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Publié par ERASME

L’absurde occupe une place variable dans l’œuvre de Kierkegaard, de Camus et de Sartre. Chez chacun de ces penseurs, elle répond à des définitions différentes. Pour Kierkegaard, la notion d’absurde s’inscrit surtout dans une perspective théologique : l’absurde, c’est le paradoxe de la synthèse de Dieu et de l’homme, de l’éternel et du temporel réalisée par le Christ. Ce paradoxe ne peut être compris par la pensée humaine, il constitue un mystère et ne peut faire l’objet que d’un acte de foi. C’est le sens du « credo quia absurdum ». Pour Camus, qui est athée, l’absurde, c’est la confrontation entre le désir humain d’ordre et de cohérence et le caractère irrationnel du monde. Pour Sartre, l’absurde, c’est avant tout la « contingence » de l’être-en-soi, l’injustifiabilité des objets du monde. La condition humaine apparaît également comme absurde dans la mesure où l’homme ne peut devenir le fondement objectif de sa propre existence, ne peut être à la fois « en-soi » et « pour-soi ».

2La conception de chacun de ces auteurs est par quelque côté comparable à celle de Dagerman. Si, pour Kierkegaard, l’absurde dans son sens le plus restreint, c’est le paradoxe de la divinité incarnée, la notion revêt également chez lui un sens métaphysique plus général. Elle définit la situation de l’individu face au problème du sens de la vie. L’idée que l’individu, qui est essentiellement subjectivité, ne peut se contenter d’un système philosophique rationnel en tant qu’explication du monde constitue le point de départ de sa pensée, qui ne se départira jamais de son côté anti-hégélien. Ainsi qu’il l’écrit dans son journal, le but constant de Kierkegaard est le suivant :

  • 1 Søren Kierkegaard, Journal (Extraits) 1832-1846, traduction Ferlov et Gateau, Paris, 1941, p. 31, (...)

« Trouver une vérité, mais une vérité pour moi, trouver l’idée pour laquelle je veux vivre et mourir. »

3Camus lui-même, qui développera une véritable philosophie de l’absurde, voit en Kierkegaard un précurseur :

  • 2 Albert Camus, Le mythe de Sisyphe, Paris, 1942 (cité ci-après sous la forme du sigle MS) p. 42.

« De tous peut-être le plus attachant, Kierkegaard, pour une partie au moins de son existence, fait mieux que de découvrir l’absurde, il le vit. L’homme qui écrit : ʽLe plus sûr des mutismes n’est pas de se taire, mais de parler’ s’assure pour commencer qu’aucune vérité n’est absolue et ne peut rendre satisfaisante une existence impossible en soi. »

  • 3 IDC, p. 276.

4Cette conception kierkegaardienne de la vérité est aussi celle de Dagerman. Son besoin de vérité dans un monde privé de signification se révèle dans la méditation de Lucas Egmont lorsqu’il reste seul avec le capitaine Wilson après que les autres naufragés se sont dispersés dans les différentes parties de l’île. A ce moment, Lucas Egmont se rend compte du manque d’intérêt de ses compagnons pour ce qui constitue selon lui « la tâche essentielle de l’homme : dire au moins la moitié de la vérité à propos du mensonge total du monde »3. L’image du monde présenté comme « menteur » suggère un manque de cohérence logique, de système, qui s’oppose au désir d’explication et de vérité chez l’homme. Dagerman reprend la même idée dans un article qu’il publie à l’occasion de l’édition en langue suédoise des nouvelles de Kafka, qui lui aussi a lu Kierkegaard. Dans ce compte rendu qu’il intitule « Kafka, chercheur de la vérité » et auquel il donne l’allure d’un programme littéraire, Dagerman écrit :

  • 4 Stig Dagerman, Kafka-sanningssökaren, Afton-Tidningen, 30.11.1945.

« ʽLe chien à la recherche de la vérité’ résume toutes les expériences kafkaïennes de la recherche de la vérité. On y trouve à la fois les questions et les réponses, la vérité et le doute à propos de la même vérité. C’est une caractéristique du chien de Kafka comme c’est une caractéristique de Kafka lui-même de tenter d’échapper à son expérience inouïe de l’angoisse et du désespoir par une analyse brutale, une interrogation inlassable. »

 

Voir l'article complet : Dagerman et la notion existentielle de l’absurde

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