Les capacités industrielles militaires critiques (analyse du rapport d'information sénatorial) - première partie -
Regards-citoyens.com propose à ses lecteurs une analyse du rapport d'information sénatorial n° 634 objet de l'article intitulé : Les capacités militaires industrielles critiques et souveraines (rapport d'information - Sénat).
Ce rapport d'information du Sénat français sur ce que l'on appelle également, un peu improprement d'ailleurs, les capacités industrielles souveraines, est le premier d'une série de six rapports visant à préparer la révision du Livre blanc de 2008 (cf. Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (Commission du Livre blanc) ainsi que le texte public du projet d'actualisation établi en 2011 : Publication d'un document préparatoire à l'actualisation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008). Si l'on se réfère à une 'définition' de ces capacités industrielles militaires critiques (CIMC) figurant dans le Livre blanc, il s'agit des "capacités de concevoir , fabriquer, et soutenir les équipements nécessaires aux domaines de souveraineté pour lesquels (la France) estime ne pas pouvoir envisager un partage ou une mutualisation". Le rapport préconise une définition plus précise et plus complète de ces capacités industrielles, en y intégrant les matériaux critiques et les ressources humaines nécessaires à la production d'armes critiques (cf. notamment à cet égard C'est plus que jamais aux génies culturels, scientifiques et techniques que doivent être confiées les clés des réflexions prospective et stratégique ! ).
Le rapport souligne les insuffisances du Livre blanc de 2008 (voir également à l'égard de celles du projet d'actualisation établi en 2011 : Eléments d'une analyse critique du document préparatoire à l’actualisation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ) :
- expression peu claire des ambitions de défense et objectifs trop ambitieux au regard des moyens financiers engagés ;
- absence de lien évident entre les différents éléments de l'analyse stratégique et le format d'armée ;
- absence de stratégie d'acquisition ("L'incapacité ou le refus d'élaborer une stratégie d'acquisition et de la rendre publique - comme le souhaitait le Livre blanc - a permis, tout au long de la période 2007 - 2012, de faire prévaloir les objectifs de stratégie industrielle sur les besoins opérationnels", notent les sénateurs).
D'autres critiques visent le fonds stratégique d'investissement (FSI) créé par l'Etat français en 2008 et doté progressivement de 20 milliards d'euros. les sénateurs déplorent une intervention insuffisante dans le secteur de la défense et une gestion opaque du FSI. Ils se demandent également si le rôle prééminent donné à la DGA (Direction général de l'armement) ne contribue pas à surpondérer la stratégie industrielle. Le primat donné aux préoccupations de politique industrielle peut conduire à priver les forces armées des outils dont elles ont besoin, estiment-ils en évoquant l'exemple des véhicules 'haute mobilité' qui ont fait cruellement défaut en Afghanistan. Sont aussi soulignés les conflits entre industriels nationaux et l'incapacité des décideurs étatiques de prendre des décisions douloureuses, notamment dans le cas des drones MALE.
Les rapporteurs préconisent de :
(1) simplifier les outils de l'analyse stratégique,
(2) accroître la transparence,
(3) introduire un mécanisme de mise à jour en continu de l'analyse stratégique,
(4) renforcer la sincérité et la cohérence.
Sous cette dernière rubrique, les sénateurs appellent à cesser de se payer de mots et observent que l'idée même d'Europe de la défense doit être repensée et son expression reformulée. " Sans doute faut-il cesser de parler 'd'Europe de la défense', concept ectoplasmique et polysémique, et désormais parler de 'défense européenne', concept plus solide, plus ancré dans une réalité tangible et susceptible de recouvrir le petit nombre de pays qui veulent et qui peuvent coopérer à une oeuvre commune. Qu'elle se fasse à deux, à trois ou à vingt-sept, cette défense européenne nécessitera au préalable de conduire ensemble une analyse stratégique, car il ne peut y avoir de thérapie commune sans diagnostic partagé. Si défense européenne il doit y avoir, il faut au préalable une grande stratégie européenne, qu'elle porte ou non le titre de Livre blanc ", écrivent-ils. (cf. à cet égard : Horizons stratégiques ; La refonte du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale doit être l'occasion d'une profonde réforme de la vision des défis stratégiques et pour la sécurité ! ainsi que Penser la stratégie signifie aujourd'hui penser et agir de manière à la fois globale et systémique ).
Pour remplir les trois missions définies par le Livre blanc de 2008 (relever les défis que nous confèrent nos obligations internationales ; assurer l'indépendance de la France ; assurer la protection de tous les Français), les forces armées doivent disposer des moyens leur permettant de garantir l'autonomie d'appréciation, l'autonomie de décision et l'autonomie d'action des responsables politiques. Celà suppose que l'Etat soit particulièrement vigilant sur les capacités industrielles militaires suivantes :
- la surveillance de l'espace extra-athmosphérique et de l'espace aérien : pour les sénateurs, "la défense antimissile balistique (DAMB) telle que déployée dans le cadre de l'OTAN fait peser un risque de perte de la souveraineté de l'espace extra-athmosphérique européen. En effet, toute la chaîne DAMB sera américaine. Le respect de notre autonomie stratégique commande au minimum que nous fassions des efforts dans l'alerte avancée (satellite infrarouges - radars) et l'architecture du système (de commandement et de contrôle). Pour ce qui est des radars, peut-être faudrait-il rouvrir la piste des radars transhorizon qui présentent l'avantage d'être tous azimuts (un seul pourrait suffire à assurer la protection du terrotoire métropolitain) et sont susceptibles de détecter des véhicules aériens en vol rasant. Précisément, l'indépendance de la France supposerait également que nous mettions les moyens nécessaires pour rénover notre dispositif de surveillance de l'espace aérien : système de commandement et de contrôle des opérations aériennes (SCOAA) en respectant le déploiement de la version 4, et en s'engageant vers une version 5 qui nous assure un droit d'entrée dans le dispositif otanien de la DAMB" ;
- la dissuasion nucléaire : il est nécessaire de lancer les études amont sur un possible missile successeur du M 51.2 dans des délais assez brefs ;
- les missiles de croisière hyper véloces : les sénateurs apportent leur soutien aux travaux de l'ONERA et de MBDA sur les projets de missile à statorécateur PEA Camosis et de super statoréacteur PEA Prométhée ;
- l'interception de cibles rasantes : il faut envisager que la prolifération change de forme, avec davantage de missiles rasants ou de missibles balistiques de courte portée manoeuvrants, de type SS-26 Iskander. La réponse à cette menace militaire passe par le développement des missiles Aster 15 (autodéfense) et Aster 30 (interception) ainsi que des systèmes (radars et C2) dans lesquels ils s'insèrent, soit à terre (SAMP/T) et donc des radars (type SMART L) et des C2. Un développement incrémental du missile ASTER 30 B1 pour améliorer ses performances tout en traitant ses obsolences permettrait de surcroît d'ouvrir une voie européenne au futur des systèmes antibalistiques italiens, allemands, voire britanniques ;
- les drones : le rapport se prononce pour une réouverture du dossier des drones MALE. "La pertinence économique de la création d'une filière de drones MALE nationale ou même franco-britannique fait débat. Au regard des quantités envisagées, seul un regroupement des besoins des différentes nations européennes semble faire sens du point de vue économique. Dans ces conditions, il semblerait inopportun de laisser venir à l'offre tous les éventuels candidats (EADS, Dassault, General Atomics). Seule une cible la plus large possible permettra de réduire les coûts" observent les sénateurs qui ajoutent qu'il serait souhaitable par ailleurs que l'Etat tranche le dossier des drones tactiques;
- les avions de combat futur et les UCAV : deux projets sont en lice : le démonstrateur NEURON de Dassault et le démonstrateur TARANIS de BAe, mais "l'Europe ne peut se permettre le luxe de recommencer les erreurs du combat fratricide Eurofighter/Rafale. Il est donc urgent de faire converger les deux projets et dégager une feuille de route industrielle et financière crédible", estiment les sénateurs.
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