La refonte du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale doit être l'occasion d'une profonde réforme de la vision des défis stratégiques et pour la sécurité !
Le développement de la politique de sécurité de l’Union européenne, y inclus celui de la politique de sécurité et de défense commune sur la voie d’une véritable défense commune, comme la clause de solidarité inscrite au Traité de Lisbonne n'auront d'intérêt pour les citoyens français et européens qu'à la condition que soient enfin posée la véritable équation de la sécurité européenne et clarifiée la place que l’Union européenne et ses Etats membres veulent lui donner dans le paysage complexe de stratégies de sécurité nationale et d’une sécurité internationale en prise avec des défis globaux qui laissent inopérants la plupart des processus sécuritaires et stratégiques à l’œuvre aujourd’hui (cf. à cet égard Réviser en profondeur la stratégie européenne de sécurité ! De la nécessité et de l'urgence (1)) !
Les citoyens européens, et par extension, tous les peuples du monde, ont besoin d'une sécurité qui soit pensée en des termes appropriés à la nature réelle des défis posés à leur sécurité par une globalisation stratégique qui brouille les cartes et par un environnement planétaire menaçant.
Seuls quelques Etat membres sont véritablement en mesure aujourd'hui de conduire une telle réflexion stratégique.
La décision du président de la République François Hollande d'engager une refonte du Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale actuel doit s'inscrire dans cette perspective.
Cela exigera de ses protagonistes qu'ils sachent dépasser les nombreux obstacles qui pourraient les pousser sinon au maintien d'un statu quo doctrinal que leur interdit la commande du président de la République, tout au moins à limiter l'ouverture de leur "champ de vision" à des menaces "privilégiées", afin d'offrir à la France, puis, par effet indirect, à l'Union européenne, la vision stratégique responsable qu'exige la réalité des menaces - et des risques - qui mettent en péril non seulement la sécurité nationale de la France dans les quinze à vingt années à venir, c'est-à-dire, selon les termes mêmes de la lettre de mission (cf. Livre blanc Lettre de mission du PR 13 07 2012) : "la vie des populations, l'indépendance de la nation, ou le fonctionnement de l'économie", mais également celle du continent européen et la sécurité internationale !
Cette refonte ne peut pas se limiter à reproduire la vision stratégique qui se dégage du dernier Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale, lequel n'a pas su anticiper les risques et menaces qu'ont fait peser sur l'économie française et, plus globalement, l'économie européenne, les chocs financiers systémiques qui se sont succédé et se succèdent encore au niveau planétaire, et qui ont ajouté une dimension supplémentaire aux vulnérabilités financières de la France et de ses partenaires européens (cf. à cet égard La dimension financière des vulnérabilités de la France, par Mario Faure - première partie - ainsi que La dimension financière des vulnérabilités de la France, par Mario Faure - seconde partie - ). Pas plus d’ailleurs que la vision que dessinent le 'nouveau concept stratégique de l'Alliance atlantique' (cf. 'Engagement actif, défense moderne' : Concept stratégique pour la défense et la sécurité des membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord adopté à Lisbonne le 19 novembre 2010), ou encore celui, bien plus modeste, qui définit 'la stratégie de sécurité' de l'Union européenne.
Car force est de déplorer qu’il ne figure rien dans ces documents ‘stratégiques’ qui prépare l’Alliance atlantique, l’Union européenne, et les Etats qui en sont membres, à affronter les futurs chocs globaux identifiés par l'OCDE (cf. Future Global Shocks (OECD)) et la plupart des risques globaux identifiés depuis des années par le Global Risks Network ? (cf. Global Risks Report 2012)
Si penser la stratégie signifie aujourd’hui penser et agir de manière à la fois globale et systémique (cf. Penser la stratégie signifie aujourd'hui penser et agir de manière à la fois globale et systémique), cela exige en même temps de ne se soumettre à aucun aveuglement sécuritaire et à aucune approximation stratégique !
La refonte du Livre blanc français est d’autant plus utile au renouvellement de la pensée stratégique européenne qu’elle proposera une vision plus réaliste des défis stratégiques et sécuritaires de notre temps.
Il appartient désormais à la commission qui a entouré M. Jean-Marie Guéhenno pour élaborer ce nouveau Livre blanc français de faire la démonstration que la France a bien cette volonté et cette capacité de renouer avec cette pensée stratégique qui a fait d’elle une puissance internationale incontournable. Ce renouvellement de la pensée stratégique doit dessiner une autre vision des défis stratégiques et sécuritaires de notre temps que celle qui se dégagea des exercices précédents. De ce renouvellement dépend le souffle nécessaire à l’éclosion d’une vraie réflexion stratégique européenne. Les travaux entrepris par le ministère français de la Défense au cours des derniers mois témoignent de cette prise de conscience bien que l'Union européenne - ni même les grandes organisations internationales autre que l'ONU et l'OTAN - n'ait pas été mentionnée une seule fois dans le document de prospective stratégique réalisé sous sa responsabilité ... (cf. Horizons stratégiques ).
PS : Le présent article a été publié sous la forme d'une carte blanche dans l'édition n° 531 d'EUROPE, DIPLOMATIE ² DEFENSE en date du 17 juillet 2012.
Voir également :
* La France doit-elle préserver en l'état sa politique de dissuasion nucléaire ?