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Publié par ERASME

Une formule de Maurice Blanchot, placée en épigraphe, donne le ton du livre : "L'antisémitisme reste la faute capitale." Aussi est-il l'interdit qui suscite la pire des accusations, celle qu'on lance pour tuer son adversaire. Si Elisabeth Roudinesco revient aujourd'hui à la "question juive" (en hommage à Jean-Paul Sartre), c'est pour s'insurger contre les abus de langage qui sèment la confusion.

L'historienne souligne les différences entre l'antijudaïsme du Moyen Age et de l'époque moderne et l'antisémitisme enfanté par le XIXe siècle, sans nier que telle notion "antijuive"- comme celle de "pureté du sang", brandie contre les marranes en Espagne - ait pu être un jalon sur la voie conduisant à l'antisémitisme.


Fidèle à l'esprit des Lumières, elle rappelle que l'antijudaïsme de Voltaire et de Diderot s'en prenait à l'obscurantisme religieux au nom de l'émancipation des juifs. C'est avec la même conviction qu'elle réfute les accusations d'antisémitisme souvent portées contre Marx.


Ce que disait l'historienne
Shulamit Volkov à propos de Berlin et de Vienne en 1900 vaut sans doute pour l'Europe entière : l'antisémitisme est alors devenu le code culturel le mieux partagé. L'idée sioniste, conçue par Theodor Herzl et Max Nordau comme une "décolonisation de soi", naît au même moment, venant bouleverser les termes dans lesquels se posait jusqu'alors la "question juive", car elle conduit à distinguer le "juif universel" (dont Freud serait l'un des représentants les plus convaincants) et le "juif de territoire".


Mais sionisme et antisionisme appellent, eux aussi, un travail de redéfinition :
Hannah Arendt, dans son "Réexamen du sionisme" de 1944, opposait deux versions contradictoires du sionisme - l'une progressiste, l'autre nationaliste -, ce qui lui valut d'être considérée comme sioniste par les uns et antisioniste par les autres.


Elisabeth Roudinesco analyse la nouvelle confusion des mots qui empoisonne les débats depuis un bon demi-siècle, surtout depuis la création de l'
Etat d'Israël : comment la critique du sionisme se voit taxer d'antisionisme, comment l'antisionisme, dans certains contextes, finit par se confondre avec l'antisémitisme.


Le temps présent est placé sous le signe de la mémoire de la Shoah. Mais il est dominé aussi par le négationnisme, dont cet ouvrage retrace l'histoire avec précision et objectivité. A la galerie des grands pervers négationnistes, s'ajoute la série consternante de ces cas où l'antisémitisme refoulé revient au galop dans des dérapages discursifs distinguant, par exemple, les juifs des "Français de souche". Décidément, on n'en finit jamais avec la question juive.


Un passage autobiographique du livre est particulièrement réussi. Enseignante de français en Algérie pendant la guerre des Six-Jours (1967), Elisabeth Roudinesco vit les murs de sa salle de classe se couvrir de croix gammées, et passa aux yeux de ses élèves pour une ennemie sioniste. "Ils pensaient que j'étais juive puisque je combattais l'antisémitisme, écrit-elle. Je l'étais bien sûr, mais pas comme ils le croyaient. Je l'étais au sens de la judéité et non du judaïsme."


Le dernier chapitre de cet essai, qui ne vaudra pas que des amis à son auteur, est une critique sévère des "inquisiteurs" et "procureurs" qui voient l'antisémitisme là où il n'est pas. Voilà un livre érudit et courageux, qui préfère le combat rationnel aux vaines polémiques.


RETOUR SUR LA QUESTION JUIVE d'Elisabeth Roudinesco. Albin Michel, "Bibliothèque Idées", 322 p., 20 €.

Elisabeth Roudinesco collabore au "Monde des livres". Son Histoire de la psychanalyse en France et sa biographie de Jacques Lacan reparaissent dans une édition de poche, révisée et augmentée ("La Pochothèque", 2 118 p., 26 €)

 

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