L'autonomie stratégique, cet obscur objet de désir, par Frédéric Mauro (IRIS)

Ce long été 2021 nous aura conduit à assister au départ, sans concertation et sans gloire, des dernières forces de l’Alliance atlantique encore présentes en Afghanistan, puis à la constitution d’une alliance tripartite Australie/RoyaumeUni/États-Unis (AUKUS) sans que l’Union n’en soit jamais informée, le jour même de la publication de la « stratégie de l’Union européenne pour la coopération dans la région indo-pacifique ». Si on y ajoute la crise diplomatique, sans précédent depuis 2003, entre les États-Unis et la France, du fait de la rupture du contrat des sous-marins d’attaque entre l’Australie et la France, ces trois évènements, coup sur coup, ont provoqué le rebondissement du sempiternel débat sur « l’autonomie stratégique européenne » qui était en voie de cesser, faute de combattants.

Mais est-ce que cette triple et désagréable sonnerie de réveil suffira à faire passer les Européens de la parole aux actes ? Car de Srebrenica aux saillies verbales de Donald Trump en passant par l’annexion de la Crimée et le Brexit, ce n’est ni la première fois, ni la plus importante, que les Européens sont confrontés à la nécessité d’établir un « niveau approprié » d’autonomie stratégique. Combien de fois ont-ils déjà promis de le faire ?

Le problème est que les Européens entretiennent avec ce concept des rapports aussi dysfonctionnels que ceux des deux protagonistes du film de Luis Buñuel de 1977, « Cet obscur objet du désir », dans lequel Mathieu, un Français d’âge moyen engoncé dans ses traditions, essaie de séduire Conchita, insaisissable danseuse de flamenco aux visages si différents que le maître du cinéma espagnol recourut à deux actrices pour l’incarner. C’est pourquoi avant de manier les sabres de bois, faire tourner les moulins à parole et multiplier promesses solennelles et malentendus, il semble nécessaire de bien s’entendre sur les mots.

De quelle autonomie stratégique parle-t-on ? Serait-ce l’autonomie stratégique originelle de 1998 que les Français et les Britanniques ont désirée à la suite des guerres de Yougoslavie pour gérer des crises internationales dans leur voisinage et qui était, non seulement acceptable, mais poussée par les Américains ? À moins qu’il ne s’agisse de l’insaisissable autonomie étendue, telle que rêvée dans la Stratégie globale européenne de 2016, qui tangente l’indépendance militaire et qui a fait tant peur aux Européens de l’Est et à quelques autres ? Ou encore de l’évanescente autonomie globale qui lui a succédé et qui se confond avec l’indépendance tout court ? Pourquoi donc cette autonomie stratégique est-elle si séduisante, au point d’en devenir obsédante ? Et comment, après toutes ces années, la conquérir enfin ?

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