Redonnons force et espoir aux Européens en construisant une Europe qui les protège ! - cinquième partie -
Pour les quatre premiers articles :
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Recommandations de nature conceptuelle et méthodologique
1° L’Union doit établir son propre système de Sécurité sur des bases appropriées à la nature des nouveaux défis, de manière à donner corps à ses ambitions sans pour autant renoncer à ses engagements internationaux - ou à ceux de ses Etats membres - en la matière.
Le système de Sécurité de l’Union européenne doit avoir une quadruple fonction : ‘identitaire’, ‘protectrice’, ‘intégratrice’ et ‘stabilisatrice’.
Il doit permettre à l’Union :
- de maîtriser les différentes formes de violence auxquelles elle est confrontée au moyen de politiques, de stratégies et de doctrines appropriées , tout en préservant et en développant les libertés, les droits et les principes réaffirmés dans la Charte européenne des Droits fondamentaux. Pour qu’il en soit ainsi, il importe d’adopter comme principe d’action l’ajustement systématique de l’engagement politique collectif en mettant à la disposition de l’UE un choix d’options graduelles adaptées à l’intensité et à la nature de la menace considérée. Pour être efficaces, les actions solidaires ainsi engagées doivent s’appuyer sur des principes et des instruments d’autorité relevant d’une logique de puissance collective explicite et affichée ;
- de préserver, de développer et d’échanger l’ensemble des biens patrimoniaux, publics et privés auxquels l’Union, ses Etats membres, et ses citoyens et tous ceux qui résident sur son territoire sont attachés en qualité d’ayant-droits, y compris les systèmes politiques, économiques et sociaux et les institutions démocratiques qui y sont attachées ;
- de maintenir à un niveau élevé la qualité de vie des générations présentes et futures, en créant une communauté de destin « durable », capable de gérer et d’utiliser les ressources de manière efficace et d’exploiter le potentiel d’innovation écologique et sociale de l’économie, en garantissant la prospérité, la protection de l’environnement et la cohésion sociale ;
- et au-delà, de témoigner à la fois d’une volonté commune d’autonomie en même temps que d’un engagement politique des acteurs dans la recherche permanente, par le jeu de politiques et de processus qui ne portent préjudice ni aux libertés, ni aux droits, ni aux principes et ni aux biens patrimoniaux évoqués ci-avant, d’une concrétisation effective et efficace des finalités et des objectifs de l’Union, en vue d’asseoir :
• la cohésion politique, territoriale et sociale, un développement durable et la Stabilité à l’intérieur de ses frontières,
• la Stabilité et la Sécurité à son voisinage,
• sa crédibilité, son rayonnement et son influence afin qu’elle puisse agir comme un acteur global, responsable et respecté au sein de la Communauté internationale, face aux risques globaux qui menacent les grands équilibres internationaux.
Un tel système n’aura de légitimité et d’efficacité que s’il est élaboré à partir d’un modèle européen de Sécurité à la fois commun et unique (comme ce fut le cas lors de l’édification de l’Union économique et monétaire - UEM - autour de l’Euro), condition sine qua non d’une égalité effective, en droits et en obligations, des citoyens européens devant la Sécurité et la Justice, quelque soit le lieu où ils les sollicite au sein de l’Union européenne, et garantie de l’existence d’une volonté politique commune de créer les conditions concrètes d’une solidarité effective entre les Etats membres. Sur le plan méthodologique, la comparaison avec l’UEM s’impose d’autant mieux que la monnaie et la Sécurité constituent deux attributs de souveraineté relevant de compétences et de prérogatives régaliennes. Or l’UEM s’est mise en place de façon progressive, par étapes irréversibles, avec des critères à satisfaire pour franchir chaque étape. Le pragmatisme de la démarche n’était pas circonstancié ni aléatoire - comme il l’est pour la PESC actuelle – puisque les finalités (et pas seulement les objectifs) avaient été clairement définies dès l’origine.
Pour satisfaire aux impératifs de cohérence et de solidarité, ce modèle devra refléter – et ne pas trahir - les exigences et les spécificités des modèles politique, juridique, socio-culturel et économique qui déterminent collectivement le modèle européen de Société.
Il doit pouvoir constituer un « marqueur identitaire collectif » sur le registre politique au même titre que la monnaie unique. Ceci emporte comme exigence supplémentaire de garantir la préservation de l’identité européenne et des différentes déclinaisons du modèle européen de Société non seulement tels qu’ils ressortent des textes politiques fondamentaux mais tels qu’ils se dégagent aussi des utopies portées collectivement par les citoyens de l’UE - au travers de leurs engagements politiques, syndicaux ou associatifs autant que de leurs héritages communs - tout en les enrichissant de sa propre substance.
Il doit pouvoir s’affirmer sui generis sans se poser en modèle concurrent. A cette fin, le modèle de Sécurité doit se construire à l’instar du ‘modèle de Sécurité internationale’ fondé sur la légitimité internationale (ou, du moins, la légitimité que lui confère la majorité de la Communauté internationale lorsqu’elle se rassemble sur des valeurs partagées) et que matérialise le système des Nations Unies. Pour l’un comme pour l’autre, en effet, toute action en faveur du maintien de la Paix et de la Sécurité internationale doit désormais inclure des objectifs de Développement durable – seuls à même d’assurer simultanément la Prospérité et la Stabilité.
Il ne doit pas compromettre la capacité des générations futures à décider de l’opportunité d’en changer si les évènements le leur commandent.
Toutes les politiques, décisions, instruments et programmes de l’Union et de ses Etats membres, comme les négociations et accords internationaux auxquels l’Union et/ou ses Etats membres sont parties, doivent être tenues de respecter de manière extrêmement rigoureuse l‘ensemble des exigences emportées par le modèle européen de Sécurité, par l’affirmation, le rayonnement et la protection de l’identité européenne et par les engagements pris par l’Union et ses Etats membres à l’égard du citoyen au travers du processus de construction d’une citoyenneté supranationale faisant sens.
Les Institutions européennes comme les Etats membres qui dérogeraient à leurs obligations en la matière doivent pouvoir être évalués, jugés et sanctionnés si nécessaire de manière appropriée.
Quand bien même l’élaboration d’un tel modèle et d’un tel système devrait déboucher sur la nécessité d’une réforme profonde du secteur européen de la Sécurité, force est de constater qu’elle serait de toute évidence inopérante si elle n’était suivie à la fois par un double processus de légitimation et d’appropriation démocratique de ses différents socles (conceptuel, politique, fonctionnel, etc.).
Ne serait-ce que pour que les Etats comme les citoyens acceptent d’en assumer et d’en partager les contraintes (en termes de risques et de coûts) autant que les bénéfices, autre garantie politique de cette réserve de puissance que procure une adhésion citoyenne pleine et entière au projet politique lui-même.
Force est de constater que l’édification d’un tel système requiert un cadre approprié qui n’est pas celui offert aujourd’hui par l’Union.
2° L’Union doit revisiter la conception européenne de la Sécurité de manière à ce qu’elle embrasse dans leur globalité l’ensemble des défis de Sécurité tout en rencontrant les aspirations légitimes du citoyen européen en la matière
De la même manière que l’Alliance atlantique a révisité son concept stratégique, l’Union doit revisiter les fondements de sa Sécurité pour faire face avec efficacité aux risques globaux.
Elle doit entreprendre un tel exercice selon une perception claire et « sincère » (de la même manière que tout budget doit être sincère) des exigences qu’emporte la volonté commune des citoyens et des Etats d’Europe :
- de bâtir un avenir commun, harmonieux, pacifique et prospère, qui ne sacrifiera ni leur identité nationale, ni leur identité européenne commune, ni leurs aspirations collectives profondes devant les défis considérables qu’ils auront à affronter en regard des nouveaux paradigmes stratégique, économique, démographique et écologique ;
- de répondre avec l’efficacité nécessaire aux atteintes qui seront indubitablement portées à leurs objectifs et intérêts communs ;
- et de permettre à l’UE de disposer des attributs d’une ‘autonomie compétitive’, sans laquelle elle ne pourra agir au niveau mondial comme cet acteur global qu’ils souhaitent voir émerger.
Pour autant, cette révision serait inopérante si elle n’était articulée sur une conception nouvelle, à la fois systémique et globalisante, de la Sécurité ; une conception qui replace l’ensemble des enjeux et des exigences qu’elle aura dégagés à partir d’une évaluation sociale et éthique des risques et des menaces susceptibles d’être portés à la Sécurité européenne - une évaluation fondée sur une appréhension normative de leurs effets qui dépasse celle, moins pertinente, issue des seules analyses de risque et de coût/efficacité en embrassant l’ensemble de leurs effets sur les registres sociologique (effets sur les populations), ontologique (effet sur la représentation du monde, sur le rapport à l’homme et à la nature), métaphysique (effets sur les catégories), politique (effets sur les relations de domination), épistémiques (effets sur le rapport à la connaissance) - , au sein d’un champ politique plus vaste où interagissent de manière naturelle des mouvements qui concourent à forger un projet politique en même temps qu’un modèle de Société.
Les Européens doivent veiller à ce que cette relecture ne procède pas d’une vision idéologique, quelle qu’en soit l’inspiration - et notamment pas de cette vision idéologique qui appelle à inhiber ou à enfermer la liberté plutôt qu’à la garantir, à écraser les individus comme leurs initiatives plutôt qu’à les porter dans leur quête d’autres voies, à interdire toute transgression porteuse de progrès plutôt que de la rendre possible lorsqu’une évolution de la norme établie s’avère nécessaire -, mais d’une vision politique pragmatique nourrie des enseignements tirés des apprentissages de l’Histoire, inspirée par les utopies porteuses des valeurs et principes universels sur lesquels les Nations et les Etats européens modernes se sont établis, et compatible avec les exigences d’une économie sociale de marché où la prise de risque et l’esprit d’entreprise constituent deux des principaux moteurs de l’innovation à haute valeur ajoutée, et donc d’un développement durable. Elle doit être suffisamment ouverte pour non seulement permettre mais susciter les innovations, - voire même parfois, les ruptures - politiques, conceptuelles et doctrinales dont la nécessité serait confirmée par l’évaluation sociale et éthique des risques et des menaces évoquée plus haut.
Elle doit prendre acte que la Sécurité ne peut plus être pensée, instituée et mise en œuvre ni seulement pour elle-même (la Sécurité ne constitue pas une fin en soi) ni même par elle-même (la Sécurité ne peut plus procéder de schémas conceptuels et de processus inspirés uniquement par les cultures et les règles propres aux univers de la Justice, de la Police, de la Défense ou du Renseignement), de la même manière que la Politique étrangère comme la politique de Défense ne résument pas, à elles seules, « la Politique ».
L’action sécuritaire de l’Union européenne doit avoir pour objectif « d’offrir à une collectivité donnée (une entité régionale, un Etat, …) et à ses membres la capacité d’assurer un niveau suffisant de prévention et de protection contre les risques et les menaces de toutes natures et de tous impacts, d’où qu’ils viennent, dans des conditions qui favorisent le développement sans rupture ni dommage de la vie et des activités collectives et individuelles. »
Elle doit garantir à cette collectivité comme à chacun de ses membres (personnes morales ou physiques), à la fois :
- la ‘sauvegarde’ et l’‘intégrité’ de l’ensemble des biens, valeurs et ressources ‘patrimoniales’ héritées de son histoire, de sa géographie, de sa (ou de ses) culture(s) dans lesquels se reconnaissent ses membres et auxquels ces derniers sont d’autant plus attachés que c’est à partir de ces biens, valeurs et ressources ‘patrimoniales’ qu’ils ont façonné l’identité, l’unité, la cohésion et le dessein civilisationnel de cette collectivité,
- ainsi que la ‘protection’ et l’‘intégrité’ des ‘processus transactionnels’ de tous types qui sont conçus et mis en œuvre pour en inventer, en produire, en jouir, en partager et/ou en échanger de nouveaux ,
- ainsi que la protection contre toute atteinte au libre arbitre et à la liberté d’entreprendre, dès lors que les intentions et les actes sont légitimes au regard du cadre juridique admis par la collectivité.
Cette garantie doit lui être apportée sans compromettre la capacité des générations futures à en jouir, à en inventer, en produire, en partager et/ou en échanger de nouveaux.
Définie en ces termes, la Sécurité constitue un concept dont le sens profond dépasse l’équation traditionnelle de la « real politik » ; elle constitue également, sinon, d’abord, la première des libertés, et à ce titre, le premier des biens publics en partage au sein d’un même espace de citoyenneté ; ne serait-ce que par ce qu’elle constitue un préalable indispensable à une égalité effective des citoyens européens devant la Sécurité (tant en termes de droits que d’obligations).
Une telle conception porte en elle-même une philosophie et des ressorts particulièrement propices à l’établissement de consensus sur les finalités de l’action en matière de Sécurité, dans la mesure où elle transcende les dogmes idéologiques et où elle est, par essence même, transversale à toute politique.
Elle est “ d’autant plus juste qu’elle n’est pas basée sur l’équilibre des puissances et des menaces, et qu’elle est indissociable d’un recours à la coopération pour contrer la complexité et la variété des menaces, bien au-delà des seuls aspects de Défense ! ” .
Elle exige de réconcilier dans un même modèle de Sécurité les enjeux, les principes, les concepts et les exigences emportés par la conception régalienne de la Sécurité avec ceux emportés par la ‘Sécurité humaine’, conformément à une lecture ouverte et extensive de l’articulation entre Liberté, Sécurité, Justice et Citoyenneté que propose la Commission européenne dans sa communication intitulée « Un projet pour l’Union européenne » : « La liberté est le principe unificateur, le socle du projet européen. Mais sans sécurité, sans système de droit et de justice reconnu par les citoyens, l’exercice des libertés et le respect des valeurs démocratiques ne seraient pas assurés. L’espace européen de Justice, de Liberté et de Sécurité apporte donc la garantie de faire vivre les principes de démocratie et le respect des droits de l’homme. Essentielle pour la citoyenneté européenne, la reconnaissance commune de ces principes, désormais repris par la Charte des droits fondamentaux, constitue le socle de l’intégration pour tous ceux qui résident dans l’Union. »
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Pour le sixième et dernier article de cette série : Redonnons force et espoir aux Européens en construisant une Europe qui les protège ! - sixième partie -