Aperçu concernant l’emploi de l’expression « salut public » pendant la période révolutionnaire et quelques considérations sur ses antécédents, par Jean-François Riaux (In L’Enseignement philosophique 2018/3 (68e Année), pages 5 à 14)
" Toute langue est le foyer constant d’une germination de représentations imaginaires ; certaines restent plus saillantes que d’autres, de sorte qu’elles échappent à un définitif oubli. Si de telles représentations sont soustraites à l’empire de l’amnésie, c’est sans doute parce qu’elles abritent quelque chose d’irréductible où s’agrègent quantité d’affects constituant une sorte de réservoir mémoriel pour chacun d’entre nous. Si, par exemple, nous entendons « guerre d’Espagne », probablement la remémoration de Guernica s’imposera simultanément et toute l’horreur déclinée dans cette toile, – la mère à l’enfant mort, le taureau et le cheval mutilés… – nous assombrira. Lorsque, au gré d’une lecture, surgissent les mots Révolution française, tout à coup s’entrecroise un fatras de pensées poussant à l’exaltation autant qu’à l’accablement, car jamais un temps ne fut plus enclin à la fois à la générosité et à la cruauté. Si, à la lecture des mots Révolution française la devise même de notre République nous vient à l’esprit, dans le même instant, le voile du souvenir d’une sans-culotterie survoltée ne peut qu’en ternir l’éclat. En d’autres termes, il ne convient pas d’ignorer à quel point les mots peuvent empêcher l’appropriation sereine de la vérité ; il faut donc être conscient de la charge émotionnelle qu’ils véhiculent, si l’on tient à éviter d’être piégé par l’emploi qu’on en fera.
2Parmi les vocables de la langue révolutionnaire, certains souffrent d’une lourde connotation, c’est le cas de l’expression « salut public » dont la seule énonciation fait songer au Comité de Salut public, à Robespierre, à Couthon, à la loi du 22 prairial de l’an II, texte inaugurant ce qu’on a nommé la période de la Grande Terreur. À se laisser hanter par les sinistres images qu’on associe à cette expression, on s’exposerait à ne pas s’accorder la distance nécessaire à sa pleine compréhension. L’idée de salut public, quelque usage qu’on en fît dans ces moments où la psychose de suspicion prit les formes les plus odieuses, est riche des débats procédant de ses origines, de ceux qu’elle suscita dans la période révolutionnaire elle-même et bien au-delà. Il convient, sans prévention partisane, d’y prêter intérêt. [...]"
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