéroportées en raison du coût trop élevé du statu quo pour le budget de l’Etat et, surtout sur celui dédié à la défense alors que les forces conventionnelles sont soumises à des coupes préoccupantes, qui pour lui préférer le recours à une véritable politique de défense anti-missiles balistiques, dans le droit fil de l’offre américaine …
Quels sont les termes du débat ?
La journaliste Nathalie Guibert (Le Monde), dans un article intitulé ‘La dissuasion nucléaire sans tabou’, pose ainsi les termes du débat :
« La dissuasion nucléaire est un sujet essentiellement discret. Les grands discours présidentiels modèlent la doctrine française depuis 1965, mais le débat public n'atteint pas ce qui constitue le coeur de la souveraineté nationale. Un solide consensus politico-militaire règne.
Or, dans plusieurs cercles de réflexion, des voix commencent à questionner le domaine sacré.
Dans un appareil militaire qui rétrécit, "la part du nucléaire grandit et va grandir. Nous arrivons à des choix extrêmement difficiles entre le nucléaire et ce qui reste pour l'armement conventionnel", a assuré le député (UMP) Yves Fromion, un des rapporteurs du budget de la défense, lors d'une rencontre organisée à Paris par le Groupement des industriels de l'armement terrestre (Gicat), le 18 octobre. "Dissuasion, projection de puissance, projection de forces : que reste-t-il pour chacune de ces missions ?", a interrogé un des hauts gradés de l'armée de terre, dans le même cénacle.
Un débat était organisé à l'Ecole militaire le même jour pour les 4es Rencontres parlementaires de la défense. "Nous assumons aujourd'hui des décisions prises dans les années 1990, mais il va y avoir dans les cinq prochaines années des arbitrages très difficiles", a abondé Louis Gautier, président du club socialiste Orion - Jean-Jaurès (et membre du conseil de surveillance du Monde). "La contrainte budgétaire pèse sur le maintien en condition opérationnelle des équipements, et cette contrainte va s'appliquer à la dissuasion", a précisé un industriel, Patrick Boissier, PDG des chantiers navals DCNS, qui fabriquent les sous-marins nucléaires.
Le débat n'était pas attendu avant le milieu du prochain mandat présidentiel, car c'est en 2015 que doivent être prises des décisions importantes pour préparer la prochaine génération de missiles et de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, à l'horizon 2030. Egalement dans les cinq ans qui viennent, les membres de l'OTAN vont entrer dans des discussions plus tendues autour de l'édification d'une défense antimissile du territoire européen qui, pour certains alliés de la France, doit se substituer à la dissuasion.
La crise financière paraît précipiter les choses. La crainte d'un déclassement stratégique de l'Europe est forte. Des coupes sont annoncées dans tous les budgets militaires européens, qui ont déjà désinvesti 24 milliards d'euros ces treize dernières années. Notamment au Royaume-Uni, seule autre puissance nucléaire européenne. Londres a repoussé à plusieurs reprises sa décision de maintenir ou non ses moyens sous-marins de dissuasion.
En France, les inquiétudes sont vives dans l'armée de terre, qui a déjà été sortie de la dissuasion depuis le démantèlement des armes sol-sol du plateau d'Albion en 1996 et se vit à présent comme une armée de poche. Pour la première fois de son histoire, elle comptera en 2012 moins de 100 000 hommes - le nombre de soldats que les Japonais ont déployés à Fukushima.
Les réflexions actuelles ne portent pas de remise en cause de "l'assurance-vie de la nation". Pour 2009-2014, 20 milliards d'euros ont été inscrits au budget pour rénover les deux forces stratégiques, l'océanique et l'aérienne. Un important cycle de modernisation s'achève. "La France a un arsenal nucléaire cohérent, solide, et payé. C'est un des points de stabilité de notre politique de défense", estime M. Gautier, qui ne voit pas quel homme politique, "après avoir approuvé de telles dépenses, pourrait expliquer qu'il faut s'en passer". Sans en avoir tiré tous les bénéfices politiques sur la scène internationale, la France a en outre arrêté ses essais nucléaires, et réduit son arsenal au nom du principe de la "stricte suffisance" : de 600 têtes et plus de 6 milliards d'euros (31 % du budget de la défense) dans les années 1980, à 300 têtes et 3,5 milliards d'euros (10 % du budget) aujourd'hui.
C'est à une désacralisation de l'arme suprême que pousse la pression financière sur l'outil de défense. Le traité stratégique franco-britannique du 2 novembre 2010 prévoit de mutualiser les installations de simulation des armes, un pas qu'il était impensable de franchir il y a quelques années. Pour sanctuarisés qu'ils soient les moyens nucléaires sont en outre appelés à servir de plus en plus le secteur conventionnel : satellites, technologies navales, missiles, ravitailleurs, chasseurs...
Pendant la guerre du Golfe, François Mitterrand avait refusé d'utiliser les escadrons nucléaires, proposés pour leurs capacités radar notamment. En Libye, Mirage et Rafale de la force stratégique ont assuré une part significative des missions, dans la logique nouvelle de polyvalence des équipements militaires.
Les choix relèvent essentiellement du pouvoir présidentiel, rappelle Bruno Tertrais, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique : "Si le président affirme que la crédibilité de la dissuasion peut être assurée avec moins, elle le sera."
Choisir de passer de quatre à trois sous-marins lanceurs d'engins, c'est-à-dire abandonner "la permanence à la mer" de la dissuasion, serait une rupture. Partager davantage avec les Britanniques en serait une autre. En reprécisant les frontières de la dissuasion, le débat devrait être un moyen d'échapper à la seule équation financière. »
Que doit-on penser de ce qui constitue le « mensonge français » aux yeux de Paul Quilès (cf. http://issuu.com/mvtpaix/docs/pp574/6?mode=embed&layout=http%3A//www.mvtpaix.org/outils/planete-paix/issuu/themes/basicBlue/layout.xml) qui ne peut se satisfaire « de ces approximations, de ces slogans, de ces arguments d’autorité qui entourent aujourd’hui la question de l’armement nucléaire », à savoir :
- La dissuasion nucléaire est notre assurance-vie ;
- La dissuasion nucléaire interdit toute attaque nucléaire ;
- Notre armement correspond au principe de « stricte suffisance » ;
- C’est indispensable pour lutter contre la prolifération ;
- Nous respections le TNP ;
- Nous ne pouvons pas demander le retrait des armes nucléaires tactiques stationnées en Europe ;
- Cet armement ne coûte pas cher ;
- Il assure notre indépendance ;
- Il nous permet de faire entendre de manière permanente notre voix au Conseil de sécurité ;
- Il y a un consensus en France sur cette question. ?
Sur chacun de ces points, il propose qu’il y ait une confrontation avec les tenants de la doxa.
« Le débat a été ouvert le 20 juin. Puis clos début juillet. Le 20 juin dernier donc, l'ex-Premier ministre Michel Rocard lance un Scud retentissant sur le plateau de BFM TV. La dissuasion nucléaire ? Il faut renoncer d'urgence à ce fardeau financier, "16 milliards d'euros par an qui ne servent absolument à rien". Branle-bas de combat à l'UMP comme au PS, qui éreintent la sortie de Rocard. En déplacement à Rio, Fançois Hollande joue les pompiers de service: "Renoncer à la dissuasion nucléaire pour des raisons d'économie budgétaire n'est pas aujourd'hui la position de la France." Et le 4 juillet, pour clore l'incident, le président de la République embarque pendant trois heures dans le sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) Le Terrible, fleuron de la force de frappe française, une première depuis Valéry Giscard d'Estaing. Fermez le ban.
"L'assurance-vie de la France"
"C'est le débat interdit, dénonce le général Bernard Norlain, ancien conseiller militaire de Jacques Chirac à Matignon. La position officielle relève du postulat religieux: la bombe atomique, c'est l'assurance-vie de la France." …. "La remise en cause de la dissuasion menacerait beaucoup d'intérêts chez les industriels, comme Astrium, MBDA ou DCNS, mais aussi dans les armées, poursuit le général Norlain. Le format de la Marine est calibré autour de la mission de dissuasion."
Pour les opposants à la dissuasion, l'arme nucléaire est à la fois dépassée stratégiquement face aux nouvelles menaces (terrorisme, piraterie...) et ruineuse en période de disette budgétaire. Pour les autres, elle est la garantie ultime de la sécurité nationale, mais aussi un argument diplomatique de poids pour rester au Conseil de sécurité de l'ONU. "La dissuasion nucléaire donne à la France le poids politique nécessaire pour parler comme la France doit parler", résumait fin juin le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian.
A quel prix? Un rapport de la commission de la Défense du Sénat aboutissait en juillet dernier au chiffre de 3,4 milliards d'euros sur 2012. Ce chiffre "représente 11% du budget de défense annuel et 1,2% du total des dépenses du budget de l'Etat pour 2012 », écrivent les sénateurs. L'effort financier, maintenu en 2013, n'a guère évolué en euros constants depuis dix ans - 20% des crédits d'équipement militaire -, et affiche une baisse sensible depuis vingt ans, après avoir atteint 5 milliards en 1990. La France a en effet largement désinvesti dans les années 1990, arrêtant le programme de missiles sol-sol Hadès, passant de six à quatre SNLE, démantelant même en 1996 les missiles et les installations du plateau d'Albion.
"Presque bon marché"
Pour les soutiens de la dissuasion, les 3,4 milliards annuels, contre les 61 milliards de dollars inscrits au budget de dissuasion américain, n'ont donc rien de choquant. "Les programmes nucléaires sont gérés au cordeau: les missiles M 51, ASMP-A et le dernier SNLE ont été livrés à l'heure et dans les coûts", souligne-t-on à la Direction générale de l'armement (DGA). "3,4 milliards d'euros, c'est presque bon marché! assurait début juillet l'amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées, devant les députés de la commission de la Défense. La Force océanique stratégique est mise en oeuvre par 3.200 marins, effectif équivalent à celui des agents municipaux d'une ville comme Montpellier."
Pas chère et porteuse d'avenir. Telle est la dissuasion pour ses thuriféraires. Les industriels évoquent les applications civiles des technologies développées pour l'arme atomique: supercalculateurs liés à la simulation de frappes nucléaires, applications médicales du laser Mégajoule, ou lanceurs spatiaux. "Le bureau d'études des Mureaux, qui conçoit Ariane 5, est le même que celui qui développe le M 51", rappelait fin septembre François Auque, président d'Astrium, maître d'oeuvre du missile balistique M 51 qui porte la charge nucléaire.
Le socle de l'indépendance
Les industriels et la DGA assurent aussi que tout relâchement sur la recherche et l'industrialisation des outils de dissuasion entraînerait la perte du savoir-faire français, comme ce fut le cas pour les Britanniques sur les sous-marins. "Il serait déraisonnable de se priver d'un outil qui, pour un budget équivalent à 0,2% du PIB, représente une assurance-vie pour la nation et le socle d'une politique de défense indépendante", juge Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Le problème, c'est que le maintien de l'enveloppe dissuasion dans un budget de la défense en baisse fait peser des risques sur le reste des équipements. D'autant que le nucléaire va coûter plus cher d'ici à la fin de la décennie du fait, notamment, du développement de la prochaine génération de SNLE, prévu vers 2030, et de ses missiles. "Le chiffre devrait augmenter de 10 à 15%", assure-t-on de très bonne source. De quoi faire grincer des dents: "La sanctuarisation de l'investissement dans la dissuasion va menacer les armements conventionnels, alors que nous avons déjà des trous capacitaires dans le ravitaillement en vol ou le renseignement, pointe le général Vincent Desportes, professeur à Sciences-Po. Quelle est la crédibilité de l'arme nucléaire, quand la France ne peut pas faire l'opération en Libye sans les Etats-Unis?"
Renoncer aux missiles ?
L'idée serait de couper la poire en deux. Ne pas arrêter, mais diminuer les investissements. "Pourquoi ne pas passer de quatre à trois SNLE, ce qui représenterait déjà une économie énorme?" s'interroge un gradé sous couvert d'anonymat. "Cette décision de rupture mettrait en péril la permanence d'au moins un sous-marin en mer, une des bases de la doctrine française", répond Bruno Tertrais. D'autres préconisent de renoncer aux missiles embarqués sur chasseurs Mirage 2000 et Rafale. "Ce serait se priver d'une arme utile, flexible et peu coûteuse", rétorque-t-on côté DGA. Selon le rapport du Sénat, supprimer cette composante de la dissuasion permettrait seulement d'économiser 2,6 milliards sur les quinze prochaines années. Rien à voir avec la composante océanique qui, elle, va engloutir 29 milliards d'euros sur la période. » (cf. http://rpdefense.over-blog.com/article-la-verite-sur-le-prix-de-la-dissuasion-nucleaire-112420064.html)
L’Institut français des relations internationales – IFRI – organise depuis plusieurs années un cycle de travaux et de conférences sur la dissuasion nucléaire qui proposent d’autres angles d’attaque des nouveaux enjeux attachés à cette question stratégique majeure (cf. ses Proliferation Papers).
Bien que tous ces arguments apparaissent pertinents à des degrés divers et doivent dès lors trouver toute leur place dans cette complexe équation politico-stratégique, les décideurs légitimes en pareille matière n’auront pas d’autre alternative que d’arrêter une position tranchée qui maximalise à la fois le retour industriel et technologique sur investissement et le taux de couverture de l’assurance stratégique tout en minimisant le risque d’un affaiblissement à la fois du poids politique et diplomatique et de l’armement conventionnel de la France.
Alors que l’Alliance atlantique a confirmé qu’elle entendait demeurer une alliance nucléaire (cf . http://www.regards-citoyens.com/article-l-alliance-atlantique-reste-une-alliance-nucleaire-105530933.html) et que la dissuasion reste au cœur de la sécurité nationale des Etats-Unis (cf. La dissuasion demeure au centre de la sécurité nationale des Etats Unis comme au temps de la Guerre froide ), pour quels motifs la France, qui a fait le choix de réintégrer les structures militaires intégrées de l’OTAN sans pour autant, selon les déclarations officielles, rejoindre le groupe des plans nucléaires (cf. à cet égard http://www.regards-citoyens.com/article-coup-de-projecteur-sur-quelques-enjeux-de-la-reforme-en-cours-de-l-alliance-atlantique-passes-sous-silence---seconde-partie---60193967.html), qui entend conserver son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies, qui a signé en novembre 2010 avec le Royaume-Uni un traité relatif « relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes » qui porte sur le développement, les essais et l'emploi des armes nucléaires, et qui œuvre sans relâche à l’établissement d’une union politique intégrée qui soit autonome sur les plans politique et stratégique, devrait-elle abandonner sa capacité de dissuasion nucléaire stratégique ou la réduire en dessous du seuil de ‘stricte suffisance’ ?
Parmi les positions exprimées à cet égard par les autorités gouvernementales françaises compétentes en pareille matière au cours des toutes dernières années, deux méritent que l'on s'y attarde.
Au cours d'une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN qui s'est tenue au mois d'avril 2011 et qui a permis l'adoption d'un plan de travail et d'un calendrier pour la révision de la posture de dissuasion de l'Alliance, le ministre français Alain Juppé s'est opposé à une réouverture du débat sur le "dosage" entre le rôle de la dissuasion nucléaire et celui de la défense antimissile dans la doctrine de l'OTAN. La France, opposée notamment à l'Allemagne sur ce dossier, avait déjà bataillé ferme l'année précédente pour garantir que le bouclier antimissile ne se substitue pas à l'arsenal nucléaire (pour comprendre les enjeux, voir plus loin). Le ministre français a obtenu gain de cause, ses homologues acceptant de supprimer une phrase litigieuse du projet de texte qui laissait entendre que l'OTAN devait tenir compte de la sensibilité de l'opinion publique.
Alors qu’il était candidat à la présidence de la République, François Hollande a fait savoir sa position à l’égard de la politique de dissuasion nucléaire française par la voie d’un communiqué établi par celui est devenu depuis son ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, et qui stipulait : " François Hollande qui est membre de la commission de la Défense à l'Assemblée Nationale a toujours considéré que la force nucléaire de dissuasion est une garantie de notre indépendance nationale. Il est résolu a en maintenir les deux composantes océanique et aéroportée qui sont stratégiques, complémentaires et indispensables."
Ces deux positions émanant de deux majorités gouvernementales et parlementaires différentes confirment que les autorités françaises considèrent dans leur ensemble qu’en l’état actuel des relations internationales et du contexte stratégique et sécuritaire, la dissuasion nucléaire joue encore un rôle important pour le maintien de la stabilité stratégique autant que pour l'influence de la France dans le monde.
Elles laissent penser que la France entend demeurer cette puissance nucléaire militaire intermédiaire si singulière qui a contribué au temps de la guerre froide à fédérer derrière elle les nations qui ne voulaient pas sacrifier leur indépendance stratégique devant les jeux stratégiques – coopératifs et non coopératifs - des deux superpuissances nucléaires tentées de régir de manière bilatérale les grands équilibres stratégiques et sécuritaires du monde de l’après guerre !
Quand bien même d’autres formes de puissance pourraient apparaître dans les années à venir sur l’échiquier stratégique qui entameraient, en la contournant et/ou en y substituant la leur, la capacité dissuasive des armements nucléaires (notamment certains des armements qui pourraient être produits à partir des technologies convergentes de type NBIC), et quand bien même de nouveaux acteurs pourraient atteindre le seuil de cette capacité, la dissuasion nucléaire demeure indubitablement la fonction stratégique la mieux à même d’asseoir une stabilité stratégique mise à mal par ailleurs par une nouvelle course effrénée aux armements conventionnels sur l’ensemble de l’échiquier mondial à l’exception de l’Europe et de l’Afrique.
Selon Bruno Tertais (cf. http://www.frstrategie.org/barreFRS/publications/rd/2011/RD_201105.pdf) : « Bien des arguments opposables à l’idée des armes conventionnelles modernes comme substitut possible aux armes nucléaires sont également applicables aux défenses antimissiles. Si elles relèvent de la « dissuasion par interdiction », les défenses antimissiles sont à ce titre encore moins crédibles que les armes conventionnelles : on n’est plus dans la logique de la peur des représailles. Si elles relèvent de la « limitation des dommages », les défenses antimissiles ne sont pas susceptibles aujourd’hui d’être opposables à une attaque massive, et ne le seront pas plus à l’horizon prévisible. Si elles ont connu des améliorations spectaculaires au cours des deux dernières décennies, leur coût-efficacité reste discutable. Les États-Unis ont dépensé quelques 100 milliards de dollars depuis trente ans dans ce domaine et continuent d’y investir environ 10 milliards par an. Cet investissement ne leur a permis de bénéficier, aujourd’hui, que de 30 GBI (soit une capacité d’interception limitée à 15 missiles au maximum), 60 SM3, et 30 THAAD. Autant dire que l’idée d’une protection complète du territoire contre une attaque massive reste totalement hors de portée financière. Enfin, à supposer même que la couverture du territoire par les modes de défense (antiaérienne, antimissile balistiques et de croisière) puissent être efficace à un coût acceptable face à une attaque massive, celle-ci ne serait d’aucun secours face à des modes non traditionnels d’emploi de l’arme nucléaire (terrorisme d’État). »
La politique de dissuasion de la France demeure en Europe le dernier rempart pour que le sol européen, qui abrite toujours des armements nucléaires tactiques américains, ne devienne pas le théâtre d’un feu nucléaire déclenché par des belligérants soucieux de sanctuariser leur propre territoire. Elle permet à la France de contribuer de la manière la plus déterminante qui soit, en rendant possible la mise en place en son sein d’une politique de dissuasion concertée, à la constitution progressive d’une Union politique et stratégique disposant des instruments de puissance sans lesquels son autonomie stratégique et son indépendance politique ne sauraient être pleinement garantis.
Quant à savoir si la France doit ou non conserver ses deux composantes océanique et aéroportée pour disposer de cette capacité de « juste suffisance » qui figure au cœur de sa doctrine, la réponse réside dans ce que l’on peut savoir de la vulnérabilité et de la probabilité de pénétration de chacune d’elle, facteurs déterminants de sa crédibilité et donc de son efficacité.
PS : Parmi les travaux dont la lecture permet de mieux appréhender la complexité du débat et les réponses qui peuvent y être apportées, je recommanderai notamment « La dissuasion nucléaire en 2030 » (http://www.frstrategie.org/barreCompetences/proliferations/doc/essaiDissuasion2030.pdf) et « In Defense of Deterrence : The Relevance, Morality and Cost-Effectiveness of Nuclear-Weapons » (http://www.ifri.org/downloads/pp39tertrais.pdf) de Bruno Tertrais ainsi que « Potential Strategic Consequences of the Nuclear Energy Revival » (http://ifri.org/?page=detail-contribution&id=6139&id_provenance=97) de Charles D. Fergusson.
Voir également :
* Introduction à la cyberstratégie, par Olivier Kempf
* Agir face aux nouveaux défis technologiques et organisationnels des conflits modernes
Cet article a été publié une première fois sur ce blog en avril 2013.