"Ces mois de quarantaine nous ont permis de faire un bond de dix ans. Internet est devenu vital du jour au lendemain. C’est essentiel pour faire des affaires, pour organiser nos vies et pour les vivre" (Éric Schmitt, ex-patron de Google).
« Nous allons amorcer un virage complet dans nos activités par l’implication du numérique aussi bien dans notre façon de produire, travailler, apprendre que dans nos relations sociales et notre manière de nous distraire. « Décennie numérique », c’est notre label pour bien montrer que le plan de relance va soutenir ce virage" (Thierry Breton)
« Je pense que nous ne reviendrons jamais en arrière » (le directeur de Microsoft 365).
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"Assurément aucun État n’a planifié l’épidémie, sous-produit pervers de la société industrielle, et subie depuis un an par leurs populations ; mais tous les États planifient des scénarios de crise afin de faire face aux éventualités soudaines, brèves ou durables. Et tous ont appris à saisir l’occasion que leur offrait la crise – l’épidémie – pour accélérer des tendances – comprenez des plans, des projets, des entreprises, mûris et engagés de longue date dans leurs think tanks, leurs services administratifs, leurs forums, colloques, réunions interministérielles ou inter-gouvernementales, etc.
C’est ainsi qu’à l’occasion d’une crise, une certaine quantité d’accélération entraîne un saut qualitatif et une mutation.
Pourquoi ce bourrage de crâne qui nous gave de Covid, matin, midi et soir, à l’exclusion souvent de toute autre actualité. Pourquoi les mass media se concentrent à ce point sur un fléau somme toute mineur – voyez la liste de tous les ravages bien pires, sanitaires ou autres (ainsi la seule pollution de l’air a tué près de 500 000 nouveaux nés en 2019).
Pourquoi marteler, répandre, grossir, détailler à ce point la panique Covid et chacune de ses péripéties ? Pourquoi en faire l’un des quatre cavaliers de l’apocalypse ? Qu’est-ce que cet « effet spécial » sinon un leurre, un nuage de fumée, une opération de diversion destinée à hypnotiser les foules afin de procéder à l’abri des regards et en distanciel, à la transformation réelle des choses.
Merveilleuse aubaine que ce virus qui remet le gouvernement du pays entre les mains d’un conseil de défense et d’un état d’urgence en voie de chronicisation qui vide les rues, les villes, les routes ; qui assigne la population à domicile et sous couvre-feu ; qui interdit et traque toute vie sociale ; qui suspend les libertés de réunion et de circulation ; qui ferme les lieux et barre les routes où ces libertés s’exerçaient ; qui étouffe tout débat hors des « filets sociaux » (rets, réseaux, toile, etc.), laissant ainsi toute liberté au pouvoir, et nulle opposition, pour imposer d’un coup ce qu’il voulait obtenir à la longue.
L’économie » est-elle vraiment « suspendue » ou, au contraire, en suractivité, afin de forcer le passage au numérique et aux technologies convergentes (Nano-Bio-Info-Neuro, IA, etc.), cependant que nul ne peut s’y opposer?
La pandémie n’a pas freiné l’innovation, elle l’a même spectaculairement amplifiée. Accélérons.
Cette vitesse est une violence qu’on nous fait sous prétexte d’urgence, afin de procéder d’un bond, d’une rupture, à la mutation forcée de notre société, de nos vies, de nos personnes.
Cette mutation peut se résumer en un mot : numérisation, et ce mot en deux points : machination et virtualisation. La technocratie, en effet, ne peut accroître sa puissance sans en révolutionner constamment les moyens et donc l’ensemble des rapports sociaux. Et ainsi tout ce que vivions en présentiel est éloigné en visions illusoires par l’autorité qui peut à tout moment en interrompre les flux ou en falsifier les images.
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Effet-cliquet : on ne revient pas en arrière quand les technologies ont imposé de nouvelles habitudes. L’offre a créé la demande. De réunions Zoom en concerts virtuels, de cours sur Internet en achats en ligne, de cyber-démarches administratives en téléconsultations médicales, nous devenons des Smartiens, cette espèce qui ne survit que connectée à la Machinerie générale. Voyez la gratitude des confinés connectés – « comment aurions-nous fait sans Internet ? » – révélant toute honte bue leur dépendance. Si notre vie tient à un câble, la sélection technologique élimine ceux qui refusent ou n’ont pas accès à la connexion universelle. Seuls restent les adaptés, les connectés, vaccinés, livrés et monitorés par la Machine. Le petit commerce ne survit pas sans mise en ligne, c’est-à-dire sans supprimer ce qui fait le petit commerce. Il faut choisir : disparaître ou disparaître. Comme les Chimpanzés du futur, ces humains qui ne voudront ou ne pourront « s’augmenter » pour devenir des surhommes.
L’idéologie cybernétique et transhumaniste empoisonne les esprits depuis des décennies : l’erreur, c’est l’humain, le « vivant politique » (zoon politikon). Vos objets sont plus intelligents que vous. Suivez les algorithmes. L’humain est non seulement faillible, incontrôlable (en théorie) et mortel, mais il colporte des virus. Pour éviter de mourir, vous savez ce qu’il vous reste à faire. La pandémie est l’occasion d’accélérer l’élimination de l’humain, d’où, par exemple, l’acharnement contre le spectacle vivant (les supermarchés oui, les théâtres, non).
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Un an après le déclenchement de la pandémie, voici un tableau provisoire.
D’un côté, les gagnants de la crise : la « Tech » et la Silicon Valley, Walmart et les hypermarchés, la Chine, Amazon et les livraisons à domicile, les usines « 4.0 » et les robots, les milliardaires, Arkema, le Plexiglas et la chimie, la télé, les applis de visioconférence, le podcast, le paiement sans contact, l’immobilier péri-urbain, la voiture, le vélo électrique, les drones, Doctolib et la télémédecine, les start up du numérique, les consoles de jeu et les loisirs en ligne, la 5G, l’industrie pharmaceutique, les congélateurs, les machines à pain, à café et à raclette, le livret A, les distributeurs automatiques de pizzas, l’« intelligence » artificielle, la bande dessinée, les perceuses, Tinder, les réseaux sociaux, les anxiolytiques, Netflix, les actionnaires, le virtuel.
De l’autre, les perdants : les boîtes de nuit et cabarets, les bistrots, les hôtels et restaurants, les brasseurs et viticulteurs, l’argent liquide et les chèques, les vieux, les fleuristes, les vide-greniers, les pauvres, les transports publics, l’aéronautique et l’industrie automobile, les stations thermales, les agences de voyage, le tourisme, les stations de ski, les médecins de montagne, les festivals, le spectacle vivant et le cinéma, les jeunes, les bouquineries, les boutiques d’habillement et autres de centre-ville, les fers à repasser, la publicité, les foires et salons, les chômeurs, les sportifs et les artistes amateurs, la vie directement vécue.
Que s’est-il passé ? Les dirigeants des économies les plus avancées ont suspendu toute activité non liée à la santé et à la vie quotidienne. Zorglub nous a gelés sur place d’un coup de Zorglonde. La technocratie a saisi l’occasion du choc, de la rupture, brutale et inédite, pour accélérer la mutation du système techno-économique. L’économiste américain Jason Furman l’annonce en mai 2020, la crise « provoquera une vaste redistribution parmi les entreprises et les secteurs économiques. » Non par enchantement, mais sur décision technocratique, comme l’indique le commissaire européen Thierry Breton : « on ne va pas rebâtir le monde d’après avec les schémas et les outils du monde d’avant. » Robert Boyer, économiste auteur de Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, assure qu’« il est impossible que tout « reprenne » comme avant » car « une transformation structurelle de l’économie se produit sous nos yeux » :
« La « congélation » de l’économie a accéléré le déversement de valeur entre des industries en déclin et une économie de plates-formes en pleine croissance – pour faire image, le passage de l’ingénieur de l’aéronautique au livreur d’Amazon. Or cette économie offre une très faible valeur ajoutée, un médiocre niveau de qualification à la majorité de ceux qui y travaillent, et génère de très faibles gains de productivité. J’ai longtemps pensé que ces caractéristiques allaient déboucher sur une crise structurelle du capitalisme, mais je reconnais aujourd’hui que je me suis trompé. […] le capitalisme n’est pas du tout en crise, il sort même considérablement renforcé par cette pandémie… »
Le capitalisme mute, comme le virus, sous l’effet de l’emballement technologique, mais son « renforcement », comme l’appelle Robert Boyer, constitue en fait ce que les théoriciens marxistes – et Marx lui-même – nommaient plutôt « dépassement ». L’émergence, des flancs de la vieille société, d’une société nouvelle où l’acquisition de puissance compte davantage que l’accumulation du capital, et dicte sa loi, sa rationalité, au capital et à l’État eux-mêmes, qui la financent et la protègent. L’un et l’autre y trouvant leur compte sous forme de profits et de pouvoirs supplémentaires.
Cette société nouvelle que l’on nomme « technocratie » depuis le néologisme de l’ingénieur William Smyth en 1919 et qui repose sur le machinisme et la technologie, élimine constamment les moins adaptés. Chacun le sait depuis la disparition des paysans et bien avant que des scientifiques dévoyés ne répandent la fable du « darwinisme social » et de la nécessité de l’eugénisme, aujourd’hui technologique.
La technocratie elle-même se recompose et se polarise, entre ceux que la machine remplace – techniciens et cadres intermédiaires, fonctions support – et ceux qui détiennent effectivement la Machine, parce qu’ils la pilotent effectivement : chercheurs, ingénieurs, cadres supérieurs, dirigeants, entrepreneurs.
Quelles que soient les sociétés considérées, communistes ou libérales, étatiques ou parlementaires, « despotiques asiatiques » ou « libérales occidentales », c’est en faveur de la haute technocratie, de la couche supérieure de la classe technocratique, dont la volonté de puissance s’enfle des gains accumulés durant la crise, que s’accroît le rapport de forces. La mutation est la poursuite de la lutte de classes par d’autres moyens."