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Publié par Jean-Philippe Immarigeon

Ceux qui ne connaissent pas la Chine ne verront pas le rapport avec les SRAS et autres coronavirus ; les autres réactualiseront ce chapitre extrait d'un essai paru il y a exactement dix ans, rédigé pendant la crise de 2008...

Début 2008, un grand quotidien du soir, comme on dit, publia un article pour expliquer que Roosevelt avait eu raison contre Churchill, traité de « grand rétrograde » parce qu’il ne considérait pas la Chine comme une vraie puissance. Il est exact que le Premier ministre britannique avait une dent contre les Chinois mais surtout contre les Américains qui leur prédisaient déjà un avenir, sans trop savoir eux-mêmes pourquoi si ce n’est pour embêter les puissances coloniales européennes. En témoigne cette note du 23 août 1944 envoyée par Churchill à son secrétaire d’État aux Affaires étrangères, qui vaut par le ton d’exaspération qui était souvent celui du premier britannique à l’encontre de ses alliés du Grand large : « Considérer la Chine comme une des quatre grandes puissances du globe est une véritable farce. J’ai déclaré au président (Roosevelt) que je me montrerai poli, dans des limites raisonnables, à l’égard de cette idée fixe des Américains, mais je ne peux accepter que nous prenions une attitude positive sur cette question. » Conclusion de l’article précité : Roosevelt avait tout de même raison de voir dans la Chine un acteur majeur du monde de l’après-guerre.

On peut toujours tout démontrer et tout prouver. La Chine du Grand Bond en avant, de la collectivisation forcée, des camps de travail, de la famine et de la Révolution culturelle ne fut sans doute pas celle qu’envisageait un président américain en fin de course. Mais depuis lors, le modèle chinois s’est converti à Guizot et au pragmatisme, et est devenu le grand atelier de production du monde tout en restant totalitaire, à la grande satisfaction des économistes qui voient dans ses usines-goulags l’aboutissement logique d’un capitalisme d’esprit concentrationnaire, avec sa main d’œuvre migrante de plus de 200 millions de travailleuses et travailleurs pauvres, les Mindongs, qui errent dans les grandes métropoles à la recherche d’un emploi précaire. La Chine offre le visage d’un gigantesque camp de travail dont les usines tournent, en l’absence de consommation intérieure conséquente, avec le crédit américain qui a permis cette croissance exponentielle que l’Empire du milieu est toujours et pour longtemps incapable de générer avec son seul marché embryonnaire. Là encore tout le monde en a profité : qui se plaindrait de pouvoir acheter des ordinateurs portables à moins de 500 euros ?

On le répète assez souvent, il faut le redire encore et encore: la mondialisation est un phénomène vieux comme le commerce lui-même. Nombre d’articles, d’études et de revues nous la disent vieille d’au moins de deux millénaires. Mais dit comme cela, c’est abstrait, sauf à se plonger dans des statistiques qui ne veulent pas dire grand-chose. Il suffit pourtant de les consulter pour s’apercevoir que, si on se limite au cas de la France, la répartition de son commerce extérieur n’a pas été bouleversée depuis le milieu du XVIIIe siècle : ce sont les quantités qui sont sans commune mesure, pas les pourcentages ventilés par zones géographiques.

Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est le Made in China un peu partout. C’est une image qui frappe, mais nous avons tort de la croire nouvelle. « Vous savez qu’il y a plusieurs personnes à Paris qui font broder, qui font même faire leurs habits à la Chine», ironisait en 1770 un des personnages des Dialogues sur le commerce des blés de l’abbé Galiani. Il n’existe pas d’entrée Délocalisation dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, mais la chose était déjà connue. « Il y aura toujours assez de peuples paresseux, c’est-à-dire mal gouvernés, qui vendront leurs laines, leur coton, leur soie, leur lin, leur chanvre brut, et qui le rachèteront lorsqu’il sera travaillé. » Et Voltaire dans son article De la Chine du Dictionnaire philosophique (toujours de 1770), pouvait se plaindre que « nous allons chercher à la Chine de la terre, comme si nous n’en avions point; des étoffes, comme si nous manquions d’étoffes ; une petite herbe pour infuser de l’eau, comme si nous n’avions point de simples dans nos climats. »

Jean-Philippe Immarigeon, L'imposture américaine, 2009.

 

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