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Regards citoyens

Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !

Tous nos médias les plus sérieux sont du divertissement, par Henry War

" Absolument tout dans notre société est décidément devenu du divertissement : les loisirs sont évidemment du divertissement (c’est pourtant une évidence que n’entendrait pas un peuple véritablement supérieur), la culture qu’on aime à se représenter spirituelle et hautaine et qui sert de prétexte à passer pour instruit n’est aussi que du divertissement, même l’information où se placent tant de citoyens « sérieux » en embuscade pour prétendre à l’effort et à l’intelligence n’est encore que du divertissement. Un journal, un débat, un documentaire, peu importe le nom qu’on lui prête, n’est foncièrement bâti qu’à dessein de transmettre des émotions et des plaisirs, pile la stimulation populaire que demande le plus grand nombre, tout juste de la vanité oublieuse sur commande, mais si l’on y regarde avec rigueur et détachement on voit qu’on n’y apprend à peu près rien, que c’est une plaisanterie de vouloir y attacher le mot d’éducation, que c’est un mensonge d’affirmer que ces supports sont élaborés à dessein de nous perfectionner, de nous améliorer, de nous rendre plus excellents. Au JT, par exemple, c’est toujours la même chose : d’abord les « grands thèmes », qu’on juge les plus nécessaires et qui ne le sont que suivant des traditions ou des recettes inquestionnées, abordés en telle superficie que n’importe qui d’un peu distancié y verrait une négligence, un digest voire une propagande, avec images superflues, illustrations sans avantage, résumés grossiers pour classes élémentaires, rien véritablement de nuancé et d’adulte, avec micro-trottoirs pour que chacun se sente concerné et représenté dans la grande machine mondiale, puis la politique vociférant des âneries ou faisant du symbolisme mièvre, avec proverbes et abus de simplifications manifestes et éhontées, parce que ça constitue de l’herméneutique facile et premier degré, toutes formes d’événementiel puéril et moralisant, puis quelque page encore sur comment il convient de se comporter et de vivre quand on n’a jamais lu un livre ni pris un quart d’heure dans sa journée pour se constituer une direction, toute la banalité du bien et du mal où l’on vous rend des statistiques douteuses et décontextualisées, où l’on tâche à vous persuader que vous agissez bien comme les autres mais que vous pourriez encore agir, si vous vouliez et si vous étiez au courant, comme d’autres autres, et bien vite les articles annexes qui cependant arrivent dès le troisième ou quatrième sujet, sur : les lieux qu’on aurait plaisir à visiter, les activités qu’on aimerait faire, les stars qu’on apprécierait d’être, toutes façons de modes sur Internet, sans décri ni démenti, en sympathies indignes, en envies exposées et exploitées à fond comme des publicités déguisées, des incitations d’achats, des sourires de la société de consommation… Ah ! La bassesse ! La vilenie ! L’abjection ! La décadence ! Je ne crois pas qu’un seul reportage sur une guerre ou qu’une rétrospective sur la Shoah ne vise pas exactement la même chose, à savoir exacerber des passions tentantes avec ou sans le goût de l’indignation, offrir ce que réclame le public le plus vaste c’est-à-dire le plus médiocre, rendre le sentiment d’édification le plus accessible c’est-à-dire le moins ennuyeux et nécessitant peu d’application de la pensée, de concentration, d’ouverture et de facultés ; mais tout ce qu’on voit, tous ces montages-là, n’est que détails dérisoires et qu’impressions fugitives, que distraction et zapping, où n’intervient jamais la moindre réflexion inédite, jamais une parole de philosophie nouvelle et édifiante, jamais de quoi produire une aube de révolution dans les habitudes et la mentalité du spectateur. On s’assoit, on regarde, on passe et oublie : ça n’a eu aucune empreinte, même inconsciente. On se rassure en croyant avoir appris une époque ou une géographie, mais c’est toujours avec l’état mental de l’amateur, du dilettante, du diverti que l’on demeure et qui ne peut rien se rappeler puisque rien n’a pu l’ébranler, juste une superficialité de l’épiderme, juste une trémulation excitante accompagnée d’idées banales qui confirment et confortent, avec juste le peu de noms propres et de savoirs techniques qu’il faut pour se rassurer du temps utile, mais qui n’apportent nul bouleversement intérieur. Et ce qu’on apprend alors n’est qu’une faible prolongation de ce qu’on savait déjà, variété du déjà-su, et non seulement ça mais on n’apprend rien foncièrement, on ne sait rien davantage en paradigme, on a cessé d’apprendre dès qu’on a jugé qu’apprendre consistait à demeurer dans un même ordre rassurant d’idée, dans un même cercle de conscience habituelle que tout ce qui s’ajoute ne dérange jamais, on perd même – il faut le dire supérieurement et l’entendre avec un surplomb étranger pour comprendre le vertige que ce mot signifie –, on perd, à force de ce simulacre, l’usage et la définition d’apprendre, on galvaude ce qui a pu faire ou ce qui devrait faire la sensation de l’apprentissage véritable et de bon aloi, on s’aliène la boussole intérieure de l’exploration qui permettrait de repérer ce qui est ou n’est pas une vraie position d’apprenti, une vraie position intellectuelle d’apprenant : et l’on croit apprendre dès lors, mais en un même territoire circonscrit, quand on n’est en réalité édifié par rien, ce qui est peut-être pire que de ne rien savoir ou que de ne vouloir rien apprendre, je veux dire la confusion du sens même de l’apprentissage avec ce qui se résume à un stimulus agréable. Notre époque a achevé, consommé sa déchéance jusqu’à assimiler des informations indifférentes avec des lumières et des illuminations, pauvre école décrépite ! Notre monde est venu à rejeter le sérieux de l’édification profonde, de l’évolution du caractère, du progrès des mœurs et des conceptions particulières, il en est arrivé à un point de déculpabilisation tel qu’il enseigne à trouver grincheux, rasoirs et trop durs la pétillance de l’à-propos, la subtilité d’un argument, le précepte noble qu’il faut patiemment instruire et murir à part plutôt que dans l’immédiateté du spectacle et de la famille. Règne de l’inessentiel, succès du dérisoire, triomphe du vulgaire, apparences seules d’instruction : en vingt ans de vie adulte je n’ai peut-être pas vu trois documents télévisés qui m’aient vraiment changé. Nulle piste éclairante pour cogitations futures, aucune proposition de doute ni prospective de remise en cause, point d’introspection spirituelle rendue nécessaire par la réflexion inhérente au montré et au dit, jamais opportunité d’évolution majeure, de dépassement du su, de transfiguration de soi, un profit uniquement de données extérieures, objectives, factuelles, inconséquentes – successions et épiphénomènes – suivant toujours des conceptions préétablies du spectateur à ne surtout pas contrarier : que des tentatives d’agrément ou de choc, et partout, toujours, la complaisance ! Les gens osent appeler cela « apprendre » ?! Mais ce n’est rien, rien du tout ! c’est assouvir des penchants mais avec des prétextes, des apparences d’élévation, un lexique, une occupation socialement valorisante et aussi pour son amour-propre. Même en termes de transmission de statistiques et de faits bruts, c’est presque toujours minable, controuvé ou sans intérêt de compréhension, on serait sincère qu’on avouerait à la fin qu’on n’a presque rien retenu, qu’on s’est laissé divaguer dans une sorte d’imagination qui est à très peu près une somnolence de cinéma, que le réalisateur n’a nullement cherché à édifier durablement quelqu’un qu’il respecterait et considèrerait comme un individu – faut-il le confirmer en procédant à des tests, collationner des souvenirs, faire ainsi honte à des ambitions surfaites ? On se gonfle le cœur d’émois factices, c’est tout ; on se rengorge des trois idées qu’on a confirmées avec des chiffres et des termes qu’on ira redire à la première occasion, et le sentiment typique de son apprentissage est encore un émoi fabriqué : au surplus, quel alibi pitoyable ! Les hommes ne mangent décidément plus que de ce pain-là des jeux ! ils ne savent plus autre chose, ne savent plus l’au-delà du jeu ! et quand ils jouent, ils ont encore besoin de ne pas prétendre jouer, ou c’est pire encore : ils s’ignorent jouer ! Il n’y a plus un livre, plus un seul vrai livre qui ne soit pas encore du divertissement : proposez-les à l’entour, les Nietzsche, les Zola, les Bloy, les Steinbeck, les Muray et les Roth, vous verrez ce qu’ils en feront à vous ranger ça dans leurs bibliothèques en déclarant les garder « pour plus tard quand ils seront plus motivés », la bonne blague, les bonnes promesses, des vœux pieux, des vœux d’oubli ! Toute rédaction en amont du savoir et de l’art, toute sélection ne se fonde plus que sur ce critère-ci : vendre de la marchandise plaisante ! Plus un écrivain et plus un artiste et plus un intellectuel ! Des couleurs, seulement ! des émotions ! des illusions et des passions ! Des variétés, toujours, d’une recette déjà connue, qu’un pseudo-sage consent à se placer là comme une marotte pour s’assurer d’un succès, succès qui sera « gage de qualité », comme si tous les peuples du confort n’étaient pas d’incontestables abrutis, comme si le succès chez nous n’était pas au contraire la certitude la plus flagrante d’une méliorative stupidité ! Tout cela trop moral, de surcroît : pas une audace dans la luxure et dans le vice, pas une révolte ni une assomption d’atrocité ! Rien que des divertissements conventionnels-à-peu-près, avec ingrédients millimétrés et chiches de la personnalité et de la subversion pour l’estime-de-soi ! il faut encore, comble d’ignominie, un divertissement de bonne conscience ! Des chiens qui refusent d’avoir l’air de bœufs ! Un troupeau qui refuse d’avoir l’air de bétail ! Tous routiniers et bêtes qu’ils sont, ils exigent de paraître d’une certaine retenue et révoquer les cruels et les durs ! De la décence, en somme, à des déchéances qui s’estiment ! Accepter de marcher à quatre pattes et réduire tous ses attributs humains au commun minimum, mais pas tout à fait de se vautrer dans ses excréments tièdes en dépit du plaisir pressenti : c’est « trop » ! Dissimulation immonde, pour des moutons, que de se blanchir la toison afin de sembler encore habillé de coton pur !
Pourquoi donc, alors, regardé-je encore vingt minutes par jour de la télévision ? Je le jure, pour nul autre usage que de m’informer des divertissements et des passions en cours, des plaisirs à la mode, en un stupéfiant état des lieux de l’inhumaine condition actuelle, renouvelé. "
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