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Publié par ERASME

"..Au milieu des clameurs, un millier de chevaux, pris de panique, coururent se jeter dans le lac pour échapper à l'incendie. Soudain, l'eau qui les protégeait gela... Ce troupeau qui, fuyant le mur de flammes, s'enferme à jamais dans le mur de glace, ses chefs de file auraient pu l'entraîner sur une troisième voie, en s’élançant au long de la rive. Mais le réflexe d'un être apeuré ou fougueux, surtout en groupe, le pousse à bondir d'un extrême à l'autre...
...Dans le phénomène de la surfusion, l'immersion soudaine de corps étrangers entraîne la cristallisation de la masse liquide. Ce sont les chevaux qui provoquèrent le gel du lac. Cet équilibre précaire d'une eau prête à basculer évoque celui dans lequel baigne une société complexe...
...Réfractaires à l'esprit de transaction, nous avons l'esprit de contradiction... Quel rôle notre attrait pour les excès laisse-t-il à la justice? Elle assure l'équilibre de la société, quand elle reconnaît "le bon droit"; quand elle substitue le châtiment légal à la vengeance privée; quand elle sauvegarde les libertés individuelles;quand elle leur fixe des bornes.
Seulement, les juges sont eux-mêmes exposés à tous les déséquilibres... Soumis au pouvoir exécutif, ils réduiraient la justice à être une auxiliaire de la police; dressés contre lui, ils transformeraient la séparation des pouvoirs... Sensibles à l'opinion, ils délibéreraient sous la pression de la rue; dédaigneux de la volonté collective, ils oublieraient qu'ils prennent leurs décisions au nom du peuple français... Trop lents, ils désespèrent celui qui attend réparation; expéditifs, ils s'exposeraient à l'erreur... A tant de risques contradictoires, ils n'échappent que par la mesure...
...Celui qui conduit l'action doit fixer l'horizon. Mais s'il souhaite qu'elle aboutisse, il doit savoir garder le silence. Au milieu des clameurs, il longe la rive – en évitant les dangers du brasier comme du lac en surfusion..."
(Alain Peyrefitte - Les chevaux du lac Ladoga)

Dans son roman Kaputt (1943), l'écrivain italien Curzio Malaparte relate l'anecdote suivante, que l'on présume survenue en 1942, lors du siège de Léningrad :

« Le troisième jour un énorme incendie se déclara dans la forêt de Raikkola. Hommes, chevaux et arbres emprisonnés dans le cercle de feu criaient d'une manière affreuse. (…) Fous de terreur, les chevaux de l'artillerie soviétique — il y en avait près de mille — se lancèrent dans la fournaise et échappèrent aux flammes et aux mitrailleuses. Beaucoup périrent dans les flammes, mais la plupart parvinrent à atteindre la rive du lac et se jetèrent dans l'eau. (…)

Le vent du Nord survint pendant la nuit (…) Le froid devint terrible. Soudainement, avec la sonorité particulière du verre se brisant, l'eau gela (…)

Le jour suivant, lorsque les premières patrouilles, les cheveux roussis, atteignirent la rive, un spectacle horrible et surprenant se présenta à eux. Le lac ressemblait à une vaste surface de marbre blanc sur laquelle auraient été déposées les têtes de centaines de chevaux. »

— Curzio Malaparte, Kaputt, 1943

 

 

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