Droits pour les peuples colonisés, par Leonard J. Barnes (Le Courrier de l'Unesco - 2018)
« On peut prédire que, le jour où les peuples coloniaux entreprendront de rédiger une Déclaration des droits, leurs revendications concorderont dans l’ensemble avec celles des groupes faibles et opprimés du monde entier, mais qu'elles répondront, plus particulièrement, aux servitudes propres du régime colonial », affirme l’écrivain et pédagogue britannique Leonard J. Barnes (1895-1977) dans son article « The Rights of Dependent Peoples » (Les droits des peuples non autonomes), envoyé de Londres, en juin 1947, en réponse à l’enquête de l’UNESCO sur les fondements philosophiques des droits de l'homme. Extrait.
" On peut définir d'une manière générale une colonie comme un territoire où la dépendance économique entraîne l'absence de droits politiques ; où cette négation des droits politiques peut amener une grave limitation des libertés civiles et un élargissement peu commun de la signification du mot « sédition » – là surtout où les autorités métropolitaines considèrent la culture de l'indigène comme attardée ou inférieure – ; et où la crainte d'une telle sédition ou de méfaits analogues conduit les sphères officielles à adopter des méthodes judiciaires et policières qui, dans la métropole, paraîtraient d'une rigueur anormale.
En conséquence, les peuples-sujets dans leur ensemble, et leurs représentants les plus cultivés et les mieux instruits en particulier, présentent à un degré notable les caractères d'insatisfaction et de corruption inhérents à l'impuissance politique. Il ne faut pas oublier, en effet, que si l'exercice du pouvoir absolu corrompt absolument, les conséquences psychologiques de l'impuissance absolue ne sont pas moins néfastes.
Le reflet de frustrations
Les formulations des droits de l'homme tendent naturellement à refléter les grandes frustrations de leurs auteurs. Si un droit, une fois proclamé, doit cesser d'être une aspiration vide de sens, s'il doit devenir une « idée agissante et un instrument efficace », il va exprimer les exigences naturelles des mécontents et des misérables de l'ordre social existant. « Liberté », crie l'esclave ; « Égalité », crie la victime d'une mesure discriminatoire ; « Fraternité », crie le paria ; « Progrès et Humanité », crient ceux que leurs semblables utilisent comme un moyen, au lieu de les respecter comme une fin ; « Droit au travail », crie le travailleur dont la besogne ou le chômage quotidien atrophient l'âme et compriment les capacités ; « Programme social », crient ceux que foulent aux pieds les privilégiés et les puissants occupés à consolider leur situation. C'est pour cette raison que les déclarations des droits de l'homme sont les puissants alliés du progrès social, du moins au moment où elles sont promulguées. Car le progrès social n'est autre chose que la réorganisation de la société au profit des non-privilégiés.
On peut donc prédire que, le jour où les peuples coloniaux entreprendront de rédiger une déclaration des droits, leurs revendications concorderont dans l’ensemble avec celles des groupes faibles et opprimés du monde entier, mais qu'elles répondront, plus particulièrement, aux servitudes propres du régime colonial. En effet, là où leur mécontentement parvient à s'exprimer clairement, les peuples coloniaux manifestent une conscience aiguë aussi bien du caractère intrinsèque de leur économie, où l'absence de participation aux profits a pour corollaire obligé la dépendance politique, que du lien organique existant entre cette condition et la négation des libertés civiles qui est de règle dans les territoires coloniaux. De plus, ils sont tout disposés à souscrire à la devise traditionnelle de la démocratie : liberté, égalité, fraternité, en partie parce que les peuples coloniaux ont longtemps été utilisés comme des moyens au service de fins qui leur étaient étrangères, et en partie parce que ce genre de devise est bien fait pour mettre dans l'embarras les autorités métropolitaines.
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Droits pour les peuples colonisés
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