Lettre ouverte à mes amis fédéralistes qui refusent une Europe à plusieurs vitesses !
Le débat sur le fédéralisme européen qui fait aujourd'hui l'objet d'une médiatisation aussi assourdissante qu' a pu l'être le silence médiatique qui a accompagné le débat européen 'entre experts' de ces dernières années, suscite des propositions (cf. en particulier Au-delà de l'information, par Ferdinando Riccardi : Orientations et projets de forces politiques et de personnalités favorables à une Europe fédérale (Agence Europe)) et contre-propositions dont cherche à rendre compte le plus objectivement possible Regards-citoyens.com !
Dans plusieurs articles publiés sur Regards-citoyens.com, notre ami Jean-Guy Giraud fait connaître sa position à l'égard du projet d'Europe à plusieurs vitesses porté en particulier par les Français (Pour Valery Giscard d'Estaing, l'Europe n'a plus le choix : elle doit fonctionner à deux vitesses ! ainsi que François Hollande préconise une Europe à plusieurs vitesses ! ), d'une Europe à la carte (cf. "FRESH START PROJECT"ainsi que L'Europe à la carte) ou d'Europe à deux vitesses (Lettre ouverte aux tenants d'une Europe à deux vitesses).
Dans son discours sur l'état de l'Union prononcé le 12 septembre devant le Parlement européen, le président de la Commission européenne s'est également prononcé en défaveur d'une union à plusieurs vitesses.
Est-il possible de poser un constat plus objectif que celui qu'il pose à propos de l'intégration différenciée dans son remarquable article intitulé : Union européenne : Différenciation : attention Danger !
" La Communauté originelle était fondée sur deux principes fondamentaux complémentaires :
- l'égalité de traitement de tous les Etats membres
- l'uniformité du droit qui leur est applicable.
L'accent était mis avant tout sur la nécessaire unité de peuples "longtemps opposés par des divisions sanglantes" et sur la résolution de "substituer aux rivalités séculaires une fusion des intérêts essentiels".
De l'unité à la diversité
Au fil des ans, des Traités et des élargissements successifs est apparue une autre exigence dictée par l'évolution des esprits aussi bien que par l'hétérogénéité croissante du groupe : celle de respecter la diversité des peuples et de leurs cultures.
En choisissant pour devise - dans le projet de Constitution de l'Union de 2003 - les mots "Unité dans la diversité" , la Convention avait voulu signifier que l'Union ne visait pas à uniformiser le cadre politique, économique , social et culturel dans lequel vivent les citoyens européens nationaux des 25 Etats membres - mais qu'au contraire "l'Union respecte l'égalité des Etats membres devant la Constitution ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale . Elle respecte les fonctions essentielles de l'Etat (etc ...)" (formule reprise du Traité de Maastricht).
Une difficile conciliation
Mais sans doute la Constitution sous-estimait-elle la difficulté qu'il y aurait - dans la vie réelle d'une Union en route vers une trentaine de membres - à concilier les deux principes d'unité et de diversité.
Comment faire pour que l'Union puisse "franchir des étapes ultérieures pour faire progresser l'intégration européenne" (Préambule du TUE)
- tout en garantissant l'unité et la solidarité du groupe,
- et en tenant compte de la diversité des capacités ou des volontés politiques de ses membres ?
La nécessaire coexistence de ces deux règles d'or alimente les réflexions des Institutions et des Etats au moins depuis une quinzaine d’années. Quelles procédures politiques et juridiques peuvent permettre à l'Union de progresser en dépit de l'incapacité (ou parfois du refus) de certains Etats de suivre le train - sans pour autant compromettre la cohésion et la solidarité de l'ensemble ?
Ajoutons d'ailleurs que la nécessité de "progresser" a souvent résulté - non d'une détermination fédéraliste doctrinale - mais plus prosaïquement du processus fonctionnaliste d'engrenage lui-même, fait de déséquilibres dynamiques où un "progrès" en entraine forcément un autre, comme l'union monétaire contient en germe et implique, tôt ou tard, l'union économique.
Différents concepts ont été proposés , bien connus des lecteurs et dont il suffira d'énumérer ici les appellations : Europe "à plusieurs vitesses", "à géométrie variable " ou "à la carte" - "cercles concentriques" ou "anneaux olympiques" - "noyau dur", "groupe pionnier" ou "avant garde" ...
Et différentes formules ont été effectivement mises en place dont on ne citera ici que les principales (qui se déclinent elles mêmes en plusieurs variantes) :
- la fixation d'étapes au sein d'une politique commune (cf. UEM)
- les "coopérations renforcées"
- le démarrage hors Traité de certaines politiques communes (Schengen)
- les dérogations ou "opt out" (cf. Charte des droits fondamentaux) , etc... "
Aussi paradoxal que çà puisse être, entre membres d'une même Union, on s'emploie à ne pas vouloir partager des compétences, des politiques, des actions et des instruments alors que, simultanément, aucun de ces mêmes Etats-membres oppose d'objection à une intégration euroatlantique qui réunit de simples partenaires économiques, certes privilégiés, mais qui n'ont pas les mêmes intérêts quand ils partagent les mêmes objectifs, fussent-ils stratégiques ; une intégration euroatlantique qui apparaît désormais explicitement dans les documents stratégiques de l'administration américaine et qui met à mal cette souveraineté européenne naissante en même temps qu'elle contourne les processus démocratiques qui permettent aux Etats comme aux peuples et citoyens européens de s'assurer que leurs objectifs comme leurs intérêts les plus essentiels, voire vitaux, ne sont pas sacrifiés sur l'autel d'une communautarisation imprudente.
Tout en ne cessant d'élargir sans veiller à approfondir au risque de désespérer les Européens eux-mêmes ! (cf. à cet égard l'article intitulé Fatigue institutionnelle et fatigue de l'élargissement - ou le dilemme unité/diversité).
L'Union, pas à pas, semble avoir perdu "la boussole" et la Commission européenne, le leadership que lui confère cette belle méthode communautaire en débat, voire peut-être même en sursis !
Un consensus semble soudainement s'être établi chez nos 'grands experts ' financiers et économistes en tous genres : le salut ne peut que passer par une fédéralisation budgétaire, fiscale et bancaire au sein de l'UEM !
L'ancrage sur la monnaie unique d'un premier cercle de pays (plus que d'Etats car nos pays ne se résument heureusement pas à leurs seuls Etats, et encore moins à leur exécutif ...) partageant la même volonté politique de réhausser les ambitions politiques, économiques et stratégiques de l'Union me paraît non seulement la bonne voie mais la seule voie sauf à considérer que la monnaie ne constituerait qu'un simple outil, ce qu'elle n'est pas uniquement, bien au contraire !
Q'on s'en félicite ou d'on le déplore, l'adhésion du Royaume-Uni à l'UEM ne s'est pas traduite par une normalisation de la relation de ce pays et de sa city si chère au coeur de ces spéculateurs qui mènent des assauts répétés et violents pour l'euro et les économies des pays de la zone avec ses partenaires européens au sein de l'Union européenne !
Pourtant, les clés des cabinets de la plupart des Commissaires ou des principales directions générales de la Commission comme celles du SEAE lui ont été offertes sur un plateau ! Et la langue anglaise devient progressivement la seule langue de l'Union comme en témoignent les sites internet de la plupart des directions générales de la Commission européenne ! Méthode communautaire ou pas, çà fait beaucoup de cadeaux à l'élève le plus insolent et irrespecteux de la classe !
Mais ne nous y trompons pas ! Très souvent, trop souvent, d'autres pays - et non des moindres ! - se sont retranchés derrière le Royaume-Uni pour bloquer des initiatives ou en favoriser d'autres !
Pourtant, pour les fédéralistes 'pur cru' qui appartiennent aux générations passées, par nature 'communautaristes' jusqu'au bout des ongles, l'Union européenne doit continuer de progresser d'un même élan en ne laissant personne sur le bord de la route, sans se soucier de la réalité contingente et des effets catastrophiques pour les Européens eux-mêmes d'un tel enfermement dogmatique !
S'inscrivant dans le lignée des Churchill, l'inventeur du concept d'Etats-Unis d'Europe comme l'un des trois éléments d'un tryptique occidental englobant également les Etats-Unis d'Amérique et le Commonwealth, des Monnet, et autres pères fondateurs de ce qui est peu à peu devenu l'Union européenne, ils éprouvent les pires difficultés à reconnaître aux Etats nations le droit d'occuper une place centrale dans l'architecture institutionnelle, politique et fonctionnelle de l'Union !
Les considérations stratégiques semblent étrangères à leur conception de l'Europe, comme si la stratégie se dissolvait dans la mondialisation ! A leurs yeux, leur Europe semble devoir demeurer ouverte à tous prix ... et à tous vents comme si il n'y avait pas péril en la demeure européenne !
Le comportement hostile et dangereux d'acteurs implantés dans la City à l'égard de l'euro et des dettes souveraines contractées par les Etats de la zone euro, comme la poursuite d'une politique commerciale naïve, même si quelques aménagements lui ont été apportés au cours des derniers mois, ont beau avoir des effets ravageurs sur l'emploi et la croissance, rien n'y fait chez ces tenants d'une foi inébranlable dans les vertus de la disparition en Europe des différentes formes d'entraves au commerce international !
Résultat de cette politique d'un autre temps menée par des institutions européennes et nationales inadaptées : la zone euro connaît depuis sa création le taux de chômage le plus élevé et le taux de croissance le plus bas (si tant est qu'on puisse encore parler de croissance quand ce taux se situe au-dessous d'un taux d'inflation !) de la zone "occidentale" !
Nous devons plus que jamais prémunir les Européens contre cette naïveté, cette chimère qui consistait à rêver debout les yeux obturés par un enfermement idéologique dans des visions d'un autre temps, qui a conduit l'Union à refuser d'être une Union à plusieurs vitesses tout en créant, traité après traité, les conditions de son incohérence, sinon de son éclatement sous les soubresauts récurrents d'une économie de l'insécurité (cf. De l'économie de l'insécurité ! ) qui s'est peu à peu substituée à une économie politique véritable !
L'euro lui-même est menacé en tant que monnaie unique ! Pis encore, en tant que monnaie internationale de réserve, ce dont l'Europe politique a pourtant tellement besoin pour rehausser son statut stratégique dans un contexte international qui ne fait aucun cadeau aux plus faibles (cf. notamment à cet égard La dimension stratégique des relations commerciales et monétaires Chine-Union européenne, par Karine Lisbonne de Vergeron (Questions d'Europe n°96 - Fondation Robert Schuman) ) !
Appeler à faire de la Banque centrale européenne une banque centrale comme les autres, c'est à dire pouvant agir en prêteur de dernier ressort, n'a de sens que dans la perspective d'une eurozone érigée en quasi Etat fédéral ! Appeler à une représentation extérieure de l'euro aussi ! Et que dire d'une politique de défense commune dont les protagonistes ne partageraient pas les mêmes intérêts monétaires !
Cessons d'éviter de regarder la réalité en face ! Sortons de notre autisme stratégique et de notre juridisme pathologique !
Quand elle ne progresse pas, l'Europe recule sur le plan politique autant que sur le plan stratégique ! Et à pas de géant !
Ne nous laissons pas entraînés dans des voies dangereuses par ceux-là mêmes qui ne veulent pas d'Union politique ! L'Europe est plus que jamais confrontée à la perte de sa crédibilité (L'Union européenne confrontée à sa perte de crédibilité).
L'Union européenne doit affronter froidement - et sans se mentir - les grands défis qui sont posés à son projet politique (cf. Les trois principaux défis qui se présentent à l'Union européenne pour qu'elle devienne une authentique Union politique, selon Jean-Louis Quermonne)
Relisons les lettres échangées par le Général de Gaulle et Jean Monnet (cf. 'De Gaulle & Jean Monnet face à l'Europe' de Aloys Rigaut ).
C’est dans ces termes qu’il interprète l’euroscepticisme des citoyens européens qui craignent qu’après l’union douanière et l’union monétaire, la prochaine étape soit la dissolution des cadres de référence nationaux. A ses yeux, l’Union européenne du futur doit s’ancrer sur deux axes essentiels : l’Europe économique et monétaire et la politique extérieure commune.
* Vouloir bâtir une Europe politique comporte des exigences irréductibles ! (nouvelle édition)
* Cour de projecteur sur les compétences européennes
* Coup de projecteur sur les nouvelles règles comitologiques en vigueur au sein de l'Union européenne
* Union politique / La réforme de 2014 - Catalogue pour un débat
* "La France est pour une intégration solidaire" (François Hollande)
* Créons une Europe des citoyens ! par Ulrich Beck (Le Monde) - nouvelle édition -