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Publié par De La Boisserie

A lire la lettre de mission adressée en juillet 2012 au président de la commission chargée de rédiger un nouveau Livre blanc français de la défense et de la sécurité nationale, on pouvait s’attendre à une réflexion stratégique « rénovée et approfondie » pour reprendre les termes du président François Hollande. Du coup, le Livre blanc de 2013, rendu public le 29 avril, risque de laisser plus d’un lecteur sur sa faim. Ce document de 160 pages, riche en digressions verbeuses et en redondances, se borne en effet à confirmer l’analyse des risques et des menaces déjà présente dans le document précédent. Il confirme, en les aménageant à la marge, les cinq fonctions stratégiques décrites précédemment : connaissance et anticipation ; dissuasion ; protection ; prévention ; intervention. Il s’en dégage tout à la fois une réduction des ambitions nationales sur fond de gestion de la pénurie budgétaire et une réelle incapacité à oser l’initiation d’une réflexion stratégique européenne.  

Rénovation rhétorique. Si la France de François Hollande est plus que jamais « au bord de la crise de nerfs » pour reprendre l’expression utilisée il y a peu par Pierre Moscovici, le nouveau Livre blanc est lui exemplaire de la volonté d’apaisement à laquelle appelait le candidat Hollande il y a un an. La France s’y inscrit résolument dans l’Union européenne et dans l’Alliance atlantique, deux organisations présentée comme ayant des buts complémentaires et n’entrant aucunement en concurrence. On sent aussi la plume tenue par les diplomates éviter soigneusement la moindre mise en cause d’un État tiers. Le ton est résolument bienveillant à l’égard des puissances émergentes et de toutes celles qui à un titre ou un autre (partenaire stratégique ou partenaire commercial, notamment) pourraient s’avérer utiles. Si la France soutient une réforme du Conseil de sécurité qui ferait place à de nouveau membres permanents, dont l’Allemagne et le Japon, elle confirme « le haut niveau de confiance mutuelle qui s’est établi avec notre allié britannique ». Le livre blanc donne la mesure du fossé qui se creuse avec l’Allemagne et semble vouloir accorder une place privilégiée à la coopération avec le Royaume-Uni, confortant ainsi « l’acquis » du Traité de Lancaster House. Un deuxième cercle est constitué par les pays de la LoI, du triangle de Weimar et de Visegrad. A noter encore la place accordée au respect de la légalité internationale ainsi qu’à « l’approche globale » combinant action diplomatique et moyens civils et militaires.

L’Europe théorique. « Nos partenaires sont, au premier chef, les États membres de l’Union européenne avec lesquels la France s’est reconnue, depuis plus d’un demi-siècle, une véritable communauté de destin. Celle-ci est pour la France une raison supplémentaire de porter une attention vigilante à ses propres capacités nationales. Dans un contexte stratégique où l’Europe est appelée à assumer une plus grande part de responsabilité pour sa sécurité, des réponses plus collectives de l’Union européenne appellent des moyens en partage et un engagement fort et coordonné de chacun de ses États membres, la crise financière donnant à celles-ci un caractère d’urgence. Pour sa part, la France estime qu’elle contribuera d’autant mieux à une réponse collective qu’elle aura su garder une capacité d’initiative et d’entraînement », peut-on lire dès l’introduction. Et le texte d’affirmer que « l’Union européenne demeure une entreprise unique », qu’il continue d’exister dans le monde « une attente d’Europe » et que « le modèle européen reste un modèle exceptionnel ». Mais « il ne fait guère de doute, cependant, que la crise des dernières années a, pour un temps, affaibli le projet européen et son attractivité ». Et si le Traité de Lisbonne a introduit des clauses de solidarité et de défense collective (sic), « les perceptions, les cultures stratégiques et les ambitions nationales demeurent très diverses ». Et le texte de constater que « cette diversité peut être une richesse, dès lors que chaque pays apporte à la construction commune son expérience, mais elle peut être aussi une source de méfiance réciproque et rend illusoire tout projet d’intégration rapide ». « À cet égard, les progrès trop lents de la politique de défense et de sécurité européenne montrent que des institutions ne peuvent pas, à elles seules, transformer les perceptions nationales. L’adhésion des peuples est indispensable. Elle ne peut se construire que dans le débat démocratique, dans une volonté politique commune, dans des expériences partagées et dans la prise de conscience d’intérêts communs et des priorités stratégiques de tous ». Ce diagnostic posé, on pourrait s’attendre à ce qu’il soit suivi d’une proposition visant à engager ce débat démocratique à l’échelle de l’Union européenne, mais ce n’est pas le cas, puisque, quelques pages plus loin, la relance de la réflexion stratégique est confiée au Conseil européen.

 

Pour autant, la lecture du contexte stratégique se veut résolument européenne et nombre de phrases ont pour sujet « la France et l’Europe », l’Europe ou « les Européens ». Si la prise en compte du voisinage immédiat dans ses différentes dimensions peut relever d’une analyse partagée au niveau européen, il va cependant de soi que certains lecteurs non français auront inévitablement le sentiment que le procédé tend à projeter au niveau européen des préoccupations essentiellement françaises s’agissant en particulier du continent africain. Mais si cette vision européenne demeure principalement théorique, c’est aussi parce que le texte est encore profondément marquée par une défiance vis-à-vis des institutions européennes et en particulier de la Commission. Son approche demeure exclusivement intergouvernementale, à la fois dans la définition des orientations et/ou des politiques confiée au Conseil ou au Conseil européen (avec une référence aux parlements nationaux et au Parlement européen pour faire démocratique) et dans la constitution des capacités qui renvoie à la coopération bilatérale, à la Smart Defense de l’OTAN et au développement de la fonction d’incubateur de projets de l’agence européenne de défense associée au potentiel de gestion de programmes de l’OCCAR.

Inflexions. Parmi les inflexions notables, on retiendra en particulier un effort de prise en compte des flux matériels et immatériels ainsi que des risques d’interruption et de détournement qu’ils encourent. La dimension maritime occupe également une plus grande place que dans le Livre blanc de 2008 et la France redécouvre ce que le Livre blanc de 2013 appelle « les outre-mer », c’est-à-dire le potentiel et les richesses que recèlent les départements et territoires et les zones économiques exclusives (11 millions de km²) réparties dans les différentes mers du globe. A noter également l’importance accordée à la sécurité intérieure et à la coordination au niveau européen, notamment au travers de la mise en œuvre du programme de Stockholm et d’une mutualisation des équipements de sécurité intérieure « mis à disposition par les États membres ». Le renforcement de FRONTEX est aussi jugé indispensable. Le livre blanc confirme également la volonté de renforcer les efforts dans le domaine de la cybersécurité (pour les porter à la hauteur de ceux de l’Allemagne et du Royaume-Uni) et dans la dimension spatiale (surveillance de l’espace).

Coupes budgétaires et réduction du format. La trajectoire budgétaire fixée par le Livre blanc (364 milliards d’euros sur la période 2014-2025 soit environ 30 milliards d’euros par an) se traduit par la poursuite des coupes dans les dépenses et dans les effectifs. Ces derniers vont continuer à fondre. 24 000 postes seront encore supprimés après la réduction de 54 900 postes pour la période 2009-2015 (une partie de ces postes concernent des personnels civils de la défense). Le Livre blanc affirme que ces coupes porteront « prioritairement » sur le soutien et les administrations et services. Mais, dans le chapitre ressources humaines, tout en évoquant des difficultés de recrutement, il envisage un recours accru à la contractualisation (autrement dit une réduction des durées d’engagement ou de carrière) et aux réserves (le texte reconnaît la nécessité d’en améliorer l’entraînement et la disponibilité, mais ne précise pas comment y parvenir). On nous promet aussi un « dépyramidage » des effectifs et une gestion optimisée visant à maîtriser la masse salariale. Pour résoudre en partie les effets des coupes sur les équipements, le Livre blanc évoque un principe de partage des capacités « rares et critiques » entre différentes fonctions, c’est-à-dire un objectif de gestion améliorée de la pénurie.

 

Le modèle d’armée décrit par le Livre blanc repose sur un « échelon national d’urgence » de 5 000 hommes en alerte, permettant de constituer une force interarmées de réaction immédiate (FIRI) de 2 300 hommes, projetable à 3 000 km du territoire nationale ou d’une implantation à l’étranger, dans un délai de sept jours. La gestion de crise en coalition reposera sur une contribution de la dimension d’une brigade interarmées de 6 000 à 7 000 hommes (avec des moyens terrestres, aériens (une douzaine d’avions) et maritimes (une frégate, un BPC et un sous-marin, selon les circonstances. Sur préavis de l’ordre de six mois, la contribution à une opération majeure de coercition est envisagée sur la base de l’engagement d’une à deux brigades interarmes (jusqu’à 15 000 hommes) avec un recours à tout l’éventail des moyens disponibles, y compris le groupe aéronaval et jusqu’à 45 avions de combat. L’engagement des armées en renfort des forces de sécurité intérieure en cas de crise majeure pourra impliquer jusqu’à 10 000 hommes des forces terrestres. Au total, les forces terrestres ramenées à 66 000 hommes (un effectif pouvant largement tenir dans le Stade de France d’une capacité de 81 000 places) constitueront 7 brigades interarmes auxquelles s’ajoutent des unités d’appui et de soutien opérationnel.

Une diplomatie sanctuarisée. A ceux qui auraient espéré que l’on profite de la montée en puissance du service européen d’action extérieure pour réduire la voilure de la diplomatie nationale, le Livre blanc rétorque : « La France a des intérêts globaux justifiant le maintien d’un réseau diplomatique étendu ».

Une BITDE économiquement viable. « Des sauts qualitatifs, impliquant des évolutions profondes dans la coopération en matière de programmes de défense, mais aussi des restructurations industrielles, sont inévitables, en France et dans les autres pays européens, pour assurer l’avenir de l’industrie de défense », affirme le texte sans oser envisager la nécessité de définir une politique européenne des capacités et de l’armement, pourtant prévue par le Traité de Lisbonne. A Paris, on reste décidément arcbouté sur l’article 346 du traité. On y ajoute, et c’est bien plus utile, un plaidoyer en faveur d’un effort de rapprochement des calendriers de renouvellement des équipements et d’harmonisation des spécifications dans les programmes conduits en coopération. A noter toutefois, la concertation souhaitée avec les partenaires européens en vue d’une harmonisation des procédures nationales d’exportation, s’agissant d’équipements développés en commun.

Le Livre blanc 2013 peut être téléchargé sur le site du ministère de la défense : www.defense.gouv.fr

 

Source : EDD n° 604 en date du 7 mai 2013

 

Voir également :

 *  Adresse du président de la République aux membres de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (Palais de l'Elysée - 29 avril 2013)

 * Livre blanc de la défense : la France prépare les guerres de demain avec des ambitions réduites, par Nathalie Guibert (Le Monde)

 * Enabling the future. European military capabilities 2013-2025, by James Rogers and Andrea Gilli (EUISS)      

 *  La France doit-elle préserver en l'état sa politique de dissuasion nucléaire ? Ma réponse est OUI !     

 *  Europe must invest more in security, demand Wolfgang Ischinger and Thomas Enders (Guest article Handelsblatt: The capability gap)     

 *  De l'épineuse question des objectifs stratégiques de l'Union européenne

 * Existe-t-il un intérêt stratégique européen ? 

 * Ce dont l'Union européenne a le plus besoin aujourd'hui, c'est d'une vision stratégique de sa véritable place comme acteur global dans le monde

 *  'US Strategy for a Post-Western World' by Robert A. Manning (Report of the Strategic Foresight Initiative at the Brent Scowcroft Center on International Security)

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