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Publié par ERASME


Premier chancelier social-démocrate (1969-1974) de l’après-guerre, les Allemands célèbrent aujourd’hui, vendredi 18 décembre 2013, le centenaire de la naissance de Willy Brandt. A cette occasion, Sauvons l’Europe donne la parole à Hélène Miard-Delacroix, historienne et biographe de ce grand dirigeant européen.

Henri Lastenouse: On connaît Willy Brandt comme l’homme et « le Nobel » de « l’Ostpolitik », et moins comme un acteur de la construction européenne. Pourtant, quelle cohérence tirer de son parcours sur ces sujets ? Avec le recul de l’historien, peut-on voir en lui l’homme qui réconcilie l’Allemagne avec (toute) l’Europe ?

Hélène Miard-Delacroix : Il est vrai que Willy Brandt tient sa célébrité de ce geste de l’agenouillement au mémorial du ghetto de Varsovie, le 7 décembre 1970. Cette image est d’une exceptionnelle simplicité et est immédiatement compréhensible par tous, elle a fait le tour du monde et elle symbolise cette politique de réconciliation qui a valu le prix Nobel de la Paix à Willy Brandt en 1971. Il est vrai aussi que cette Ostpolitik, cette politique à l’Est, a suivi une logique propre : il s’agissait à la fois de normaliser les relations de l’Allemagne fédérale avec des populations qui avaient été victimes du nazisme et d’établir des relations de bon voisinage avec des pays devenus communistes – mais qui, pour Brandt, faisait complètement partie de l’Europe. Vis à vis de l’Allemagne de l’Est, la RDA, l’objectif particulier était de permettre des échanges entre les deux populations allemandes afin d’éviter qu’elles deviennent étrangères l’une à l’autre et afin d’abaisser le niveau de tension dont les Allemands de l’Est subissaient les effets. Tout cela est vrai.

Il est faux en revanche que la politique à l’Ouest de Brandt, la politique de construction européenne, n’aurait été menée par Bonn que pour assurer ses arrières. On a prétendu que Brandt aurait cherché à obtenir la bénédiction des Alliés occidentaux pour sa politique à Est en donnant des gages de bonne conduite à l’Ouest. Ce type d’analyse révèle surtout la méfiance qu’a provoquée le choix ouest-allemand de prendre en main ses relations avec ses voisins d’Europe centrale. Or la cohérence de la politique de Brandt à l’Est et à l’Ouest est évidente. Elle l’est par la concomitance des initiatives sur les deux « fronts » : la relance européenne au sommet de La Haye les 1er et 2 décembre 1969 et, ensuite, la recherche des compromis avec la France sur la PAC s’agencent avec les différentes étapes de l’Ostpolitik. La cohérence est claire aussi si l’on écoute bien les déclarations de Brandt : après avoir affirmé dans son discours de politique générale d’octobre 1969 vouloir que les Allemands soient « un peuple de bons voisins à l’intérieur et à l’extérieur », il précise dans les mois suivants que « l’Ostpolitik commence à l’Ouest » et, comme il l’écrit à Pompidou, que l’Ostpolitik n’est que « la composante orientale de la politique européenne ». Depuis la fin de la guerre il a plaidé pour la construction européenne, parlant des États-Unis d’Europe dès 1939, bien avant que Monnet et Schuman lancent en 1950 leur offensive en faveur d’une mise en commun des productions de charbon et d’acier. À cette époque Brandt a été ouvertement à contre-courant de son parti le SPD, alors très hostile à la construction de cette Europe à l’Ouest. Si avec le temps, Brandt s’est éloigné de l’idée d’États-Unis d’Europe au sens littéral il est resté convaincu de l’indispensable construction comme facteur de paix et de prospérité. Ses années de gouvernement ont permis de commencer à réaliser le triptyque, formulé par Pompidou : achèvement, approfondissement, élargissement.

Quelle place prennent en Allemagne les célébrations du centenaire de sa naissance, à l’heure pour le SPD d’une grande coalition avec Angela Merkel ? Selon vous, sa « place » dans l’histoire allemande contemporaine fait-elle encore débat ?

Le hasard du calendrier fait que le centenaire de la naissance de Willy Brandt tombe la même année que le 150e anniversaire de la fondation du SPD qui a été fêté dignement au printemps dernier. Tous les partis ont rendu hommage au plus ancien parti d’Allemagne qui a connu des périodes fastes et des temps plus difficiles. En cette fin d’année 2013, le centenaire de Brandt a lieu précisément au moment où le SPD décide de s’engager dans une nouvelle grande coalition avec les chrétiens-démocrates d’Angela Merkel. Beaucoup y cherchent une source d’inspiration et d’espoir, alors qu’on sait combien le SPD est sorti affaibli de sa dernière expérience de grande coalition, entre 2005 et 2009. Face aux réticences que provoque ce mauvais souvenir récent, la mémoire de Brandt apporte un autre enseignement : le SPD peut gagner à s’allier avec une CDU qui est au pouvoir depuis longtemps, et sortir vainqueur d’une grande coalition comme ce fut le cas en 1969 lorsque Brandt réussit à former un gouvernement avec les libéraux après avoir travaillé pendant trois ans avec la CDU de Kurt Georg Kiesinger.
La place de Willy Brandt dans l’histoire allemande ne fait aujourd’hui plus débat et il a rejoint le panthéon des grands hommes politiques. Il a pourtant été la personnalité, puis le chancelier, qui a le plus polarisé dans les années 1960, 1970 et 1980. Il a été aussi adulé par ses partisans que détesté et insulté par ses détracteurs. Aujourd’hui il fait l’unanimité. Il suffit pour s’en convaincre de remarquer à quelle fréquence est évoqué son nom, sont vantées ses valeurs et sont citées ses formules : « oser plus de démocratie », par exemple.

A son décès, Willy Brandt a privilégié Felipe Gonzales comme « héritier politique ». Par ailleurs, François Mitterrand l’aurait visité le jour même de sa victoire présidentielle en 1981. Comment évaluer son action et son influence au sein de la Social-Démocratie en Europe ?

C’est une vraie rencontre qui a eu lieu avec Felipe Gonzales. Willy Brandt a beaucoup œuvré pour aider la gauche espagnole et portugaise à s’imposer au sortir des dictatures qu’ont connues leurs pays. Dans ces deux pays mais aussi en Amérique du Sud comme en Europe, on ne reconnaîtra jamais assez l’action qu’a menée Willy Brandt à la présidence de l’Internationale socialiste après sa démission de la chancellerie en 1974. À son initiative, ces années ont permis une meilleure prise de conscience du patrimoine commun et des valeurs communes des partis socialistes, et ainsi la création de solidarités qui ne soient pas que théoriques. On y a aussi beaucoup débattu de la nature de la social-démocratie, au détour d’âpres discussions sur les options acceptables. Ainsi l’union de la gauche par le rapprochement avec les communistes, promue par François Mitterrand, n’a pas fait l’unanimité. La relation de Willy Brandt avec François Mitterrand est complexe, comme la plupart de celles qu’a entretenues le socialiste français avec ses amis. Aussi est-il difficile de les résumer en quelques mots. On peut retenir une grande proximité et une inspiration commune. Mais leur intimité s’est affaiblie dans leur désaccord au sujet du stationnement des euromissiles en 1983. Willy Brandt a soutenu alors le mouvement pacifiste, essentiellement sans le souci de retenir la jeunesse dans le SPD, tandis que François Mitterrand a été, comme Helmut Schmidt, radicalement favorable au rétablissement de l’équilibre des forces en Europe. Le discours de Mitterrand au Bundestag en janvier 1983 a été vécu par Brandt comme une trahison personnelle. Pour conclure sur l’influence de Willy Brandt dans la social-démocratie en Europe : elle est indiscutable et elle complète, pour les valeurs et l’inspiration, l’action de Jacques Delors.

Votre ouvrage vous a fait « côtoyer » Willy Brandt. Au cours de votre travail, de quelle manière le personnage vous a t il surpris ?

Hélène Miard-Delacroix : En tant qu’historienne, je connaissais déjà très bien la figure et les archives de Willy Brandt pour avoir travaillé pendant plusieurs années sur l’histoire des relations franco-allemandes, sur l’action d’Helmut Schmidt et sur les relations entre PS et SPD. Le travail que j’ai mené pour écrire cette biographie m’a conduite à étudier plus encore son parcours personnel et à approcher de plus près l’homme, avec ses doutes et ses faiblesses. J’ai moins été surprise que confortée dans ma conviction que le monde politique est rude et que des actions décisives, parce qu’elle font bouger les choses, sont d’autant plus admirables qu’elles ne sont reconnues que bien des années plus tard. Je suis toujours frappée par le fait que la plupart des politiques n’agissent que pour obtenir des gains à très court terme. La « surprise » que nous livre Willy Brandt est que la vision et les convictions pèsent plus que le maintien à un poste dirigeant. En ce sens, il a été exemplaire.

Hélène Miard-Delacroix enseigne actuellement l’histoire et la civilisation de l’Allemagne contemporaine à la Sorbonne. Son domaine de recherche est l’histoire de l’Allemagne du 19e au 21e siècle ainsi que les relations franco-allemandes et la construction européenne. Elle a publié le 30 octobre dernier chez Fayard une biographie de Willy Brandt

Henri Lastenouse est Secrétaire général de Sauvons l’Europe

Source : http://www.sauvonsleurope.eu/willy-brandt-beaucoup-dallemands-ont-vu-en-lui-ce-quils-auraient-peut-etre-prefere-etre/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=willy-brandt-beaucoup-dallemands-ont-vu-en-lui-ce-quils-auraient-peut-etre-prefere-etre

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