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Publié par ERASME

J’en suis arrivé à la certitude qu’il y a des notions communes à toutes les cultures, et que toutes se réfèrent à la position de notre corps dans l’espace (…) Nous sommes des animaux à station verticale, si qu’il nous est pénible de rester longtemps la tête en bas, et nous avons donc une notion commune du haut et du bas, et nous tendons à privilégier le premier sur le second. De la même façon, nous avons la notion d’une droite et d’une gauche, de l’immobilité et de la marche, de la veille et du sommeil, du fait d’être debout ou couché, de ramper ou de sauter. Nous avons des membres, et nous savons donc tout ce que signifie heurter une matière résistante, pénétrer une substance molle ou liquide, écraser, tambouriner, piétiner, donner des coups de pied, ou danser. Je pourrais continuer cette liste, et inclure la vue, l’ouïe, manger ou boire, avaler ou vomir. Et bien sûr, chaque homme a une notion de ce que signifie percevoir, se souvenir, éprouver du désir, de la peur, de la tristesse ou du soulagement, du plaisir ou de la douleur, et émettre des sons exprimant ces sentiments. Par conséquent (et l’on entre déjà dans la sphère du droit), nous avons des conceptions universelles sur la contrainte : on ne désire pas que quelqu’un nous empêche de parler, de voir, d’écouter, de dormir, d’avaler ou de vomir, d’aller où nous voulons; nous souffrons que quelqu’un nous attache ou nous contraigne à la ségrégation, nous frappe, nous blesse ou nous tue, nous soumette à des tortures physiques ou psychiques qui diminuent ou annulent notre capacité de penser.

(…) Notez que, jusqu’ici, j’ai mis en scène uniquement une sorte d’Adam bestial et solitaire, qui ignore encore ce qu’est le rapport sexuel, le plaisir du dialogue, l’amour pour les enfants, la douleur de la perte d’un être cher; mais déjà, dans cette phase, du moins pour nous (sinon pour lui ou elle), cette sémantique est devenue le fondement pour une éthique : nous devons avant tout respecter les droits de la corporéité d’autrui,, parmi lesquels le droit de parler et de penser.

(…) Mais, me demandez-vous, cette conscience de l’importance de l’autre suffit-elle à m’offrir une base absolue, un fondement immuable pour un comportement éthique ? Je pourrais vous rétorquer que même ce que vous appelez les fondements absolus n’empêchent pas les croyants de pécher, tout en ayant conscience de pécher, et le débat serait clos; la tentation du mal habite aussi chez ceux qui ont une notion fondée et révélée du bien. "

Source : Umberto Eco : morceaux choisis

 

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