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5 Novembre 2021
" Dire que les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis ont eu des répercussions sur la Méditerranée est un euphémisme. L’onde de choc qui se répercuta outre-Atlantique et dans le monde en général fut considérable. Plus qu’ailleurs, elle se manifesta sur le Bassin méditerranéen, emportant avec elle agresseurs et victimes.
Al Qaïda, qui avait poussé sa corne dans la région dès 1998, faisait d’une certaine manière la synthèse des mouvements radicaux qui avaient essaimé depuis les années 1980 et avaient échoué contre la répression sans merci des Etats qu’ils cherchaient à renverser (Algérie, Egypte, Libye) à créer (en ex-Yougoslavie et en Tchétchénie) ou à marginaliser l’influence (Union européenne).
Le fait que le commando du 11 septembre fut composé principalement de Saoudiens ne masquait pas le fait que l’organisation recrutait large et exploitait la mondialisation. Les réseaux, constitués par Ben Laden depuis l’Afghanistan, agrégeaient des fanatiques de tous les pays de la zone. (Le commandant Massoud fut assassiné deux jours avant le 11/09 par deux Tunisiens vivant en Belgique. L’un des terroristes « américains » – recalé - était français.
Blessés dans leur chair et dans leur orgueil, les Américains engagèrent simultanément ce qu’ils voyaient, sur le moment, comme une guerre courte (Afghanistan) et une autre, longue (la lutte contre le terrorisme mondialisé.) La Méditerranée fut au centre de leurs préoccupations. Les Missi dominici U.S. rencontrèrent tous les leaders arabes pour les inviter (au sens d’enjoindre) à contribuer activement à la « guerre contre la terreur ». Ces derniers s’y plièrent facilement. D’une part, ils avaient eu à subir avec plus ou moins de violence les assauts de l’islamisme radical par le passé, mais d’autre part, ils virent dans cette aubaine stratégique l’occasion d’accroître des appareils sécuritaires déjà pléthoriques et surpuissants.
Au plan maritime, l’OTAN – qui venait pour la première fois dans la vie de l’organisation d’activer l’article 5 de défense collective – infléchit sa stratégie pour engager une lutte active contre le terrorisme en mer, la prolifération des armes de destruction massive et les trafics. De leur côté, les Etats européens s’engagèrent également, individuellement et collectivement (via l’Union européenne) dans la lutte contre le terrorisme islamique. La France, première victime depuis les années 1990 (GIA algérien) fut à la pointe de ce combat. Cela n’empêcha pas les jihadistes de commettre de terribles attentats sur le sol européen (Madrid 2003, Londres 2004), preuve s’il en était, de la porosité des espaces méditerranéen et européen.
C’est donc l’intégralité des espaces terrestres, maritimes et aériens méditerranéens qui fut mobilisée pour répondre à l’évènement du 11/09.
Cette double logique en miroir attentats/répression produisit une situation de « terrorisation du monde », comme nous l’avions écrit en son temps pour dire que les relations internationales n’allaient plus se lire que par le prisme étroit du terrorisme et de sa lutte.
Les années post-11 septembre virent donc un durcissement notable des régimes autoritaires. En même temps, la guerre d’Irak déclenchée par les Etats-Unis en 2003 sous de faux prétextes, créait une césure profonde au sein des opinions publiques arabes et jetait à bas le capital de sympathie que les Américains avaient pu gagner à l’occasion des attentats. La rupture entre les différents pouvoirs qui subirent ou approuvèrent cette forme particulière de Pax Americana et leur base commença à se fissurer. Cette situation figée voire aggravée d’autoritarisme qui, pour certains pays, duraient depuis plus de trente ans, trouvait son point de combustion par l’émergence d’un autre phénomène qui vint percuter cet état de confort pour les régimes en place. En 2008, le monde connaissait la pire crise financière après celle de 1929. Celle-ci se traduisit, pour les pays émergents en crise économique majeure car tous les flux financiers qui alimentaient l’économie « normale » s’arrêtèrent. En Europe, cette crise qui secoua de nombreux pays, brisa l’élan politique de l’UE et sa capacité à influer sur sa périphérie.
Ainsi, si l’on prend l’image d’une croix de Saint-André (en X) en plaçant à une extrémité haute la crise sécuritaire post-11 septembre et, à l’autre, la crise de 2008 (dont les effets se poursuivirent sur la longue durée), le croisement de ces deux crises donna lieu aux soulèvements arabes qui touchèrent essentiellement les pays du pourtour de la Méditerranée.
Le trop plein sécuritaire se heurta au trop plein d’insatisfaction des peuples. Le contrat tacite qui avait été reconduit depuis trente ans : sécurité/stabilité économique et sociale volait en éclat. Les mouvements de transformation politique engagés d’abord en Tunisie puis en Egypte, puis tout autour du Bassin méditerranéen renversèrent ou mirent à mal les situations de rentes des régimes autoritaires. Dix ans après, ces mouvements se poursuivent de façon visible ou souterraine. Sur fond de retour à l’autoritarisme et de crispation souverainiste, deux modèles s’affrontent aujourd’hui que l’on peut placer aux extrémités basses de notre croix de Saint André : la révolution démocratique, celui d’une demande politique et sociale de changement démocratique et de répartition plus égalitaire de la richesse dont le Hirak algérien est l’expression la plus aboutie. La révolution radicale, portée par l’islamisme radical, celui d’Al Qaïda – plus national – et celui de l’état islamique (Daech) qui propose un renversement total des modèles (politiques, sociaux et même territoriaux en revenant pour ce dernier à l’espace pré-ottoman). Ces mouvements s’inscrivaient dans la filiation du totalitarisme : le troisième après le nazisme et le communisme stalinien, selon l’anthropologue Scott Altran.
En réalité, vingt ans après le 11 septembre 2001, la situation apparaît pire qu’elle n’était au moment des attentats. Les pays (en dehors de ceux du Golfe) et les populations se sont appauvries. En face, les mouvements jihadistes (nonobstant la défaite de Daech en Syrie et Irak) sont toujours aussi actifs car ils jouent sur les interstices géostratégiques en occupant les points faibles comme au Sahel. Les régimes autoritaires se sont durcis quand les autres sont en désarroi (Tunisie, Libye, Liban). Seul Israël et sa machine techno-militaire tire son épingle du jeu, mais ce pays n’échappe pas aux tensions identitaires avec la montée des ultra-orthodoxes. Quant à l’UE, elle n’arrive pas à sortir de la crise politique débutée en 2008 et cherche désespérément sa voie et son identité.
Le départ sans gloire des Etats-Unis d’Afghanistan, laissant la place aux Talibans, tout comme l’échec de la reconstruction libyenne, ont montré la vanité de toute transformation politique par les armes si cette dernière n’était accompagnée par une construction politique solide ancrée sur l’adhésion de la majorité de la population.
Aujourd’hui, et pour les années à venir, avec le continuum de crises structurelles en accélération (climat, migrations, démographie) et le délitement possible de certains Etats, les vingt années perdues après le 11 septembre vont peser très lourd. "
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