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Regards citoyens

Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !

Premier mémoire sur l'instruction publique, par Nicolas de Condorcet

Il est impossible qu’une instruction même égale n’augmente pas la supériorité de ceux que la nature a favorisés d’une organisation plus heureuse.

Mais il suffit au maintien de l’égalité des droits que cette supériorité n’entraîne pas de dépendance réelle, et que chacun soit assez instruit pour exercer par lui-même et sans se soumettre aveuglément à la raison d’autrui, ceux dont la loi lui a garanti la jouissance.
Alors, bien loin que la supériorité de quelques hommes soit un mal pour ceux qui n’ont pas reçu les mêmes avantages, elle contribuera au bien de tous, et les talents comme les lumières deviendront le patrimoine commun de la société.
Ainsi, par exemple, celui qui ne sait pas écrire, et qui ignore l’arithmétique, dépend réellement de l’homme plus instruit, auquel il est sans cesse obligé de recourir. Il n’est pas l’égal de ceux à qui l’éducation a donné ces connaissances ; il ne peut pas exercer les mêmes droits avec la même étendue et la même indépendance.
Celui qui n’est pas instruit des premières lois qui règlent le droit de propriété ne jouit pas de ce droit de la même manière que celui qui les connaît ; dans les discussions qui s’élèvent entre eux, ils ne combattent point à armes égales.
Mais l’homme qui sait les règles de l’arithmétique nécessaires dans l’usage de la vie, n’est pas dans la dépendance du savant qui possède au plus haut degré le génie des sciences mathématiques, et dont le ta-lent lui sera d’une utilité très réelle, sans jamais pouvoir le gêner dans la jouissance de ses droits.
L’homme qui a été instruit des éléments de la loi civile n’est pas dans la dépendance du jurisconsulte le plus éclairé, dont les connaissances ne peuvent que l’aider et non l’asservir.
Plus les hommes sont disposés par éducation à raisonner juste, à saisir les vérités qu’on leur présente, à rejeter les erreurs dont on veut les rendre victimes, plus aussi une nation qui verrait ainsi les lumières s’accroître de plus en plus, et se répandre sur un plus grand nombre d’individus, doit espérer d’obtenir et de conserver de bonnes lois, une administration sage et une constitution vraiment libre.
C’est donc encore un devoir de la société que d’offrir à tous les moyens d’acquérir les connaissances auxquelles la force de leur intelligence et le temps qu’ils peuvent employer à s’instruire leur permettent d’atteindre.
Il en résultera sans doute une différence plus grande en faveur de ceux qui ont plus de talent naturel, et à qui une fortune indépendante laisse la liberté de consacrer plus d’années à l’étude ; mais si cette inégalité ne soumet pas un homme à un autre, si elle offre un appui au plus faible, sans lui donner un maître, elle n’est ni un mal, ni une injustice ; et, certes, ce serait un amour de l’égalité bien funeste que celui qui craindrait d’étendre la classe des hommes éclairés et d’y augmenter les lumières. "
Nicolas de Condorcet.
Premier mémoire sur l'instruction publique.
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