« Le financement public de la recherche, un enjeu national » : rapport de la Cour des Comptes
La Cour des comptes rend public, lundi 10 juin 2013, un rapport sur « Le financement public de la recherche, un enjeu national ». La Cour observe qu’en dépit de financements publics croissants, l’effort national de recherche et développement stagne en France, du fait de la faiblesse de la recherche des entreprises. La part des financements sur projet progresse, mais la participation des équipes françaises aux appels à projet européens connaît un recul préoccupant. Par ailleurs, malgré des ressources accrues, les universités et organismes de recherche disposent paradoxalement de marges de manœuvre en réduction. Enfin, en termes de valorisation de la recherche, les performances scientifiques de la France apparaissent meilleures que leurs retombées économiques. La Cour formule cinq axes de recommandations.
Depuis 2006, plusieurs mesures ont été prises pour dynamiser l’effort de recherche et améliorer ses modes de financement : loi de programme pour la recherche de 2006, réforme du crédit d’impôt recherche (CIR) en 2008, lancement du programme des investissements d’avenir (PIA) en 2010.
En 2013, l'État a ouvert 14 Md€ de crédits budgétaires au titre du financement de la recherche civile. Il s’y ajoute, dans le cadre des investissements d'avenir, des financements d’environ 1 Md€ par an entre 2012 et 2020. Le crédit d’impôt recherche devrait permettre aux entreprises de constituer en 2013 des créances fiscales à hauteur d’un montant estimé à 5,8 Md€. Sur ces bases, en 2013, les financements de l’État, y compris les aides fiscales destinés à la recherche correspondent à un montant estimé de 20,8 Md€, auxquels s’ajoutent les concours de l'Union européenne (694 M€ en 2011) et des collectivités territoriales (1,2 Md€ en 2010).
Malgré des financements publics croissants, l’effort national de R&D stagne du fait de la faiblesse de la recherche des entreprises
Au sein du budget de l'État, les moyens consacrés à la recherche ont fait l'objet d'une priorité continûment affichée depuis 2006. Les financements de l’État ont augmenté de 48 % entre 2006 et 2013. L'engagement de la loi de programme a été largement dépassé, mais cet effort important est mal retracé dans les documents budgétaires.
Toutefois, en dépit de financements publics croissants, la France n’a pas progressé par rapport à l’objectif de consacrer 3 % du PIB à la recherche et développement (R&D). La dépense intérieure de R&D publique et privée s’est maintenue depuis dix ans à 2,2 % du PIB, pendant que, de 2000 à 2012, ce ratio passait en Allemagne de 2,47 % à 2,84 %. Ce résultat tient principalement à la faiblesse de la R&D des entreprises, qui stagne à 1,43 % du PIB (contre 1,58 % pour la moyenne des pays de l’OCDE).
La part des financements sur projets : une hausse bénéfique à poursuivre
Le financement sur projets, qui permet d’allouer des financements aux thématiques prioritaires et aux meilleures équipes, s’est développé. Il reste néanmoins inférieur à ce qui avait été prévu en 2006 et ne représente encore qu’une faible part du financement de la recherche (10 à 14 % des crédits publics consacrés à la recherche).
Le programme des investissements d’avenir (PIA) y a contribué en créant de nombreux nouveaux dispositifs de financement de la recherche, sur la base d’une mise en concurrence réelle. Ce programme n'en présente pas moins des risques. La pertinence de certains investissements devra être confirmée avant que les bénéficiaires ne reçoivent la totalité des financements prévus.
Les financements européens : un recul préoccupant de la participation des équipes françaises aux appels à projet
Concernant les financements accordés par l’Union européenne au titre du programme-cadre pour la recherche et le développement technologique, la détérioration des participations de la France est un signe préoccupant. Entre 2007 et 2012, la France a contribué à hauteur de 6 Md€ à cette politique et a remporté des projets de recherche pour un montant de 3,42 Md€ seulement.
Les conséquences pour les universités et les organismes de recherche : de moindres marges de gestion malgré des ressources accrues
La principale ressource des opérateurs de recherche est la subvention d’État. Depuis 2006, les autres ressources, essentiellement constituées des contrats de recherche (dont ceux de l’ANR), ont fortement augmenté.
Paradoxalement, l’augmentation globale des financements s’est traduite par une réduction des marges de manœuvre financières des établissements. En effet, leur subvention d’État est de plus en plus absorbée par la charge des rémunérations des personnels statutaires et par les cotisations de pension de retraites. En outre, les financements sur projets ont bénéficié directement aux unités de recherche, alors que l’exécution des projets induit des charges administratives assumées par les établissements.
Les financements nouveaux ont été alloués par de nouvelles structures, qui ont compliqué les circuits de financement de la recherche. Cette situation appelle une rationalisation. S’ils ont permis de recruter et de rémunérer de nombreux doctorants et post-doctorants, les contrats de recherche ont aussi été largement utilisés pour des recrutements de personnels de soutien en contrats à durée déterminée, dont certains présentent des risques contentieux en raison même de la nature pérenne des emplois occupés.
L’équipement scientifique, qui représente un enjeu essentiel dans la concurrence internationale, est insuffisamment pris en compte dans les mécanismes d’allocation des moyens. Enfin, alors que la masse salariale représente plus des deux tiers des dépenses de recherche, les modalités de gestion de l’emploi scientifique ne sont pas suffisamment dynamiques.
Des performances scientifiques meilleures que leurs retombées économiques
Les comparaisons internationales font apparaître une performance de la France bonne en recherche, mais nettement plus faible en innovation. La France a davantage tendance à exporter ses technologies qu'à en développer les usages sur son territoire au profit de son industrie.
Le système public de recherche se préoccupe insuffisamment des retombées économiques de la recherche, qui demeurent peu prises en compte dans les indicateurs de performance de la dépense publique. Le lien entre la recherche publique et les entreprises est un enjeu majeur pour l’innovation et la création de valeur. Or, les dispositifs publics autres que le CIR sont foisonnants et appellent un effort de simplification.
Conclusion et recommandations
La priorité accordée à la recherche a justifié, depuis près de dix ans, que ce secteur soit exempté des mesures les plus contraignantes de régulation de la dépense publique. Cette exception à la politique budgétaire nationale doit avoir des contreparties, par un effort de sélectivité dans l’allocation des moyens et une exigence d’évaluation des activités et des résultats. Elle doit également pouvoir s’appuyer sur une gestion prévisionnelle des emplois et une attention renforcée aux retombées économiques des résultats de la recherche sur le territoire national. La Cour formule donc cinq axes de recommandations :
1. Mieux retracer, fiabiliser et programmer le financement public
2. Poursuivre le développement du financement sur projets
3. Se remobiliser pour obtenir plus de crédits européens
4. Améliorer la gestion des établissements
5. Renforcer les retombées économiques
Voir le rapport : rapport thematique financement public recherche[1]
Voir la synthèse : synthese rapport thematique financement public recherche[1]
Voir les principaux résultats en fiches :
La part des financements sur projets : une hausse bénéfique à poursuivre
Des performances scientifiques meilleures que leurs retombées économiques
Pour en savoir plus : http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Le-financement-public-de-la-recherche-un-enjeu-national
Voir également sur ce même sujet :
* Options for strenghening Responsible Research and Innovation (EU Report)
* Guide pour la préparation des stratégies de spécialisation intelligente des régions françaises