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Publié par ERASME

Les ayatollahs biophiles ne sont-ils en réalité que des thanatophobes comme les autres?

Lorsque j'entends les adhérents inconditionnels du masque en toute circonstance, et surtout en extérieur, ces fanatiques masqués qui me semblent souvent prêts à envoyer ceux qui s'y opposent en camps de redressement, je ne peux que les renvoyer à leurs propres phobies polymorphes, celle de la mort, de la maladie et des microbes.
Mais il y a plus intéressant, car après tout, chacun s'arrange comme il le peut avec sa névrose et il n'est pas question de juger les personnes qui souffrent de telles phobies.

Aussi, pour tenter de comprendre un peu mieux ce clivage violent et ce qui anime les uns et les autres, il est me semble t-il nécessaire d'examiner ce qui se cache en dessous, un petit exercice d'archéologie anthropo-psychosociale éclairante ne faisant de tort à personne.
Que disent donc les uns et les autres?
Ou qu'essayent-ils de nous dire au juste?

Il me semble qu'ils nous parlent de leur conception de l'existence, de leur vision et de leur représentation de la vie.
Les inconditionnels fanatiques masqués nous parlent de "leur" vie, de "leur" existence, de "leur" conception de la vie, mais en réalité ce dont ils nous parlent surtout, c'est de leur peur de la mort et de la maladie. A l'opposé, les inconditionnels de la libre respiration nous parlent aussi de "leur" conception de la vie, mais elle se situe à l'opposé, en antinomie.
D'un côté nous avons les "biophiles", de l'autre des espèces d'existentialistes tendance "érophile", les hédonistes.

Deux conceptions et deux représentations symboliques et émotionnelles très différentes qui ne se rencontrent que rarement.

Les adhérents radicaux du port obligatoire du masque sont souvent anxieux, inquiets, voire parfois paniqués, ce sont ce que j'appelle avec bienveillance de faux biophiles, en d'autres termes des thanatophobes masqués et qui revendiquent le port généralisé du masque au nom de la bonne santé, mais surtout au nom de leur combat contre la mort.
Pour eux, le masque n'est qu'un accessoire comme un autre, un simple bout de tissus ou de coton chirurgical destiné à protéger les autres et soi-même contre la maladie et la mort et ils n'en voient pas les conséquences, ou ne veulent pas les voir, conséquences relationnelles, symboliques, émotionnelles et économiques.

Pas plus qu'ils n'ont de considération pour toutes les contraintes imposées aux personnes qui travaillent aujourd'hui dans des conditions difficiles à cause de la distanciation physique: contrôles sanitaires à tous les niveaux rendant de plus en plus pénibles les tâches quotidiennes et réduisant les périodes de pauses alimentaires et les moments de détente, en particulier dans tous les secteurs qui impliquent des contacts sociaux denses (enseignement normal et spécial, aide aux personnes handicapées, services sociaux etc).

Leur regard est mutilé et leur conscience rétrécie. Et ils sont même disposés à faire tous les sacrifices pour se prémunir de cet horizon angoissant indépassable qui les obsède et guide leur vie, Thanatos, en confiant leur existence et leur corps, à une instance supérieure régulant non seulement leur vie mais surtout celle des autres, la collectivité.

De l'autre côté, les opposants au masque revendiquent le droit de disposer de leur corps et donc de leur vie comme ils l'entendent en tenant compte d'autrui, ces derniers sont souvent plus tolérants dans la mesure où contrairement aux fanatiques du masque, ils ne demandent pas d'imposer quoi que ce soit au nom de la santé et sont disposés à porter le masque à la demande d'autrui dans certains contextes particuliers (Lieux clos, foule compacte).

On pourrait dire que d'un point de vue sociopolitique, les vrais libéraux individualistes sont plutôt ceux qui privilégient Eros et la liberté individuelle sans masque tandis que les collectivistes sont ceux qui privilégient leur phobie de la mort en voulant imposer à tout le monde leur vision de la vie et donc le port obligatoire du masque et la distanciation physique.
Les fanatiques du masque ont en réalité une représentation mécaniste du vivant, ils en ont une vision "bio-logique", une conception physiologique, organique, cellulaire.
Or la vie, l'existence est un concept très différent du "Bios". Le mot "vie" provient du latin "vita" qui signifie existence, le mot "Bios" lui provient du grec et il renvoie non pas au fait de vivre, mais à la manière de vivre, le mot "zôn" quant à lui désigne le règne du vivant.
Et la vie ne se réduit évidemment pas à une combinaison de fonctions physiologiques et biochimiques.
On le voit, ce clivage apparent entre les uns et les autres est bien plus profond qu'une simple opposition binaire. Ceux qui réclament une entière liberté de le porter ou pas sont en quelques sortes des hédonistes et des épicuriens vitalistes et spiritualistes dont certains sont certainement des libertariens et qui considèrent que la vie est pleine de risques, qu'elle est même un immense risque en soi, que les pulsions de mort et de vie coexistent et qu'une vie rétrécie et réduite contrôlée n'est plus une vraie vie mais un enfermement individuel invalidant tout rapport avec l'autre dépourvu de visage et interdit de contact sensuel chaleureux.
Ces derniers ne supportent pas que l'état régente leur vie privée, sociale et intime.

Les autres semblent plus proches des matérialistes doloristes rationalistes, acceptant des restrictions dans leur quotidien qu'ils considèrent comme mineures et nécessaires.
Sur cette question du rapport au plaisir, deux grands courants s’opposent radicalement depuis toujours et nous les retrouvons aujourd'hui de manière très visible : d’une part, la mystique ascétique chrétienne, imprégnée du platonisme et d’autre part, l’eudémonisme d’Epicure et de ses épigones, que l’on appelle plus généralement l’hédonisme.

Entre l'hédonisme des libertariens et la monomanie sanitaire hygiéniste des matérialistes c'est toute la dynamique des forces dionysiaques et apolliniennes qui se jouent à travers la tectonique sociopolitique et géopolitique actuelle dont les tensions et les secousses n'ont pas fini de bouleverser nos modes de vies.
Le dionysiaque désigne traditionnellement dans la philosophie de Nietzche la cohésion de l'individuel dans le tout de la nature, tout ce qui est vaste, insaisissable, sensitif, inspiré,erratique, fougueux, immuable. Son opposé, l'apollinien, désigne ce qui est cadré, stable, ordonné, classique, rationnel, régulé, mesuré.

La nouvelle norme sociale actuelle sera probablement pérenne malgré une hypothétique fin d'épidémie que rien ne semble arrêter puisque que l'enjeu est bien plus biopolitique que médical, sanitaire et scientifique.
La puissance du coronavirus se loge essentiellement dans sa récupération politique et non dans la virulence réelle de son ARN.

"Nous ne sommes pas des être humains faisant une expérience spirituelle, nous sommes des êtres spirituels faisant une expérience humaine." (Pierre Teilhard de Chardin).

© Michel Rosenzweig.
Photo: Dionysos et Apollon, série statuaire, Karl Lakolak.

 

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