Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par ERASME

Introduction

La France et l’Europe ont été confrontées depuis la fin des années 2000 à une succession de chocs et de crises qui constituent le propre de l’histoire du XXIe  siècle : krach financier de 2008, tourmente sur l’euro, attentats islamistes, vague migratoire, expansionnisme de la Russie en Ukraine et au Moyen-Orient, de la Turquie en Syrie et en Méditerranée. La pandémie de Covid-19 a jeté une lumière crue sur la montée des périls planétaires et sur la vulnérabilité de notre pays et de l’Union. Elle sert de banc d’essai pour la résilience des nations et redessine la hiérarchie des puissances. Elle a aussi remis la question de la sécurité au premier rang des préoccupations des citoyens, au plan sanitaire mais aussi au plan économique, technologique et stratégique.

Si l’attention est aujourd’hui focalisée sur la santé publique, il est essentiel de ne pas perdre de vue les autres sources de risques qui pèsent sur la sécurité de la France et de l’Europe. Elles sont touchées de plein fouet par la montée de la violence et la désintégration des principes et des institutions qui avaient été mis en place pour la contenir. Pour s’en convaincre, il suffit de constater la profonde dégradation de l’environnement international qui intervient parallèlement à l’épidémie : confrontation globale entre les États-Unis et la Chine ; impérialisme de la Russie adossé à la reconstitution de sa puissance militaire ; multiplication des interventions de la Turquie en Méditerranée, en Syrie et dans le Caucase ; expansion du djihadisme du Nigéria aux Philippines et redéploiement sous la forme d’un réseau social de la terreur dans les sociétés développées.

Le caractère universel et durable de l’épidémie, la crise économique sans précédent depuis la seconde guerre mondiale, la montée de la violence et des menaces stratégiques déstabilisent les démocraties. Et ceci est tout particulièrement vrai de l’Europe et de la France. Voilà pourquoi la relance de notre pays comme la redéfinition du projet européen passent par l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie globale de sécurité. Sans se limiter à la défense, elles doivent lui faire toute sa part, car les Armées, comme elles l’ont montré dans les crises récentes, jouent un rôle irremplaçable dans l’action de l’État et dans la résilience des nations.

Voilà pourquoi l’Institut Montaigne a souhaité éclairer la nouvelle donne stratégique qui émerge et réfléchir au rôle des Armées dans la réponse que la France, aux côtés de ses partenaires européens et de ses alliés, doit lui apporter. Et ce dans la fidélité au principes fixés par son fondateur, Claude Bébéar : porter le regard de la société civile sur une politique publique ; apporter des faits et des connaissances ; multiplier les points de vue grâce à des comparaisons internationales ; déboucher sur des propositions concrètes au service de l’action. D’où les conclusions et les convictions qui suivent.

1. La France et l’Europe sont confrontées à une dégradation rapide et durable de leur environnement stratégique. Le djihadisme demeure une menace de premier rang. Nombre d’États affichent par ailleurs leurs ambitions de puissance et poursuivent une stratégie d’expansion assumant le recours à la force armée, à l’image de la Chine qui entend mondialiser son modèle total-capitaliste, de la Russie en Ukraine ou au Moyen-Orient, de l’Iran dans l’empire chiite qu’il a constitué du Liban à l’Afghanistan, de la Turquie en Syrie, dans le Caucase et surtout en Méditerranée. Il en résulte une militarisation de la mer, de l’espace, des pôles ou du cybermonde ainsi qu’une relance de la course aux armements qui a mobilisé 1 920 milliards de dollars en 2019. Nul ne peut dès lors exclure que la prochaine crise majeure ne soit pas financière ou sanitaire mais militaire et stratégique.

2. La France et l’Europe sont en première ligne. La France, de par ses valeurs, son histoire, ses engagements au Levant ou au Sahel, représente une cible prioritaire pour les djihadistes ou pour la démocrature islamique turque. Elle se trouve affaiblie par son décrochage économique, par la forte progression de la dette publique, par les tensions qui traversent la Nation ainsi que la défiance qui se répand envers les institutions. Le grand marché européen constitue l’un des enjeux de la guerre commerciale et technologique entre les États-Unis et la Chine. L’Union européenne est cernée par les crises, désignée comme un ennemi par les djihadistes, mise sous pression et menacée par la Russie et la Turquie. Créée autour du droit et du marché, elle n’a d’autre choix de se redéfinir en termes de souveraineté et de sécurité, au moment où les États-Unis se replient sur eux-mêmes et poursuivent leur pivot vers l’Asie. L’Europe n’a pas d’alternative à l’affirmation de son autonomie. Mais l’Union se trouve écartelée par le Brexit comme par les divisions entre pays du Nord et du Sud autour de la gestion de l’euro, de l’Est et de l’Ouest autour de la démocratie illibérale et de la place de l’État de droit.

3. La France dispose d’une responsabilité particulière, renforcée par le Brexit. Elle est en effet le seul pays de l’Union à disposer du statut de membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, de l’arme nucléaire, d’un modèle d’armée complet et de la faculté d’entrer en premier sur un théâtre d’opérations complexe. Mais l’écart s’est creusé entre les missions assignées aux Armées et les moyens dont elles disposent pour répondre aux défis du nouvel environnement stratégique. Par ailleurs, la prise de conscience de la nécessité pour l’Europe de renforcer son autonomie, notamment dans le domaine de la défense, avait été favorisée par les attaques portées par l’administration Trump à l’OTAN. Le risque existe que l’élection de Joe Biden ralentisse les efforts des Européens, quand bien même le nouveau président des États-Unis entend lier renouveau de l’OTAN et réengagement des Européens dans la sécurité du continent.

4. Quatre principes doivent dès lors guider notre politique de défense. Face aux chocs et aux crises, les armées ont vocation à être repositionnées comme la réassurance ultime de la Nation, à même de mobiliser efficacement et rapidement les moyens et les compétences opérationnels qui leurs sont spécifiques pour faire la décision – sans pour autant les transformer en auxiliaires des administrations civiles. Elles doivent renforcer la résilience de la Nation, c’est à dire la capacité à assurer en toutes circonstances la continuité de l’État comme de la vie économique et sociale. La résilience des Armées a pour condition la préservation de leur autonomie en termes de renseignement, de décision et de conduite des opérations de soutien, ainsi que le renforcement de leur agilité, indispensable pour répondre aux menaces hybrides. Enfin, l’autonomie ne s’entend que mise au service et articulée avec nos partenaires européens, vis-à-vis desquels la France doit jouer un rôle de fédérateur.

5. Les réflexions stratégiques et le modèle d’armée français doivent réintégrer l’hypothèse d’un conflit armé de haute intensité qui ne subsistait qu’à titre marginal depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Face à un environnement très volatile et aux menaces hybrides, l’adaptabilité et la réactivité des forces prennent une importance décisive. Il est urgent de combler les lacunes capacitaires qui compromettent directement la résilience et l’autonomie de nos Armées dans les domaines du transport stratégique, des hélicoptères lourds, des drones ou de l’espace. Il est tout aussi important de préserver le capital humain de notre défense en améliorant l’attractivité du métier des armes.

6. À l’âge de l’histoire universelle, face à des crises de plus en plus complexes et à des menaces hybrides, il n’est de stratégie que globale. Le politique, le militaire, le diplomatique et l’économique doivent être mis en cohérence et articulés pour obtenir des résultats. Il n’est en effet pas de sécurité durable sans développement, sans institutions stables et sans soutien de la population. L’État doit donc non seulement être capable de définir et appliquer une ligne claire grâce à la coordination interministérielle mais aussi savoir travailler avec les élus comme avec les acteurs économiq

7. La réorientation de la politique de défense soulève la question décisive de ses moyens, à l’heure où le PIB de la France va se trouver réduit de plus de 10% tandis que la dette publique dépassera 120 % du PIB. Il est essentiel que la loi de programmation militaire pour les années 2018 à 2025 soit intégralement exécutée. Compte tenu des conséquences financières de l’épidémie de Covid-19, cela demande que la défense figure parmi les priorités des plans de relance français et européen, notamment au titre de l’innovation.

8. La violence de la récession et sa concentration sur certains secteurs invitent à porter une grande attention aux entreprises de la filière aéronautique et spatiale. Dans un contexte où des puissances étrangères pourraient acquérir à des prix très attractifs des entreprises innovantes en grande difficulté, il est essentiel de préserver les compétences et les technologies qui déterminent l’avenir de notre base industrielle de défense. Ceci passe par le renforcement de leurs capitaux propres et la continuité de leur accès aux financements bancaires, particulièrement pour les PME.

9. La résilience et l’autonomie ne sont pas soutenables sans coopération, y compris avec le Royaume-Uni après le Brexit. L’Europe de la sécurité, quels que soient les obstacles qu’elle rencontre, reste un pari indispensable que la France doit continuer à porter et autour duquel elle doit rassembler. Elle est en effet la seule réponse possible à la restructuration de la mondialisation autour de blocs régionaux, à la montée des menaces et à la priorité donnée par les États-Unis à l’Asie-Pacifique. La relance de l’OTAN à la faveur de l’élection de Joe Biden et l’affirmation progressive d’une autonomie stratégique européenne sont complémentaires. De même que la crise financière a imposé la transformation de la BCE en un prêteur de dernier ressort, de même que la récession provoquée par l’épidémie de Covid-19 a donné naissance à une union économique avec le plan de relance, la montée des menaces stratégiques conduira tôt ou tard les Européens à prendre en main leur sécurité. Il revient à la France de rendre ce choix possible, en continuant à incarner et à déployer une conception globale de la stratégie. Simultanément, le principe d’une préférence européenne dans les achats militaires doit être promu afin de préserver la base industrielle sans laquelle l’Union ne pourra prétendre à une autonomie stratégique. La sécurité est plus que jamais la clé d’une Europe politique.

Voir l'étude complète : Repenser la défense face aux crises du 21e siècle

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article