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Publié par Jean Poche

(1) En septembre 2007, tout juste un mois après le début de l'une des pires crises financières auxquelles le monde a été confronté, la banque britannique Northern Rock était au bord de la faillite. Avant sa chute, elle avait connu une croissance rapide, fondée sur un comportement agressif sur le marché international des CDO ("collaterised debt obligations", obligations adossées à des actifs). Elle s'était hissée au cinquième rang des prêteurs immobiliers du Royaume-Uni. En fait, ces obligations n'étaient pas émises par la banque elle-même, mais par ce qui s'est révélé être une société fantôme, Granite. Le plus curieux dans ce montage était que Granite n'appartenait pas à Northern Rock, mais à une association caritative qu'elle avait fondée. La majeure partie de la direction de cette structure censée être indépendante était installée à Jersey, paradis fiscal européen notoire. 

En mars 2008, survient la faillite de Bear Stearns, une banque d'investissement américaine de premier plan. Bear Stearns avait fait transiter d'énormes flux d'argent par ses fonds spéculatifs (hedge funds), dont beaucoup étaient immatriculés dans les îles Caïmans et le centre financier international de Dublin - tous deux étant des centres financiers offshore bien connus.
Si vous imaginez les paradis fiscaux (2) comme des îles exotiques caressées par le soleil où quelques milliardaires, mafiosi et dictateurs corrompus cachent leurs fortunes mal acquises, il va vous falloir revoir le cliché. Les paradis fiscaux appartiennent à la trame de fond de la crise financière de 2007-2009. Lehman Brothers, le suivant sur la liste des faillites (sa chute a déclenché un mois de panique dans le monde entier), était immatriculé dans le Delaware, Etat servant de paradis fiscal aux Etats-Unis depuis la fin du XIXe siècle. La faillite de Lehman a été suivie par le scandale Madoff, une pyramide de Ponzi de 50 à 65 milliards de dollars orchestrée par un financier connu de Wall Street, Bernard Madoff. Il n'a pas fallu longtemps pour faire le lien entre cette escroquerie et les paradis fiscaux. " Dans l'affaire Madoff, le rôle des fonds offshore est mis en lumière ", annonçait le New York Times du 30 décembre 2008.

Nous ne disons pas que les paradis fiscaux sont à l'origine de la crise financière de 2008-2009, mais nous sommes persuadés qu'ils ont été l'un des principaux acteurs de son déclenchement, et que leur régulation est un point essentiel de tout plan visant à stabiliser les marchés financiers.

Nous ne sommes pas les seuls de cet avis. Les gouvernements français, allemand et britannique, ainsi que l'administration Obama, sont partisans de faire pression sur ces territoires. Pour contrer l'instabilité financière, mais pour d'autres motifs également. Car les paradis fiscaux sont des lieux où l'on peut se soustraire à ce qui est l'une des certitudes absolues de la vie, les impôts, avec pour conséquence des trous béants dans les finances de beaucoup d'Etats. Ils permettent aussi à ceux qui les utilisent d'échapper à diverses autres règles, de blanchir de l'argent ou d'en placer à l'insu de leurs associés ou de leurs conjoints, et d'assurer le secret de leurs activités commerciales.

Pris un par un, les paradis fiscaux peuvent paraître petits et insignifiants, mais ensemble, ils jouent un rôle crucial dans l'économie mondiale. Primo, ils ébranlent les processus de régulation et de taxation des grands pays en donnant carte blanche aux banques, aux multinationales et aux individus riches pour les contourner. Secundo, ils faussent la répartition des coûts et des avantages de la mondialisation, en faveur d'une élite mondiale et au détriment d'une grande majorité de la population.

(2) Qu'est-ce qu'un paradis fiscal?
Il est difficile de définir les paradis fiscaux, car leurs activités renvoient à des dimensions complexes. Au niveau le plus simple, ce sont des lieux ou des pays (tous ne sont pas des Etats souverains) qui disposent d'une autonomie suffisante pour promulguer leurs propres lois et règles fiscales, financières et autres. Ils profitent de cette autonomie pour édicter des normes conçues pour aider des individus ou des sociétés non résidents à échapper aux obligations réglementaires des territoires où ces personnes physiques ou morales réalisent effectivement leurs transactions économiques. Les paradis fiscaux appartiennent ainsi au monde de l'offshore, celui qui permet de découpler le lieu réel d'une transaction et le lieu de son enregistrement juridique.

Une deuxième caractéristique que partagent les paradis fiscaux est le secret - bancaire, juridique, etc. - qui permet à l'usager des structures relevant du droit local de le faire dans un anonymat total ou partiel.

Une troisième caractéristique est la facilité et le faible coût d'accès avec lesquels on peut immatriculer des sociétés sur leur territoire.

.../...

Pour la suite de cet article : http://www.leconomiepolitique.fr/les-paradis-fiscaux--entre-evasion-fiscale--contournement-des-regles-et-inegalites-mondiales_fr_art_836_42965.html

Cet article s'appuie sur les chapitres introductif et conclusif de Ronen Palan, Richard Murphy et Christian Chavagneux, Tax Havens: At the Heart of Globalization, à paraître chez Cornell University Press (tous droits réservés). Une version anglaise est publiée dans 20 Essays on Globalization: Towards a Progressive Agenda for Managing Global Processes, Global Progressive Forum, 2009.    

Voir également :

 * OCDE : le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales

 * L'enjeu des politiques de prix de transfert ... et ceux de leurs contournements - nouvelle édition -

 

 


 

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