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Publié par Olivier Jehin

Alors que l’on approche du mi-mandat de Catherine Ashton, il m’a semblé légitime de rappeler quelques faits et de poser un certain nombre de questions sur son action et celle des principaux responsables du Service européen d’action extérieure (SEAE). Exceptionnellement, pour réunir les faits et les questions qui s’y rapportent, il me faudra aujourd’hui m’étendre au-delà de la trop brève première page de ce bulletin.

Commençons donc par les faits :

 - si trois « nano-opérations » sont actuellement en préparation, il n’en demeure pas moins que la première moitié du mandat du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité n’a vu le déploiement d’aucune nouvelle opération ; la PSDC a subi un véritable coup d’arrêt ;

 - le SEAE est généralement présenté comme « inhibé » et le malaise est patent au sein du service ;

 - alors que les dispositions du Traité de Lisbonne visaient à renforcer la visibilité de l’UE sur la scène internationale, la voix de l’UE apparaît singulièrement inaudible ;

 - les positions défendues par le Haut représentant favorisent la coopération avec l’OTAN en réduisant le champ d’action de l’UE ;

 - ce qui précède correspond étrangement à l’approche britannique traditionnelle qui vise à réserver tout rôle militaire à l’OTAN ;

 - la chaîne de commandement européenne pour l’Afrique (où l’importance du rôle de l’UE pour la prévention et la gestion des conflits est primordiale, en coopération avec l’ONU et l’UA) est quasiment entièrement entre des mains britanniques : le Haut représentant, le directeur Afrique, le sous-directeur Corne de l’Afrique, les représentants spéciaux au Soudan et auprès de l’Union africaine, le commandant d’ATALANTA à Northwood ;

 - l’effort global de communication sur le rôle de l’Union dans le monde et les opérations en cours est inexistant ; il en va de même de la PSDC, parent pauvre de l’action extérieure de l’Union ; aucun effort n’est fait pour permettre aux journalistes de rendre compte des rares opérations toujours en cours ; pas le moindre voyage de presse n’a été organisé en ce sens, contrairement à une pratique courante dans les États membres, les pays tiers (États-Unis, notamment), les autres organisations internationales, OTAN en tête ;

 - les 136 délégations de l’UE ne disposent ni des incitations politiques ni des capacités (financières et en personnels) d’assurer une visibilité à l’action de l’UE ; pour illustrer ce propos, je vais évoquer le cas de la délégation à Nairobi, importante à mes yeux parce qu’elle couvre le Kenya et la Somalie, deux pays clefs pour l’approche globale que l’UE prétend mettre en œuvre dans la Corne de l’Afrique et qui bénéficient de volumes d’aide non négligeables au titre du 10ème FED (2008-2013) : 400 millions d’euros pour le Kenya et 415 millions pour la Somalie. Or, la visibilité et l’influence de l’UE est inférieure au Kenya à celles des grands États membres (Royaume-Uni, Allemagne, France), des États-Unis, de la Chine et même d’Israël (à peine quelques millions d’aide annuelle). Pourquoi ? Sur les 150 agents (vous avez bien lu : 150) que compte cette délégation, il n’y en a qu’un seul qui soit chargé de la communication externe et ceci exclusivement en direction de la Somalie. De là à déduire qu’il existe une volonté de ne pas faire d’ombre à une ancienne puissance coloniale, il n’y a qu’un pas qu’évidemment nous n’oserions pas franchir. En revanche, des informations en provenance de Nairobi nous laissent entendre que le Royaume-Uni utilise sur place une méthode assez efficace pour escamoter le rôle de l’UE aux yeux des Kenyans : il propose régulièrement d’élargir les réunions des donateurs soit par « solidarité européenne » à la Norvège et la Suisse, soit par « solidarité entre alliés » (on se demande bien ce que cela vient faire là !) aux États-Unis, au Canada et à l’Australie. Selon un observateur, le Royaume-Uni « perçoit l’UE comme un rival potentiel et s’efforce d’afficher le moins possible son appartenance à l’Union ». Au final, l’UE est le plus souvent ignorée ou sommée de contribuer financièrement sans avoir nécessairement le droit à la parole. Si ce genre de procédés n’est pas nouveau en Afrique et que d’autres anciennes puissances coloniales ont souvent par le passé exercé des pressions sur les anciennes délégations de la Commission, la mise en place du SEAE aurait dû changer la donne.

Ce qui précède m’amène à poser quelques questions, sans doute impertinentes :

 - Pourquoi le site Web du SEAE mentionne-t-il exclusivement la création des postes de Haut représentant et de président du Conseil européen comme innovations majeures du Traité de Lisbonne en passant sous silence les nombreuses autres dispositions concernant la PSDC (coopération structurée permanente, clauses de solidarité et d’assistance mutuelle, possibilité pour un groupe d’États membres d’entreprendre une opération au nom de l’Union, politique européenne des capacités et de l’armement, consécration de l’agence européenne de défense, etc.) ?

 - Pourquoi les « nano-opérations » en gestation sont-elles exclusivement de nature civile ?

 - Pourquoi, depuis l’arrivée de Mme. Ashton et la mise en place du SEAE, s’écoule-t-il de l’ordre de deux ans entre la première évocation d’une opération et son lancement ?

 - Qu’a-t-on fait au cours des deux dernières années pour améliorer (si jamais on a fait quelque chose) la communication et l’information sur l’action extérieure de l’UE et la PSDC, à Bruxelles ? dans les 136 délégations de l’UE ? au niveau des opérations ?

 - Comment explique-t-on qu’avec une hiérarchie et une chaîne de commandement dont les principaux responsables sont des citoyens britanniques, et compte tenu de l’influence du Royaume-Uni au Kenya (importante coopération militaire, un pôle de communication comprenant 5 agents, un ambassadeur et une équipe de 50 personnes se consacrant depuis Nairobi à la Somalie, 20 000 ressortissants britanniques au seul Kenya), il soit aussi difficile d’obtenir une invitation du Kenya et de la Tanzanie pour déployer dans ces deux pays les éléments civils de l’opération d’assistance au renforcement des capacités maritimes régionales EUCAP Nestor ?

 - Comment, dans ce contexte, le Royaume-Uni peut-il tirer argument de l’absence d’invitation de ces deux pays pour retarder le déploiement dans les trois autres pays hôtes (Djibouti, Seychelles et Somalie) de la mission européenne censée permettre la première expérimentation de terrain de l’approche globale de l’UE en matière de réforme du secteur de la sécurité, de lutte contre la piraterie et d’aide au développement ?

Comme il est très peu probable que le simple citoyen européen que je suis obtienne la moindre réponse à ces interrogations, je m’en remets aux membres du Parlement européen pour procéder à une audition en règle de ceux qui détiennent les réponses. Il serait grand temps que la sous-commission Sécurité & Défense, associée à la commission Affaires étrangères et pourquoi pas avec le concours de parlementaires nationaux, exerce enfin un véritable contrôle démocratique sur le SEAE et la politique étrangère de l’Union et sa politique de sécurité et de défense commune.

 

NB : Cet article a été préalablement publié comme éditorial du numéro 525 d'EUROPE, DIPLOMATIE & DEFENSE (EDD) en date du 26 juin 2012.


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