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Regards citoyens

Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !

Le masque et la muselière : variations de l'animalité en temps de pandémie, par Massimo Leone

L’intention de cet essai est double : d’une part, fuir l’actualité qui nous assiège, et qui risque de rendre nos écrits inactuels dans le long terme ; d’autre part, explorer en profondeur ses origines. Des preuves scientifiques abondantes signalent que l’émersion de la pandémie de COVID-19 de 2020, ainsi que plusieurs épidémies virales et bactériennes du passé, ont été causées par la modification progressive, mais radicale, du rapport écologique entre l’espèce humaine et les autres espèces vivantes. L’évolution technologique mise au service d’une idéologie de l’exploitation a engendré une sorte de compétition entre prédateurs visibles les plus efficaces de la planète, c’est-à-dire les humains, et prédateurs invisibles les plus efficaces, à savoir les virus. Nous nous reproduisons en tirant notre énergie des tissus des autres animaux à partir de l’extérieur, en les mangeant, tandis que les virus les exploitent de l’intérieur, en les utilisant pour reproduire leur code génétique. La pandémie n’est que l’épiphénomène d’un processus par lequel nous sommes devenus la proie des prédateurs de nos proies, parce que nous avons décimé ces dernières, parce que nous avons détruit leur habitat naturel, parce que nous l’avons envahi par notre présence et nos activités, parce que nous avons obligé les autres espèces vivantes à subsister dans des conditions en contraste avec leur équilibre écologique pour mieux les exploiter. Il suffit de regarder les images des autres espèces vivantes qui, pendant la pandémie, repeuplent les espaces laissés vides par les humains, à l’inclusion des espaces humains par excellence, à savoir les villes, pour avoir l’impression que ces espèces vivantes différentes de la nôtre semblent se réjouir de notre absence, de notre retrait, du fait que, enfin, nous cessons d’occuper tout le monde disponible et ses ressources.

La sémiotique, cependant, n’est par là pour se substituer à l’écologie ou à l’économie, mais pour suggérer avec insistance que l’une et l’autre prennent leur forme car elles sont sous-tendues par des idéologies sémiotiques, à savoir, des systèmes d’idées explicites et de présuppositions implicites sur le sens de la vie, sur son langage. La sémiotique est là, en d’autres termes, pour indiquer que cette évolution naturelle, aux conséquences catastrophiques pour la vie de l’espèce humaine dans la planète, n’est pas naturelle du tout ; elle est naturelle dans le sens qu’elle relève de la nature, mais elle ne l’est pas, car elle se manifeste en réalité en tant que choix culturel par rapport à des alternatives. Il y a, en effet, ou du moins il y aurait eu, en théorie, des façons différentes de nous rapporter aux autres espèces vivantes et à l’environnement. Les manières systématiques par lesquelles nous les exploitons moyennant une technologie de plus en plus performante résultent d’une conception de la planète, des autres espèces, et surtout des autres animaux, naturalisée le long d’une histoire de très longue période, mais touchant, maintenant, aux limites qui lui sont imposées par la réalité matérielle de l’environnement. Tout simplement, nous nous rendons compte que l’idéologie sémiotique qui a guidé la plupart des relations entre les humains et leur environnement tout au long de l’histoire de la planète est fausse, et que cette fausseté n’est pas telle du point de vue sémantique, mais selon une conception pragmatique de la vérité : cette idéologie, en d’autres termes, comme toute « habitude » interprétative fautive dans la sémiotique de Peirce, a fini par échouer dans son choc avec le rocher de l’être : ce qui existe, la vie comme elle existe sur la planète, ne peut plus soutenir cette idéologie ; celle-ci est insoutenable.

La sémiotique est donc là pour lancer un appel au changement écologique, sur la base d’une réflexion qui ne jaillit pas de l’actualité, mais qui émerge, au contraire, d’une analyse de l’idéologie sémiotique qui nous a conduit tous, en tant qu’humains, au point où nous sommes. Afin de changer radicalement notre rapport à l’environnement, en effet, la peur ne sera pas suffisante. La technologie probablement nous permettra de créer un vaccin contre le COVID-19, et donc de remédier aux déséquilibres écologiques en éliminant leurs effets, et non pas leurs causes. Cela mènera, cependant, à la survenue de nouveaux virus, peut-être encore plus difficiles à contrôler, et à la nécessité de les dompter par des nouveaux vaccins. La seule façon d’interrompre ce cercle vicieux, de briser ce cercle viral, consistera donc à s’occuper non pas des effets de la pandémie mais de ses causes, et plus ces causes seront cherchées loin, aux racines profondes de notre idéologie sémiotique de l’environnement, plus nous parviendrons à extirper ces comportements humains qui, dans la longueur, donnent lieu à des déséquilibres idéologiques mettant en danger la présence de l’espèce humaine dans la planète.

La modeste contribution de l’essai qui suit, donc, interroge l’origine profonde du rapport entre l’homme et les autres animaux. Ce qui est au centre de la réflexion, cependant, n’est pas l’écologie naturelle de ce rapport, mais son fondement culturel, son idéologie sémiotique, ainsi que les rhétoriques qui, depuis des millénaires, permettent à l’espèce humaine de bâtir leur hégémonie. Le point de l’essai est de montrer que cette hégémonie n’est pas naturelle mais, exactement comme dans l’analyse proposée par Antonio Gramsci, elle s’origine à partir d’une idéologie, laquelle met en place 3 toute une série de discours et de textes pour confirmer et « naturaliser » le pouvoir. En particulier, dans l’essai j’explore cette pensée par rapport au sujet qui m’occupe en tant que sémioticien et philosophe, à savoir, le visage : au fond, si en ce moment nous portons un masque médical qui « nous musèle » c’est parce que nous avons trop nié le visage des autres espèces, en les muselant. Nous devons redécouvrir ce qui a été toujours là, mais que les cultures humaines ont refoulé afin de soutenir l’idéologie sémiotique de l’hégémonie humaine dans la planète. Nous devons redécouvrir ce qui est une évidence, et qui cependant a été occulté par un système très efficace de présupposés. Nous devons redécouvrir non seulement que notre visage à nous est un visage animal (comme le suggéraient déjà, d’un point de vue philosophique, Deleuze et Guattari), mais également que les autres animaux eux aussi ont un visage, et non pas uniquement un « museau » sur lequel nous puissions exercer sans entraves la technologie de la muselière, l’exploitation du visage nié. Voici au fond la thèse de l’essai : pour comprendre la muselière, la technologie par laquelle nous exploitons l’environnement, il faut d’abord comprendre le museau, à savoir l’idéologie sémiotique par laquelle se fonde une conception du visage humain comme distingué et opposé en contraste avec le non-visage des autres animaux. En ce moment la pandémie « musèle » les êtres humains de la planète par la nécessité du port du masque médical. La situation est donc idéale pour réfléchir sur le musèlement que nous avons imposé aux autres espèces vivantes, et qui a conduit au nôtre.

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