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Publié par ERASME

" L'heure est au retour des frontières, des nationalismes et des populismes, y compris au sein même de l’Europe. Il est au retour aussi de la tentation du repli identitaire sur soi et sur sa nation, faisant voler en éclat l’idée même d’un monde commun. Contre cette logique identitaire, aussi pernicieuse qu’inquiétante, je voudrais défendre l’idée d’une « communauté ouverte » par allusion distinctive à la Société ouverte de Popper. La substitution du terme « communauté » à celui de « société » vise en effet à témoigner ici du fait qu’il ne s’agit plus aujourd’hui, comme le faisait Popper dans le contexte du début de la Guerre froide, de plaider en faveur des sociétés démocratiques par opposition aux anciens pays de l’Est, mais de réfléchir aux défis posés par un monde globalisé et éminemment travaillé par les questions identitaires, que ces identités soient pensées à partir du genre, de la religion, de la culture ou encore de la nation. L’idée de « communauté » exprime le fait que notre identité personnelle se construit à travers les nombreux liens que nous tissons les uns avec les autres, à travers une identité collective qui nourrit notre subjectivité. La référence identitaire, quand elle est pensée comme une affiliation et non au sens d’une assignation, est une source d’enrichissement personnel qui n’est pas contradictoire avec l’idée de liberté et de choix individuel. Elle ne le devient que quand une conception fermée de la communauté envahit notre imaginaire, au point qu’il ne devient plus possible de concevoir la communauté d’un « nous » autrement que par opposition et en tension avec la ou les communauté(s) des « autres », perçues en tant que facteur potentiel d’altération de notre propre identité. C’est contre cette conceptualisation fallacieuse et dangereuse de la communauté que je défendrai l’idée d’une « communauté ouverte » et, corrélativement, la possibilité de penser une identité plurielle capable de s’ouvrir à l’altérité et à la différence. Parmi les penseurs qui ont réfléchi sur la nature de nos appartenances, il est impossible de ne pas citer Tönnies, lui dont le concept de « communauté » semble hanter aujourd’hui bien des consciences, si l’on en croit la rhétorique nativiste de nombreux populismes.

Dans son ouvrage majeur de 1887, Communauté et société, Tönnies définissait en effet la communauté comme une « communauté de sang, de lieu, et d’esprit » (2010 : 17). Il y voyait un état social caractérisé par l’harmonie et la concorde, par l’entente entre des membres unis dans la chaleur d’une vie commune régie par des coutumes, des mœurs, une foi partagée où le tout règne sur les parties et où les liens personnels sont forts.

Cette vision de la communauté reposait sur une conception de l’appartenance qui semble étrangère à l’esprit de la modernité. Elle faisait fond sur une conception essentialiste de la culture conçue comme un tout uniforme et fermé qui ne laissait guère de place à l’individualité. Si cette conception a pu être reprise dans les années 1980 par certains communautariens (MacIntyre 1997 [1981] notamment), elle ne fait plus guère de sens aujourd’hui dans un monde à la fois globalisé, où les cultures ne peuvent plus se penser indépendamment les unes des autres, et par ailleurs fortement individualisé. Pourtant, la pensée de Tönnies reste d’une surprenante actualité en ce qu’elle nous engage à réfléchir aujourd’hui encore sur ce qui définit pour nous les conditions d’un monde partagé. Il s’agira ici de montrer que si Tönnies a bien identifié un niveau fondamental d’appartenance – nous sommes tous insérés dans une société particulière caractérisée par une histoire et une culture singulières à laquelle nous sommes attachés – ce niveau ne devrait pas être exclusif d’autres types d’appartenance et d’autres types de loyauté. Ainsi que l’a démontré Dominique Schnapper (1994), il est possible de penser au-delà de la « communauté ethnique et culturelle », pour employer ses propres termes, une « communauté de citoyens » qui la transcende au moins comme un idéal sans pour autant la nier – tout le problème étant de découvrir et de réaliser la formule théorique et pratique de leur compatibilité. Il est possible également de concevoir une conciliation ou une réconciliation idéale et conceptuelle des deux premiers niveaux d’appartenance avec celui de notre commune inscription dans l’humanité.

Après avoir montré que les trois derniers niveaux d’appartenance évoqués – communauté ethnique et culturelle, communauté des citoyens, communauté humaine – ne peuvent s’articuler, ne serait-ce même que dans l’idéal, qu’à partir d’une conception désubstantialisée ou désontonlogisée de la culture – sans laquelle le concept même de culture ne peut mener à mon sens qu’à l’affrontement culturel et à la promotion d’ « identités meurtrières » –, je m’attacherai tout particulièrement au troisième niveau d’appartenance mentionné et défendrai l’idée, ou l’idéal, d’un cosmopolitisme réflexif, critique et dialogique, qui devrait s’entendre aussi comme un « cosmopolitisme enraciné » (rooted Cosmopolitanism), pour reprendre le concept élaboré par Kwame Anthony Appiah dans Cosmopolitanism : Ethics in a World of Strangers (2012). J’essaierai également de montrer que le cosmopolitisme ainsi défini permet de combiner nos différentes appartenances sans contradiction ni schizophrénie, et qu’il est hautement souhaitable, dans un monde se globalisant tout en demeurant culturellement différencié, de pouvoir se penser simultanément comme un citoyen attaché à son pays, mais aussi, par-delà les frontières, comme un « citoyen du monde » concerné par notre avenir commun. ... "

Voir l'article complet : De l’identité dans un monde globalisé : pour une communauté ouverte

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