Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !
14 Janvier 2020
"En effet, le monde numérique change tellement rapidement que nous sommes comme sidérés, mais on ne réagit pas. Pire, je crains que nous ne soyons moins réveillés que nous ne l’étions en 2013 lors des révélations de Snowden sur les écoutes de la NSA. Le problème est qu’en quelques années, la techno est devenue plus puissante et notre réactivité a diminué. Nous sommes encore à l’analogique en ce qui concerne notre résistance, nous travaillons au papier face à un phénomène surpuissant et numérisé. A cause de cela, je suis un peu moins sanguin sur le sujet. C’est un peu désespérant de voir le piège se refermer lentement sur nous [...] Mais le numérique est beaucoup plus futé et beaucoup plus tenace que l’humain. On laisse tellement de traces que l’agrégation qui constitue notre Doppelgänger peut démonter ces petits jeux que nous sommes en train de faire. Toutes les recherches par ailleurs, sont connues. Une fausse page, de faux profils ne suffisent pas à leurrer la machine sur qui nous sommes. On n’arrive pas à tricher contre le système, sauf à être hors ligne ce que plus personne ne veut [...] Il me semble fondamental de bien comprendre que nous ne sommes pas face à une dictature cherchant à atténuer nos désirs, au contraire. C’est pour cela que nous n’allons pas résister en limitant notre accès aux écrans, ceux de nos proches ou de nos enfants. Ça ne va pas marcher et ça ne peut pas marcher car nous éprouvons tellement de jouissance dans ce nouveau monde, tellement de plaisir dans le numérique, qu’on ne peut l’arrêter en remontant le temps et décélérant… Chez Orwell, les résistances sont rendues possibles car les habitants avaient envie d’autre chose : ils voulaient du café, du thé, du rouge à lèvres, une chambre à eux pour voir leurs amants, tous nos petits plaisirs qui leur étaient défendus. Aujourd’hui, c’est non seulement autorisé, mais même encouragé ! C’est comme ça que ça marche : en nous séduisant et en nous incitant à exposer nos désirs [...] A la fin de mon livre, je cite Deleuze et Guattari qui écrivaient, « les révolutionnaires oublient souvent, ou n’aiment pas reconnaître qu’on veut et fait la révolution par désir, non par devoir ». Nous aussi l’avons oublié, et c’est effrayant que la résistance doit dépendre de vouloir et non devoir, changer le monde. Or, c’est le plus grand défi puisque nous sommes face à un système reposant sur le désir."
" Le numérique est beaucoup plus futé et tenace que l'humain "
Vincent Edin Dans La société d'exposition, désir et désobéissance à l'ère numérique (Seuil), le professeur de philosophie politique et de droit à Columbia et directeur d'études à l'EHESS...