" Nous vivons sous l'empire des principes de disjonction, de réduction et d'abstraction. Or une pensée mutilante conduit nécessairement à des actions qui ne le sont pas moins : la pathologie contemporaine de la pensée est dans l'hypersimplification, la rationalisation qui enferme le réel dans un système d'idées cohérent mais partiel.
Nous devons apprendre à appréhender la complexité du réel. Prendre conscience du fait que la cause profonde de l'erreur est d'abord dans l'organisation de notre savoir en système d'idées, de théories, d'idéologies, qu'une nouvelle ignorance est liée au développement de la science elle-même, à l'usage dégradé de la raison, au progrès aveugle et incontrôlé de la connaissance.
Nous sommes toujours dans la préhistoire de l'esprit humain.
Depuis l'école primaire, toutes les structures de l'enseignement forment des esprits pour les ventiler dans des catégories et les empêcher de penser la complexité. Tant que nous ne relions pas les connaissances selon les principes de la pensée complexe, nous restons incapables de reconnaître le tissu commun des choses : nous ne voyons que les fils séparés d'une tapisserie. Si vous ne connaissez que les fils individuellement, et même si vous les identifiez chacun de manière parfaite, vous ne connaîtrez jamais le visage de la tapisserie. Et cela aussi bien dans les domaines technologiques que scientifiques et politiques.
Nous devons nous opposer à l'intelligence aveugle qui a pris presque partout les commandes.
Nous devons réapprendre à penser, tâche de salut public qui commence par soi-même. Ce progrès ne se réalisera pas sans efforts, il nécessite du temps, des combats et des débats.
Tout est à réformer et à transformer, il faut apporter la reliance et la conscience. Travaillons chacun dans notre voie. Ce qu'on peut espérer, c'est non plus le meilleur des mondes mais un monde meilleur. Et je me maintiens, avec les énergies dont je dispose encore, dans cette improbable espérance. "
Edgar Morin, préface du livre de Jean-Louis Servan-Schreiber "Aimer (quand même) le XXIème siècle"