Derrière le silence, par-delà le silence - La poésie d’Andrea Zanzotto, par Niva Lorenzini, (Traduit par Aurélie Gendrat-Claudel - Poésie 2006/3-4 (N° 117-118), pages 239 à 247)
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Au même titre que la parole, il semble que le silence se réduise à un toucher affilé, à un bourdonnement, un sifflement, une griffure, un effleurement aphone sur la peau. Ou bien à quelque chose que l’on cueille comme au ras du sol, en flairant la sonorité de la matière et son affaiblissement, selon une phonétique non pas lexicale mais végétale qui donne lieu, dans des cas extrêmes, à des conglomérats et à des fibres de syllabes. Un marmottement pré-linguistique dans lequel s’entremêlent « voix » et « mutisme », comme dans « À Faèn », qui tente, dans Surimpressions, une grammaire inédite de la rumination : entre sens et son, celle-ci convoque l’articulation du signifiant en allitérations, en assonances, en onomatopées qui puissent restituer le « bruissement » indistinct d’apparitions moléculaires, entre foin et syllabe (« Lieu perdu en parole, lieu oxyton […] lieux-omases de l’insistance de la contrainte / de la domination jusqu’à la compaction entre voix et mutisme / régurgurgitagitation rumirumnation à gogo / spasmes, sanglots en glosses, toux, parfois larigot […] »).
33L’analyse des différentes occurrences du « silence » dans la poésie de Zanzotto nous a permis de parcourir une ligne qui, partant de l’absolu de la prononciation, aboutit progressivement à sa fibrillation puis à sa corrosion. Au fil des différentes étapes, on a vu prendre corps une taxinomie du silence comme densité de matière exclue du je et de la fonction communicative, dans son ontologisme qui se donne comme substance que la langue ne peut attaquer, ou au contraire comme tentative de verbalisation poussée à l’extrême limite, jusqu’aux marges du non linguistique ; et encore face à un silence qui présuppose une voix niée, un discours interdit, on a vu se configurer un silence qui, en partant de l’indicible et de l’outrance, continue, fût-ce avec d’imperceptibles écarts, à pousser sous la parole : c’est une pulsation, une vibration, qui sollicite un Logos « miniaturisé », mais jamais complètement nié, jamais complètement éclipsé, à retrouver, contre l’aphasie, l’espace, certes réduit, d’une affabilité pulvérulente.
34Car dans la poésie de Zanzotto, marquée par une intarissable tension cognitive, le « je » ne se résigne pas, au fond, à se priver du silence, ni d’autre part à l’impossibilité de le prononcer, et poursuit l’ailleurs, l’outrance comme perspective textuellement praticable, entre violence et « évidence urticante » d’une parole biologale, qui connaît l’hirsutisme et les « enchantements aveuglés », en se tenant comme un acrobate sur le fil d’« infinies inexistences » et d’« absences combles ». Le paysage pourra être effacé, d’un trait de plume décidé, comme dans « Ligonàs » II, mais ses « silences indifférents » resteront pour défier la parole, derrière et au-delà d’eux-mêmes, comme une limite du prononçable, entre « voix » et « mutisme ». "
Derrière le silence, par-delà le silence La poésie d’Andrea Zanzotto
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