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Publié par ERASME

"Il y a depuis très longtemps des armes dans la région. Il y a eu tout d’abord la pénétration arabe, puis au sud du Sahel, la pénétration française, la colonisation. C’est à ce moment-là que des forgerons ont commencé à produire eux-mêmes des armes en copiant des fusils de chasse français, donc la première source a été la production locale. En général, ce sont des armes non automatiques qui utilisent des cartouches de chasse, mais apparemment certains artisans sont capables de copier des Kalachnikovs, en particulier au Mali, pays dont l’expertise en matière de production d’armes est la plus reconnue [...] Concernant les origines des armes industrielles, elles sont très diverses. Par exemple, pendant la guerre civile en Côte d’Ivoire, le président Blaise Compaoré [ancien président du Burkina Faso, ndlr] soutenait les rebelles nordistes [de Côte d’Ivoire] et il y a eu de gros flux d’armes du Burkina Faso vers la Côte d’ivoire. D’après les rapports de l’ONU, la majorité des armes qui ont été transférées depuis les arsenaux de l’armée du Burkina Faso vers la Côte d’Ivoire étaient des « Types 56 », c’est-à-dire la version chinoise de la Kalachnikov. Il y avait aussi des modèles AK (Kalachnikov) provenant de Pologne, des pistolets HK (Heckler & Koch) d’origine allemande mais produits aux États-Unis, et des munitions fabriquées en Serbie et en Roumanie [...] Entre 2011 et 2013, c’était vraiment l’inondation d’armes en provenance de Libye : des armes anti-aériennes, des lance-roquettes, mais surtout des armes à feu de petit calibre qui étaient de très loin les plus nombreuses. Même si une partie de ces armes arrivées au Sahel est partie vers d’autre destinations comme la République centrafricaine, l’essentiel est resté au Sahel. Depuis, la part libyenne semble avoir fortement diminué, surtout quand la guerre civile a recommencé en Libye et on a même assisté à des retours d’armes du Mali vers la Libye. Donc ce flux a décru. Mais en 2011, c’était aussi la fin de la guerre civile en Côte d’Ivoire, quelques années après la fin des combats en Sierra Leone et au Liberia. On a alors assisté à d’importants transferts illégaux d’armes de ces pays, et en particulier par des commandants de zone du nord de la Côte d’Ivoire vers le Mali et le Niger, mais aussi vers la République centrafricaine où la guerre commençait [...] Il y a aussi des réseaux de trafic avec des groupes hautement organisés qui opèrent dans le Sahara ou sur un axe est-ouest et qui se caractérisent par ce qu’on appelle les « poly-trafics » car ils combinent les armes avec d’autres produits, comme les stupéfiants, par exemple le haschisch marocain à destination de l’Égypte et du Moyen-Orient, ou la cocaïne d’Amérique du Sud qui transite par le Sahel à destination de l’Europe [...] Mais de mon point de vue, la principale source d’approvisionnement, celle qui compte au moins pour moitié dans certains pays, c’est le trafic provenant des arsenaux des forces de sécurité. Evidemment, il y a eu la Libye, où les arsenaux gouvernementaux libyens se sont vidés. Mais dans des pays comme le Mali et le Niger, les forces de sécurité perdent ou vendent leurs armes au profit de groupes armés, de criminels et de jihadistes. Les arsenaux des armées de ces pays sont sans doute la source majeure d’approvisionnement en armes illicites [...] Certains pays ont joué un rôle très important dans la fourniture d’armes : l’Ukraine, la Bulgarie, avant qu’elle ne rentre dans l’Union Européenne, l’Iran, plutôt actif vers l’est de l’Afrique, ou la Chine dont les munitions et les fusils d’assauts se retrouvent un peu partout en Afrique. Récemment par exemple, il y a eu une très grosse saisie à Lagos (Nigeria) de fusils turcs, la Turquie semble devenir elle aussi un gros exportateur d’armes. Les transferts d’armes entre États peuvent aussi être officiellement autorisés par les gouvernements au profit d’autres gouvernements, et détournés vers d’autre destinations, comme cela a été le cas par exemple au Burkina Faso. Officiellement, les armes étaient envoyées au Burkina Faso qui était un pays stable et elles étaient détournées vers le Liberia ou la Côte d’Ivoire en guerre [...] Aujourd’hui au Sahel, les armes proviennent essentiellement du détournement des forces de défense ou de sécurité de ces pays ou des pays voisins. Il y a eu beaucoup de détournements, volontaires ou involontaires, des arsenaux gouvernementaux du Nigeria, du Niger, du Tchad vers Boko Haram au Nigeria. Parfois, c’est un responsable local qui fait cela pour s’enrichir, mais il y a aussi d’autres suspicions et on peut s’interroger. Pourquoi le Burkina Faso n’a-t-il connu aucun attentat sous Blaise Compaoré ? Depuis qu’il a été renversé, les attentats se multiplient. Pourquoi la Mauritanie n’a-t-elle subi aucun attentat ? Pourquoi le Tchad jusqu’en 2015 a-t-il été à l’abri de Boko Haram ? On peut supposer que certains gouvernements de ces pays ont conclu des accords avec les jihadistes pour qu’on les laisse tranquille et qu’en contrepartie, il y a eu une certaine complaisance, pour leur armement par exemple [...] Une Kalachnikov au Sahel coûte entre 100 et 200 euros. Si on compare avec d’autres zones, c’est beaucoup moins cher qu’en Europe de l’Ouest où le prix varie entre 500 et 1 000 euros, mais c’est nettement plus que dans certaines régions comme en RDC où cela coûte entre 25 et 50 dollars à Goma ou à Bukavu (entre 22 et 45 euros). Le prix dépend de l’offre et de la demande. La RDC est maintenant sur-saturée en armes et donc il n’y a plus besoin d’en importer parce qu’il y a tout ce qu’il faut sur place. La plupart des armes industrielles en Afrique viennent d’Europe de l’Est et de Chine. Cette prédominance s’explique principalement parce que leur prix est beaucoup plus bas que les fusils FAL Belges, HK allemand ou M16 américain. C’est pour cette raison qu’elles ont un tel succès dans les États ou auprès des groupes armés non étatiques. Au Sahel, 95 % des fusils d’assaut sont des Kalachnikovs, le reste sont des armes de fabrication occidentale."

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