« La plupart des hommes ne supportent ni l’immobilité ni l’attente. ..." (Paul Gadenne)
« La plupart des hommes ne supportent ni l’immobilité ni l’attente. Ils ne savent point s’arrêter. Ils vivent mobilisés: mobilisés pour l’action, pour le remuement, pour le plaisir, pour l’honneur. Et pourtant c’est seulement dans les instants où il suspend son geste ou sa parole ou sa marche en avant, que l’homme se sent porté à prendre conscience de soi. Ce sont les moments d’arrêt, les points d’arrêt, les stations, les stationnements qui favorisent le plus en lui l’attention à la vie, qui lui apprennent le plus. Toutes les heures où l’on attend ce qui ne doit pas venir, les chemins sans issue, les voyages sans but, les routes désertes, les jours de pluie, les petites rues de province où personne ne passe, les heures de panne, les journées de maladie, en un mot toutes les circonstances où il n’y a rien à faire, où il faut nécessairement s’arrêter et se croiser les bras, toutes les journées de notre vie que le sort a marquées de grands disques rouges, ces journées-là peuvent être pour nous les plus fécondes ; et je ne craindrai pas de dire que le monde appartient à qui sait se tenir immobile.
(...) Fermer les yeux pour mieux voir, s’arrêter pour mieux avancer: ces deux attitudes qui s’imposent impérieusement à qui veut non seulement comprendre mais goûter la vie, je n’ignore pas que le monde contemporain y résiste de toutes ses forces. Mais aucun esprit un peu exigeant ne saurait admettre que ce soit une raison pour lui céder. Entraîné dans le tourbillon d’une vie qui trop souvent nous happe comme un engrenage (...) nous ne savons plus arrêter nos gestes; nous voulons être sûrs que notre cœur bat ses soixante-dix coups par minute, que nous ne perdons rien de ce qu’il faut faire ni de ce qu’il faut voir; nous n’osons plus pénétrer nulle part les mains dans les poches, de peur d’être pris pour des oisifs. Et nous ne voyons pas qu’en nous hâtant de toucher aux choses et de les prendre, nous risquons de ne plus les comprendre et même de les perdre à jamais... »
Paul GADENNE (Le Discours du Gap, 1936)
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