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Publié par Paul Auster

 "Les écarts de compétitivité entre les pays sont à l'origine de la crise. Si on ne règle pas ce problème, on ne pourra stimuler ni la croissance ni l'emploi", a récemment déclaré un responsable allemand auquel on demandait quelles étaient les chances de succès du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012.

Cette affirmation péremptoire, qui rencontre l'adhésion la plus absolue des milieux de la finance et des institutions européennes, a quelquechose de gênant en soi quand on sait que l'essentiel des échanges commerciaux des Etats membres de l'Union se font au sein du marché intérieur, et que la compétition entre les économies nationales a toujours été perçue en Europe comme le ressort de la compétitivité de l'économie européenne appréciée de manière globale ! 

Est-il vraiment possible, et si oui, comment peut-on envisager d'améliorer la compétitivité des économies des pays dits du 'club méditerranée' sans trop entamer celle des économies des pays 'vertueux' du nord de l'Europe ?

Quand les personnels qualifiés sont obligés de quitter l'Espagne, la Grêce ou le Portugal pour rejoindre les sites économiques allemands où le dynamisme du marché du travail leur offre un emploi, favorise-t-on vraiment le redressement de la compétitivité l'économie nationale de ces pays en souffrance ? Sans parler des risques de dégradation des droits sociaux des intéressés eu égard au fait, qu'en l'état actuel de l'Union, la mobilité des personnes au-delà des frontières reste confrontée à certains obstacles structurels que ne parvient pas à surmonter l'Union européenne telle qu'elle fonctionne aujourd'hui : les droits à la retraite ne sont par exemple que difficilement transférables d’un pays à un autre.

En astreignant, comme le demande aujourd'hui l'Allemagne, mais aussi, de manière moins appuyée, et en dehors des feux de la rampe, la Banque centrale européenne et la Commission européenne ou encore l'OCDE (Policy Priorities for International Trade and Jobs (OECD - 2012)) et le FMI, les nations les plus fragiles à une amère cure d'austérité et en proposant que les Etats se lient par des engagements contractuels contraignants à la Commission, est-on vraiment certain que le but réellement recherché est de créer les conditions d'un sursaut de compétitivité salutaire pour ceux qui y sont soumis ?  

Bien sûr, tout économiste affirmera avec la plus belle des assurances que réhausser le niveau de compétitivité de tous est possible en créant les conditions d'une compétitivité plus forte à l'égard des marchés extérieurs - non européens - (ce que fait d'ailleurs déjà l'Allemagne - cf. Le miracle économique allemand touche-t-il à sa fin ? entretien avec Manuel Maleki et Gérard Thoris (Atlantico.fr)) y compris en recourant aux transferts de technologies (cf. à cet égard Du pari des transferts de technologies face au risque de désindustrialisation ! - nouvelle édition - ) ; mais en omettant de préciser que les conditions inéquitables de production et de la compétitivité "coûts', l'agressivité et l'agilité commerciales et financières des compétiteurs et les obstacles tarifaires et non tarifaires au commerce international y mettent à mal le contenu social et écologique de cette économie de marché toujours sous le coup des spéculations financières les plus socialement et économiquement irresponsables !

En Europe, le personnel politique, dans sa très grande majorité, partage cette affirmation et plaide en sa faveur auprès de qui veut l'entendre ! Tout en appelant  à la mise en place d'un nouvel ordre international articulé sur un système institutionnel mis plus délibérement qu'il ne l'est aujourd'hui au service d'une gouvernance mondiale salvatrice  (cf. Global Governance is a challenge for democracy (but an EU opportunity), by Pascal Lamy (WTO) ) !    

Cette ambition n'en est plus au stade de la simple utopie ! Des cercles internationaux influents agissent sans parvenir à modifier en profondeur les structures de gouvernance qui perturbent les dynamiques de globalisation à l'oeuvre dans le monde !

Car cette volonté de repenser le monde autrement se heurte encore aux obstacles inhérents au fait que les logiques d'intérêts et de puissance continuent de régir les relations internationales ! La difficulté de réformer le système des Nations Unies - et en premier lieu le Conseil de sécurité - et la difficulté de mettre en oeuvre les différents plans d'action du G20 suffisent à elles-seules pour le comprendre ! 

Ce qui conduit le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz à s'interroger sur les motivations réelles de ceux qui sont aujourd'hui aux manettes de cette gouvernance mondiale en panne (cf. La gouvernance mondiale est-elle au service de l’intérêt général global ? par Joseph Stiglitz - nouvelle édition - ). 

Dans son dernier ouvrage, Joseph Stiglitz affirme - et démontre - que le capitalisme contemporain est inefficace, instable et injuste. Après avoir traité de l'instabilité dans son précédent ouvrage, il s'attaque cette fois-ci à l'injustice. La montée des inégalités sociales n'étant désormais plus contestable, surtout aux Etats-Unis, l'ouvrage s'attache d'abord à en déterminer les causes. La mondialisation y a une lourde part. Elle donne en effet du pouvoir au capital au détriment du travail et accroît les risques d'instabilité : ceux qui y perdent leur travail peuvent ne jamais en retrouver et les gagnants refusent toujours de redistribuer une partie de ce qu'ils gagnent aux perdants, au nom de la compétitivité ("des impôts, vous n'y pensez pas dans ce monde concurrentiel !").

D'autres facteurs sont également à l'oeuvre : la moindre force des syndicats, une gouvernance d'entreprise qui accepte des salaires démesurés, des politiques fiscales en faveur des riches. Et tout cela se combine : ce sont les sociétés les plus égalitaires qui font le plus pour préserver l'équité, les politiques publiques des pays inégalitaires perpétuant la situation.

Or, la montée des inégalités a un coût. Elle nourrit l'instabilité économique : les riches épargnant davantage, quand ils accroissent trop leur part du gâteau, la demande manque ou ne survit qu'au prix d'un endettement déstabilisant ; les riches poussent aux politiques de déréglementation ; ils refusent les investissements publics nécessaires à l'efficacité économique de long terme ; ils bénéficient de rentes qui nuisent à l'efficacité globale.

Mais le coût est aussi politique, avec le recul de la participation électorale, surtout chez les moins bien lotis, la montée du poids de l'argent dans la politique et la capacité des riches à mener une bataille idéologique pour faire passer leurs intérêts particuliers pour l'intérêt général.  (cf. Le prix de l'inégalité, de Joseph Stiglitz )

La Confédération européenne des syndicats, qui réclame l’inclusion d’un protocole de progrès social dans tout Traité révisé, a tenu a souligner à la veille du Conseil européen de décembre 2011, que le projet de l’Union européenne n'unira les Européens que s’il dispose des objectifs et des moyens pour représenter un outil de progrès social. Cela inclut le respect et la promotion des droits sociaux fondamentaux, notamment des droits syndicaux et de l’autonomie de la négociation. L’Europe sociale doit se développer et aller de pair avec l’intégration économique. (cf. Message de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) au Conseil européen(Bruxelles, 8 décembre 2011) )

La situation est à ce point sérieuse que la Confédération internationale des syndicats a jugé indispensable de lancer un véritable audit de l'impact de toutes ces réformes structurelles sur les emplois précaires ! (cf. La Confédération syndicale internationale lance une enquête sur les différentes formes de dérégulation du marché de l'emploi et des droits des travailleurs, notamment en Europe )

Vouloir confier à la Commission européenne, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'a pas su et/ou n'a pas voulu anticiper les différentes crises qui s'annonçaient probablement plus par dogmatisme idéologique que par incompétence au fond, à la Banque centrale européenne et, en dernier ressort, à la Cour de justice européenne lorsque les procédures prévues par les textes seront menées à leur terme, la responsabilité de superviser les réformes structurelles - dont on nous dit qu'elles sont si indispensables au choc de compétitivité de l'économie européenne - et les choix budgétaires nationaux ne témoigne en rien de cette volonté pourtant n+1 fois réaffirmée à grand bruit médiatique de renforcer le processus de démocratisation d'une Union qui pêche encore cruellement sur ce registre fondamental à la faveur des efforts de redressement de la performance de l'économie sociale de marché européenne !

L'absence - relative - de la Commission européenne, en dehors de son soutien à un projet de R&D qui, de facto, n'engage que le moyen-long terme à condition qu'un véritable avenir ait été donné à la filière "acier" en Europe, dans le traitement stratégique du dossier plus que symbolique de l'avenir des sites lorrains (et belges) d'Arcelor-Mittal montre son incapacité à penser une politique industrielle européenne de l'amont à l'aval des filières les plus stratégiques pour l'avenir même de l'économie européenne, quand bien même le partenariat européen d'innovation pour les matières premières (EIP) qu'elle vient de lancer vise à permettre à l'Union européenne de devenir un leader mondial, d'ici 2020, dans l'explorateur, l'extraction, le traitement, le recyclage et la substitution de matières premières.

Son attitude particulièrement laxiste, avec la complicité du Conseil et du Parlement européen, dans la gestion des différents processus d'association et d'élargissement au cours des dix dernières années, sans oublier sa responsabilité dans l'accession de la Grêce et de bien d'autres Etats membres à la troisième phase de l'Union économique et monétaire, a de quoi inquiéter les plus ardents défenseurs de la méthode communautaire ! Qu'a-t-elle fait des conditionnalités qui rendaient acceptables l'association à l'Union de Pays que rien n'autorisait alors à prétendre jouir d'un tel privilège (cf. Retour sur image : de la conditionnalité dans la mise au point d'une stratégie cohérente de l'UE applicable aux relations avec les pays de l'Europe du Sud-Est (1999) ) ?

Sa posture doctrinale à l'égard des aides d'Etat comme l'absence d'instrument de réciprocité efficace en matière de politique commerciale extérieure témoignent de son aveuglement passé devant les atteintes récurrentes aux intérêts économiques et sociaux supérieurs de l'Union européenne et de ses Etats membres !

Plus que jamais, à l'occasion de la révision de ses régimes d'aides d'Etat (Aides d'État : la Commission propose de réformer les procédures en matière d'aides d'État et d'exempter certaines catégories d'aides de l'obligation de notification préalable) et des négociations attachées aux actions et politiques qu'elle entend mener en matière de recherche, d'éducation et d'innovation, elle doit faire la preuve de sa capacité à tirer tous les enseignements de ces crises au travers desquelles les tenants du libéralisme économique le plus cynique poursuivent toujours leur dessein de rendre impuissante toute forme de la puissance publique devant les marchés !

Un juste équilibre doit pouvoir être trouvé entre austérité et croissance ! La dépense publique, quand elle revêt la forme d'investissements productifs ou immatériels, ne doit plus être pointée du doigt comme étant la source de tous les problèmes alors même que la crise de la dette souveraine au sein de la zone Euro procède aussi, pour une part significative depuis 2008, des effets systémiques de la crise de la dette privée et de la spéculation financière (cf. notamment à cet égard L'innovation, un concept qui participe d'une logique économique et financière qui relègue l'intervention publique à un rôle secondaire ) !

Le Parlement européen ne s'y est pas trompé (cf. Le Parlement européen formule des propositions très concrètes en faveur d'un équilibre effectif entre austérité et croissance)

Quant aux sommets européens, ils doivent ne plus faillir à leur mission ! La chose est possible ! Elle semble même bien engagée !

Les analyses expertes et les propositions d'action sont là ! Reste à prendre les bonnes décisions ! En temps et en heure !

Il y a va  non seulement de l'avenir de la cohésion politique et de la solidarité entre les Etats et nations européennes, mais de l'avenir du projet européen lui-même dans ce qu'il a de fédérateur et d'inspirateur pour les générations futures !

Car, in fine, rien n'interdit à un Etat membre de prendre en toute souveraineté la décision de se retirer de l'Union si la nation qu'il sert le juge indispensable à son essor ( Tout sauf les institutions ! Voilà le statut idéal pour les Etats membres de l'Union européenne qui souhaiteraient se dégager des contraintes et dérives d'une Union en crise ! ) !

Les conclusions de la première session du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012 sont rassurantes à maints égards ! Le message semble avoir été entendu !

Pour preuve : " 12. In order for the EMU to ensure economic growth, competitiveness in the global context and employment in the EU and in particular in the euro area, a number of other important issues related to the coordination of economic policies and economic policy guidelines of the euro area will need to be further examined, including measures to preserve the integrity of the Single Market. To this end, the President of the European Council, in close cooperation with the President of the Commission, after a process of consultations with the Member States, will present to the June 2013 European Council possible measures and a time-bound roadmap on the following issues:

a) coordination of national reforms: the participating Member States will be invited to ensure, in line with Article 11 of the TSCG, that all major economic policy reforms that they plan to undertake will be discussed ex ante and, where appropriate, coordinated among themselves.

Such coordination shall involve the institutions of the EU as required by EU law to this end.

The Commission has announced its intention to make a proposal for a framework for ex ante coordination of major economic policy reforms in the context of the European Semester;

b) the social dimension of the EMU, including social dialogue;

c) the feasibility and modalities of mutually agreed contracts for competitiveness and growth: individual arrangements of a contractual nature with EU institutions could enhance ownership and effectiveness. Such arrangements should be differentiated depending on Member States' specific situations. This would engage all euro area Member States, but non euro Member States may also choose to enter into similar arrangements;

d) solidarity mechanisms that can enhance the efforts made by the Member States that enter into such contractual arrangements for competitiveness and growth."

Dont acte ! 

« Que les Européens réalisent que la crise leur offre une occasion formidable et qu’ils s’en emparent avec l’audace voulue, et ils auront toutes les raisons d’être optimistes. »

La lucidité n'interdit pas l'optimisme !       

Voir également :

 * Europe, vers le rebond ?

 * Osons l'Europe ! Mais en empruntant une voie réellement pragmatique et utile ! Une voie qui redonne à l'homme la place qu'il a perdue !  

 * De l'urgence de restaurer l'autorité de compétence et la légitimité de la Commission européenne au sein de l'Union européenne  

 * Tant que les Etats européens s'opposeront par services interposés, l'Union politique demeurera un projet illusoire !

NB : cet article a été publié une première fois sur blog au début de l'année 2013 

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