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Regards citoyens

Ce blog est destiné à stimuler l'intérêt du lecteur pour des questions de société auxquelles tout citoyen doit être en mesure d'apporter des réponses, individuelles ou collectives, en conscience et en responsabilité !

Extraits du discours de Philippe Séguin, président de l'Assemblée Nationale (1993-1997), prononcé à la Douma russe en décembre 1994

Un discours-feuille de route, un discours-avertissement mais surtout l’expression de tant de souhaits sincères de transformations que l’on croyait à l’époque nécessaires et imminentes. Et qui ne se sont, hélas, jamais produites. Trente ans après, nous sommes face au constat d’un immense gâchis.
***
" L’Europe quitte aujourd’hui le XXème siècle mais elle le quitte avec retard tant la guerre froide a prolongé durant 45 années le cycle de déchirements européens ouvert en 1914. Et ce retard fait peser sur les dirigeants politiques actuels une responsabilité particulièrement lourde. Il dépend d’eux en effet que le tournant historique que nous vivons se traduise par la paix et la prospérité ou bien par un nouveau temps de troubles dont l’inquiétant présage et à chercher dans la situation de l’ex-Yougoslavie. Il dépend d’eux de faire preuve de la même lucidité, de la même capacité d’anticipation qui conduisit, dans les années 1960, le général De Gaulle à entrevoir les contours d’un monde qui échapperait à la logique des blocs, d’une Europe réconciliée qui s’étendrait de l’Atlantique à l’Oural, je dirais plutôt pour ma part de l’Atlantique au Pacifique…
(…)
L’Europe et la Russie disposent d’un héritage qui leur est propre - une certaine idée de la vie en société, un attachement à l’égalité et à la solidarité, une richesse patrimoniale, en bref une volonté d’indépendance - toutes valeurs qu’elles ont su maintenir et confirmer au pire moment de leur histoire. Il doit être entendu une fois pour toutes et fermement rappelé que la démocratie et le marché ne sont pas des normes universelles figées pour l’éternité. Ils revêtent en Europe, en Asie et en Amérique des formes institutionnelles différentes. Aucun État ni aucune organisation internationale ne dispose donc d’un monopole sur ces notions, ni, à fortiori, de la légitimité pour juger de la conformité à tel ou tel modèle. A chacun son rythme, et à chacun son style, en fonction du génie de chaque peuple, du moment que l’objectif reste commun, à savoir la paix et la démocratie.
(…)
Il faut réunifier l’Europe tant sur le plan économique que sur le plan politique. Et pour cela, il faudrait mettre en cohérence l’ensemble des structures et des organisations internationales traitant de la paix et de la prospérité du continent. Les utopies d’une fin de l’histoire, du dépassement des nations ou du dépérissement de l’État ont apporté la démonstration qu’ils étaient autant d’illusions ! Mettons-nous donc au travail pour construire en commun la grande Europe, pour créer ce nouveau modèle de sécurité dont le président Eltsine a souligné l’urgente nécessité à Budapest lors du dernier sommet de la CSCE. Elle suppose, en premier lieu, la modification et l’ouverture des cadres existants, notamment l’Union européenne et l’OTAN , en second lieu , la création d’une instance politique commune à tous les États du continent, la création de l’organisation de la grande Europe que j’appelle de tous mes vœux.
(…)
L’Union Européenne a été conçue et organisée dans le cadre d’une Europe divisée, enjeu de la rivalité entre les deux superpuissances. La méthode alors privilégiée par les Pères fondateurs consistait, grâce à des transferts de compétence successifs, à créer une évolution irréversible vers les Etats-Unis d’Europe. Or, cet idéal fédéraliste ne correspond plus à la situation du continent européen, et la méthode retenue à l’origine pour la construction communautaire est caduque. Il faut à la fois démocratiser les institutions européennes, prendre en compte les exigences de la lutte contre le chômage, et surtout ouvrir l’UE en direction de l’Est.
Ces réflexions soulignent la nécessité d’un profond renouvellement de l’OTAN qui doit accompagner et non freiner la réunification du continent européen.
(…)
La disparition de la menace que sous-tendait la division du monde en deux blocs rivaux conduit nécessairement à une révision radicale de l’organisation de sa sécurité, de ses objectifs et de ses méthodes de travail. L’OTAN doit évoluer vers un système de sécurité global auquel la Russie doit être associée de manière à préserver ses particularités. Un dialogue régulier doit se nouer sur les tâches communes qui doivent être poursuivies, notamment à propos du démantèlement des armes nucléaires, de la non-prolifération ou du règlement des contentieux régionaux.

Le défi de la réunification du continent européen ne peut être relevé que si tous les pays européens adhèrent à cette grande ambition politique et aux différentes structures de coopération qui en découlent. Or, sans la Russie, il n’est ni paix ni prospérité durable en Europe. Par ailleurs, il est de l’intérêt commun des grandes puissances européennes d’éliminer les zones grises - sources d’instabilité permanente du continent.

Voilà pourquoi j’appelle de mes vœux la création d’une organisation de la grande Europe, dont la pièce maîtresse serait un Conseil de sécurité où les principaux États d’Europe pourraient disposer d’un droit de veto. Cette évolution ne manquera pas de s’imposer naturellement dans les prochaines années. Sachons ne pas l’enfermer dans un calendrier arbitraire. Mais gardons à l’esprit l’objectif majeur qui est de disposer, dans le cadre de l’ONU, d’une structure européenne efficace de prévention des conflits et de maintien de la paix.
(…)
Laisser la Russie à la porte de l’Europe qui se construit serait bien plus qu’une erreur, une faute historique qui, en reproduisant les modèles de division qui ont conduit le continent à sa perte, ouvrirait la possibilité de nouvelles tragédies.

Au terme d’une prodigieuse révolution à la fois soudaine et pacifique, la Russie s’est dégagée d’une idéologie et d’un empire qui entravaient sa marche. Ce faisant, elle a contracté une créance vis-à-vis de l’ensemble des démocraties et plus encore des nations européennes. C’est pourquoi, il est légitime qu’elle participe à part entière à la construction de la grande Europe.
(…)
Mon doute porte sur la volonté et la capacité des vieilles démocraties d’être à la hauteur de ce formidable enjeu historique et des immenses transformations qui bouleversent aujourd’hui la Russie. Ma conviction est qu’en aidant intelligemment votre renaissance nationale, en ouvrant l’espace de la Grande Europe dont la Russie est de toute manière l’un des piliers principaux, nous aiderons à bâtir pour les générations futures ce monde meilleur pour lequel ont combattu nos soldats. Ce monde meilleur qui par deux fois s’est dérobé aux espoirs qu’il avait suscités. "

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