Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

Publié par Patrice Cardot

Il y a tout juste un mois, après plus d'une décennie de tensions polémogènes meurtrières sur le sol ukrainien, après plusieurs années confirmant l'échec patent des accords de Minsk issus des négociations menées au sein du groupe Normandie, après de longs mois de préparation de son agression militaire par la Russie au vu et au su de tous les observateurs s'intéressant à cette crise, après la multiplication d'avertissements et de spéculations de toutes sortes dans le monde occidental sur ce qui semblait devoir advenir de manière inéluctable ..., l'Ukraine subissait une invasion militaire de la part de son grand et puissant voisin russe.

Les Etats membres de l'Union européenne, les membres de l'Alliance atlantique, à l'exception des Etats-Unis qui avaient fait savoir qu'ils n'interviendraient pas sur le registre militaire face à la Russie, feignaient la surprise (laissant alors à penser que l'ensemble de leurs agences de renseignement, notamment militaires, n'avaient pas anticipé un tel évènement ...) en réagissant à cette agression dans l'urgence par un paquet de mesures économiques et financières, par des déplacements de moyens militaires importants vers les Etats frontaliers de l'Ukraine, par des livraisons d'armes en quantité importante aux forces ukrainiennes et aux milices civiles constituées pour résister aux forces occupantes, par des actions de cyberguerre, par des actions diplomatiques visant à condamner et isoler la Russie dans le concert des nations ... autant que par des simulacres de négociations rendus d'autant moins audibles et crédibles que des déclarations politiques des moins diplomatiques venaient polluer le climat de tensions de manière stupéfiante ...

Naturellement, fort de leur situation géographique privilégiée et de leurs influences multiples sur les principaux décideurs parties à un titre ou à un autre au conflit, soit de manière directe soit de manière indirecte et/ou par délégation, et partant, sur les grandes décisions appelées à être prises en Europe, les Etats-Unis n'ont pas manqué d'alimenter les tensions diplomatiques tout en s'attelant à inviter les Européens à durcir leurs sanctions économiques ...

L'ensemble des médias et influenceurs occidentaux se mobilisèrent immédiatement autour d'un seul objectif : soutenir le peuple ukrainien et son président héroïque tenant admirablement son rôle de chef d'Etat doublé du statut de héraut de la nation ukrainienne, et personnaliser le conflit en mettant en scène les deux chefs d'Etat des protagonistes de ce conflit, Jan Zelezny et Vladimir Poutine, soupçonné d'avoir perdu toute raison !

La crise pandémique ne parvenant plus à alimenter le climat de terreur qui prévalut pendant deux années consécutives, participant à soumettre les populations aux injonctions - pourtant souvent contradictoires - des pouvoirs publics, le matraquage médiatique des esprits pouvait - et devait - à nouveau opérer ! La liberté chérie redevenue une vertu méritait bien qu'on lui consacre autant d'énergie ! Naturellement, une campagne de censure à l'endroit des médias russes s'imposait, le Parlement européen ayant anticipé de possibles tentatives de cybermanipulations par la Russie et la Chine ..

Des experts inconnus du grand public, tous plus experts les uns que les autres, apparurent sur les plateaux de télé, des centaines d'analystes sortirent de l'anonymat pour proposer une myriade d'articles tentant d'expliquer la situation, d'en imaginer les causes, d'en commenter les moindres faits de guerre, d'en dénombrer les victimes, d'en souligner les atteintes au droit international, d'en prédire les étapes suivantes, l'information et la désinformation institutionnelles se conjuguant aux bruits de fond générés par un activisme soudain des internautes sur les réseaux sociaux ! 

La seule évocation par Vladimir Poutine du fait que la Russie détenait un arsenal nucléaire offrait l'occasion de diaboliser un peu plus le personnage en même temps que de remettre le sujet de l'efficacité de la dissuasion au coeur des débats, en donnant lieu à des démonstrations édifiantes de l'incompétence au fond des experts sollicités, armes nucléaires stratégiques de non emploi et armes nucléaires tactiques, donc d'emploi, se trouvant allègrement confondues dans des bavardages n'ayant comme seul véritable effet que de nourrir ce sentiment de terreur ... 

La Chine fut immédiatement pointée du doigt comme une possible autre fauteuse de trouble, et mise en garde contre toute tentation d'apporter une aide militaire à la Russie, l'assurance parmi les 'stratèges' occidentaux qu'elle ne manquerait pas de porter assistance à son partenaire stratégique justifiant à elle-seule que le satan russe avait un clone, le satan chinois, ce grand rival embarrassant des Etats-Unis auquel les dynamiques de la globalisation des échanges et de la mondialisation économique avaient pourtant confiées les clés d'une dépendance stratégique asphyxiante pour les économies et nations occidentales en cas de crise majeure !

A la faveur des risques supposés d'une extension du conflit à l'ouest, les dirigeants européens offrirent au monde le spectacle - magnifié dans les dorures du château de Versailles - d'une unité politique pourtant si souvent introuvable sur tant d'autres registres, Vladimir Poutine réussissant ce miracle d'une main de maître de revitaliser un souffle européen bien terne à l'avant-veille de rendez-vous stratégiques majeurs au sein du camp occidental : l'établissement d'une boussole stratégique par l'Union européenne, suivi de celui d'une autre boussole stratégique, celle de l'Alliance atlantique !

Le sujet de la souveraineté européenne revenait ainsi sur le devant de la scène, effaçant d'un coup d'éponge magique toutes les remises en question dont elle était l'objet au sein des nations européennes attachées bien davantage à leur souveraineté nationale et à leur souveraineté populaire .... comme la solidarité européenne parvenait à légitimer le principe d'un accueil passif de réfugiés ukrainiens par les pays membres de l'Union européenne, reléguant dans les oubliettes de l'histoire toutes les tergiversations politiques qui se sont développées autour de la question de l'immigration !

Les Etats européens soupçonnés d'illibéralisme et condamnés à des contraintes financières pour non respect des règles et principes de l'Etat de droit se trouvaient soudainement affranchis, guerre oblige !

Pendant que certains Etats - non européens - parvenaient à créer les premières conditions d'un rapprochement diplomatique des belligérants (Turquie, Israël), l'Union européenne décidait de se doter - enfin - d'une force d'intervention de 5000 hommes ... mais tout en confirmant bien évidemment sa complémentarité avec l'OTAN 'miraculeusement' ressuscitée de sa mort cérébrale, et en invitant le président américain à la table du Conseil européen dès sa venue en Europe. Et L'Allemagne confirmait sa commande d'avions de combat américains ..

Les sanctions économiques européennes adoptées dans l'urgence venaient ajouter aux sanctions dictées par les stratèges et économistes américains, et sans qu'aucune analyse stratégique de leurs impacts au sein de l'Europe n'ait été véritablement conduite au sein de l'Union européenne et/ou rendue accessible aux dirigeants européens, participent à saper gravement les fondamentaux de la résilience économique européenne sans que personne ne s'en émeuve vraiment (cf. Les Etats-Unis sont en train de détruire toute l'industrie européenne). Des sanctions prises le plus souvent de manière tellement inconsidérées qu'il fallut en suspendre rapidement certaines pour éviter la faillite de banques systémiques européennes .... 

L'Alliance des démocraties si chère aux dirigeants occidentaux vaut bien qu'on lui sacrifie quelques attributs de souveraineté alors que le monde se trouverait sous le coup d'une menace d'explosion nucléaire !

En un mois à peine, les Etats-Unis sont parvenus à redorer leur blason en Europe après plusieurs années de tensions, au point de consolider leur emprise sur les grandes orientations stratégiques européennes (Guerre en Ukraine : Joe Biden se rend en Europe pour renforcer l'unité occidentale), à trouver dans la situation internationale particulièrement polémogène des arguments lui permettant de ne plus se soumettre aux contraintes inhérentes à son endettement (en augmentant notamment son budget de la défense), à renforcer les grands acteurs technologiques américains (GAFAM et leurs satellites), à tirer parti de l'instabilité des grands marchés financiers et de matières premières induite par le conflit, et ainsi à offrir au président Biden (dont les liens avec quelques oligarques ukrainiens ne sauraient être ignorés), à la veille d'élections de midterms qui s'annonçaient mal pour le camp démocrate, des raisons d'espérer améliorer sa côté de popularité interne ... Comme en France, le président Emmanuel Macron !

Quant au héros des temps modernes, le président Zelezny - auquel sera évidemment très vite pardonné ses "maladresses" incompréhensibles de la part d'une personnalité juive lors de son allocution devant la Knesset-, sa notoriété soudaine et le blanc seing qui lui est désormais accordé dans le monde occidental le conduisent à solliciter des soutiens sans cesse plus significatifs ... et à dicter aux nations qui lui ouvrent leur Parlement des règles de comportement sur les registres éthique et économique dont l'Ukraine n'a pas encore fait montre, bien au contraire, qu'elle s'y pliait elle-même ! A-t-il nommé devant les parlementaires américains, britanniques ou allemands comme il l'a fait devant le Parlement français, les entreprises de leurs pays qui devaient quitter la Russie sauf à être accusés de complicité de crimes de guerre ? Au-delà de la stupidité d'une telle mise en accusation, à qui profiterait vraiment une telle option ?

Quant à la Russie, à ses buts de guerre, à sa situation économique, à l'avenir du régime, à sa place future dans le concert des nations, il est probable que les spéculations continueront encore quelque temps à envahir l'espace médiatique ... sans toujours ménager l'avenir et chercher à dégager des voies de progrès qui permettraient à cette guerre den n'avoir in fine que des vainqueurs ! Elle sortira bien évidemment très affaiblie sur de nombreux registres (économiques, militaires, diplomatiques, ...) et sa relation privilégiée avec la Chine comme ses relations étroites avec d'autres pays occupant une place singulière sur l'échiquier international (Iran, Inde, Algérie, ..) s'en trouveront altérées au point de la place en position de supplétif de la Chine pendant que l'Union européenne se comportera un peu plus encore en supplétif des Etats-Unis.

Les Etats-Unis se trouvent in fine dans la posture du principal bénéficiaire de cette crise aux conséquences considérables au point d'envisager qu'il en ressortirait un nouvel ordre mondial ; un ordre mondial qui mettrait en compétition parfois hostile deux blocs concurrents - comme à l'époque de la guerre froide - et au sein duquel un G2 USA-Chine pourrait définir l'agenda international et orchestrer les chaos nécessaires à la poursuite de la transformation du monde .... l'économie de l'insécurité étant devenue une sorte d'alpha et omega du capitalisme du XXIè siècle (De l'économie de l'insécurité ! ) !

Quant à la dédollarisation du monde que ce conflit participe à accélérer, elle serait de toute manière intervenue avec la désormais inéluctable apparition des devises digitales des banques centrales et les cryptomonnaies privées ....

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article