Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !
27 Août 2021
« Le vieux Maître a toujours souffert d’un cœur agité. Non pas d’une quelconque maladie cardiaque ou d’un dysfonctionnement physique ou psychosomatique, mais d’un cœur dont els coups battent au rythme d’une énergie débordante de perplexité, d’errements aveugles, d’élans sans destination, si ce n’est vers les tristes zones d’une médiocrité détaillée au goût communautaire, patriotique, et pour laquelle chacun et chacune œuvre si frénétiquement, comme si elle garantissait le salut individuel … le salut public !
Médiocrité familiale et médiocrité communautaire se sont jointes pour fonder la Grande Famille des esprits courbés sur la tâche à accomplir … d’une manière résignée ! Certains appellent ce mariage la Tradition, d’autres le Destin ; d’autres encore, plus vifs d’esprit, le Subterfuge d’une cabale de nantis, sublimé par des historiens de la Cour, tous versés dans la duperie et le cynisme, valeurs du monde ici-bas dont se targuent les plus éduqués du Milieu, là où la Cour des ‘grands’ vire à la cour des miracles, rachetant leurs propres déchets des expériences politiques et sociales …
Le vieux Maître, qui lui, compte parmi les plus vifs d’esprit, naquit dans une famille de condition humble dont le conservatisme affichait ses valeurs sûres, carrées, renforcées par une vigilance sévère envers ceux qui ne se bornent pas aux contours du carrée, ou pire, qui les mettent en question. Qui résistent aux directives de la pensée claire et correcte, harmonieuse, même si cette voie de pensée se fourvoie vers l’hystérie, déborde en acte de punition collective. Qui mettent en question un enseignement imposé par les maîtres à penser, où le mot d’ordre inculque la discipline de troupeau et la fierté de soutenir et promulguer l’uniformité, organisée par la hiérarchie régnante. Combien sont ceux qui ruminent un chemin qui les mèneraient hors des cauchemars de l’enfermement dans des pièces haletantes d’angoisse, épaisses d’Inconnu, où forçant les portes, ils sont exposés à un silence qui engourdit les sens ; où ils montent et descendent des escaliers en visse à la recherche d’une sortie de cet enchaînement du grotesque ? De la parodie, aussi, où parfois, des insectes et d’autres créatures rampantes viennent se tapir en leurs parties intimes ? … Ils se réveillent de ces scènes nocturnes en sueur, pantois, dans un état hébété, le cœur refroidi ! Est-ce cela, ce qu’on appelle l’Homme Vrai ? …
Un jour, assis sur un tapis de cœur de Marie, un disciple lui posa une question de piété filiale et de justice. Et le vieux Maître de lui répondre : « Tu penses que je porterais mon père sur mon dos s’il avait tué quelqu’un ? Tu penses que je porterais le poids de la justice sur mon dos si elle avait infligé la terreur à ceux qui croient en elle ? Tous deux font plier et brisent le dos de celui qui recherche l’intériorité des choses de ce monde et de l’autre … » Le disciple reprit d’une voix plate : « Mais le fils devant son père, tout comme le sujet devant son supérieur, ne doit-il pas, comme l’herbe quand le vent souffle, plier ? » Le vieux Maître dévisagea le jeune homme : « Mettre à mort un homme pour avoir organisé un combat de coqs cautionne-t-il l’air venteux d’un duc quelconque ? lui répondit-il d’une voix coupante. S’échiner devant le vent est signe que la poutre s’affaisse et que le sage se flétrit ! » Le large sourire de vieux Maître s’effaça de ses lèvres crispées …
Malgré le cœur en émoi, le vieux Maître pataugeant dans des eaux boueuses, sait parfaitement que son ignorance et sa léthargie cautionnent les scènes d’injustice et de vendetta qui tachent le quotidien. Un beau jour, alors qu’il était enfant, assis stoïquement, oublieux des sentences monotones de son maître, il admirait un nuage qui chevauchait le ciel par la grande fenêtre. Il frottait son haut front et roulait ses épaules fortes. Le nuage continuait sa course, suave et silencieuse. Et lui ? La voix monotone du maître s’éteignit pour un moment ; il rit de bon cœur.
Devenir ce nuage-là et son chevauchement lui plût, énormément. Puis un autre jour par cette même fenêtre, il admirait la pluie ; une bruine fine qui luisait aux rayons pâles d’un soleil tenace. Ces gouttelettes-là argentées, lui plurent, aussi. Enfin, un autre jour, toujours par cette même fenêtre, il admirait le vent, visible par l’inclination des arbres touffus, balayés, et les feuilles multicolores, tourbillonnantes contre un ciel d’écorce d’orange ; ce souffle silencieux lui plût, énormément.
Pour devenir un nuage, une gouttelette de pluie et un souffle de vent, il lui fallut se convaincre de surmonter l’ignorance … la sienne, profondément ensevelie sur les couches de cette médiocrité banalisée en philosophie de vie, en méthode intrinsèque, bien bâtie et bien entretenue par les nantis malins, engoncés dans leurs sillons de rhétorique vide, affublés d’œillères ; à leur solde, les larbins, qui soutenaient la médiocrité et savaient la vendre à bas prix, tout en faisant payer très cher l’Etre, chassaient les récalcitrants. Néanmoins, simulant un profil bas, et une fois dépassé la barrière psychologique de la peur de l’humiliation, il se décida ! D’autant plus que la recherche d’un souverain-maître lui semblait inutile étant donné les évènements qui déchiraient le pays et enfonçait la grande valeur de la Médiocrité de plus en plus dans l’esprit docile de la population : la guerre, le racisme, la délation, la vengeance ; valeurs prisées de la démocratie populaire. Or, il ne cessait de dire que : « un homme d’une vertu plus que médiocre peut entendre des enseignements élevés, alors qu’un homme d’une vertu moins que médiocre n’en est pas capable. »
Alors, il ramassa ses maigres affaires et partit au galop ! En route vers des horizons aussi vastes à l’Ouest qu’à l’Est, aussi dégagés au Nord qu’au Sud, il se posait une question vitale ; Comment bâtir un savoir, une connaissance, ou une culture en réaction à une Tradition millénaire, elle-même bâtie sur l’obéissance aveugle, les kou-tou imposés, la hiérarchie inébranlable, la piété filiale en routine échinée, le tout tenu dans un carré ? Elle, toujours cette Tradition, bâtie sur l’uniformité des existences dont le but, voire l’intention de chacun, s’avère celui de tous ? …
Voilà le dilemme dans le lequel le vieux Maître pataugeait au moment de se projeter sur les routes du monde, à l’orée de l nuit close, les yeux battus par la fatigue et l’effort de voir clairement ... dans la nuit …
« Je ne vois ni phénix arriver, ni dessin sortit du fleuve. C’est en fait de moi »
Se convaincre d’errer sur les voies du savoir du monde entraîne le chemineur à convaincre d’autres de ces voies. Voies déjà parcourues. Déjà usées par les pieds intrépides des pèlerins d’antan. IL faut, pourtant, commencer par soi-même … se convaincre que la vie d’errance est un Destin choisi librement, et dans ce choix aucun regret ni remords ne devrait entacher le cœur du chemineur : « J’errerai donc de-ci et de-là, et cela jusqu’à l’année de ma fin » chantait-il en route, tandis qu’il marchait rapidement, les bras ballants. Un cœur agité doit secréter son amertume pour délivrer le porteur, pour rendre la bile afin que les battements erratiques guident les pas aux rythmes robustes et salutaires. Une fois le coeur apaisé, les pas du pèlerin se stabilisent, deviennent lestes, sûrs, amicaux, tant au chemin battu qu’au batteur.
Il sortit quelques grappes de raisins noirs et un melon qu’il avait coupé en maints croissants, puis mangea à belles dents … Plus tard, il savoura son thé et se reposa sous un saule pleureur …
Arrivé au bord d’une rivière à la tombe de la nuit, il perçut les clapotis contre les roches et pontins qui lançaient des embruns argentés en arcs au-dessus de sa tête. IL s’adressa aux embruns éclaboussant légèrement son visage en sueur : « La vie, ne coule-t-elle pas comme une rivière ? La rivière, gonflée des eaux de printemps, agit d’un formidable Maître. Ses tributaires coulent d’amont en aval. Et même s’ils se vident et se perdent dans un Océan trop vaste distinguer chacun, où chacun se voit submergé dans une homogénéité sans relief existentiel, chacun aura porté en lui une existence, laquelle l’aura différencié des autres pendant sa longue traversée. Les hommes, nous aussi, nous nous verrons submergés dans une homogénéité indistincte aussitôt que notre traversée s’achèvera. » Les embruns disparaissaient avec les dernières raies du jour … La rivière continuait sa course en aval …
Et la question se pose : faut-il au pèlerin du cœur un Maître ? Faut-il suivre la Voie du renoncement et du détachement sans Guide ? La Présence divine, faut-il l’accueillir ou la cueillir ? La Nature, est-elle l’écrin de cette énergie même ? Un homme, est-il un parmi d’autres dans cette Nature que l’énergie meut ? Tous les trois agissent-ils simultanément, ou bien successivement, selon une temporalité qui se déploie sur une ligne infinie ? Le pèlerin doit-il rechercher une vie solitaire en quête de soi ? Or, le solitaire, c’est celui qui qui se raconte sa vie à lui-même faute de n’avoir personne à qui la raconter ! Mais seul, sans la tentation du succès, sans répondre aux convenances de la Norme, sans suivre docilement le troupeau ruminant gavé de malbouffe et de mensonges : quel est donc le chemin libérateur ? Parfois, pour purifier ses pensées de la Normes, le vieux Maître chantait à très haute voix :
Devant ma porte le clair de lune lumineux
Ressemble ô combien au givre sur la terre ;
Je lève mes yeux vers sa blancheur veloutée en amoureux,
Comme elle est belle, cette inatteignable amande amère.
[…]
Sans penser, il parcourait les routes, avec le Ciel pour Compagnon, la Nature à contempler, et l’Homme pour goûter les nuances des émotions issues des Actes, bons ou mauvais. Il s’efforçait de ne jamais être inactif, ni le jour, ni la nuit, tout au service de l’Unique. Les nuages se transformaient en énergie chevauchante, la pluie battait des myriades de gouttes de la Nature déchaînée, le vent bousculait la parole des personnes rencontrées. Que la Nature soit ton Maître : oui, à condition qu’Elle ne se confonde pas avec Dieu ! Renoncement au succès. Détachement des honneurs. Il leva les yeux au Ciel : « gouverner par la vertu exige de la force spirituelle et morale. On ne badine pas avec le trône ni avec le Dragon jaune, même un dragon ludique ! Le cœur bien conservé, bien élevé, bien assuré, mène le quêteur au centre de la vérité … N’est-il pas plus facile de convaincre les voleurs des montagnes que les voleurs du cœur ? »
[…]